Mercredi 18 décembre dernier, dans l’après-midi, une situation tendue régnait à la prison civile de Hinche. Des détenus, dont des chefs de gang notoires, ont tenté de s’échapper. Récit d’un plan criminel bien ficelé mais mal exécuté
Jeudi 19 décembre 2019, 1 heure PM. La rue Paul Eugène Magloire de Hinche est calme. Elle longe l’un des murs de la prison civile de Hinche. Des motocyclettes, le principal moyen de transport de la ville circulent sans cesse. Les visages paraissent sereins. Des écoliers reviennent de l’école. C’est le retour à la normale pour une zone qui a connu une certaine tension la veille.
Le mercredi 18 décembre, les Hinchois sont surpris par des détonations qui viennent de la prison de la ville. La grande prison, comme on l’appelle ici. Tout le monde est sur le qui-vive, craignant une tentative d’évasion des prisonniers, comme ce fut le cas en décembre 2017. La nouvelle circule comme une traînée de poudre. C’est une mutinerie qui prend forme.
Les prisonniers, apprend-on, se sont emparés de deux officiers de police, dont le responsable de la prison, Jean Wilmarc. À partir du téléphone de l’inspecteur, l’un de ses ravisseurs publie un message sur Facebook pour informer qu’ils le retiennent prisonnier. Le message assure que 13 prisonniers ont été tués par les policiers, et que leur acte est en réaction à tout cela.
Une fois la nouvelle connue, l’étroite rue qui mène au centre carcéral et au commissariat de Hinche est occupée par la Police. Les miradors aux quatre coins de la prison sont renforcés. Le toit du bâtiment est occupé par des agents des forces de l’ordre. La zone est bouclée. Personne n’y entre, personne n’en ressort. C’est un no man’s land.
Des armes dans les cellules
Tout est parti d’une fouille dans les cellules, selon le commissaire Max Spencer Raphaël. Il est le sous-directeur régional de la Police dans le Plateau central. Il est arrivé aux environs de 1h AM, le jeudi 19 décembre, avec son équipe, pour aider à la résolution de la crise. « Nous étions au courant qu’une tentative d’évasion se préparait, dit le responsable. C’est pour cela que les autorités de la prison avaient décidé de conduire des fouilles. »
Trois officiers de police procèdent à cette fouille inopinée. Au début tout se passe bien. Mais quand les policiers arrivent à la cellule numéro 4, ils surprennent les prisonniers avec une arme dans la pièce, posée sur l’un des lits. Immédiatement l’alerte est donnée. « Les responsables de la prison m’ont appelé pour m’informer de leur trouvaille, continue Max Spencer Raphaël. On a alors pris la décision d’étendre la fouille à toutes les cellules. Il y avait une possibilité que cette arme ne soit pas la seule. »
Les agents poursuivent leur recherche. La situation dégénère devant la cellule 12. Selon le commissaire divisionnaire Jean Michelet Shoute, le directeur départemental de la PNH pour le Plateau central, les prisonniers de cette cellule ont refusé que l’espace soit fouillé.
« Quand les policiers ont voulu ouvrir la cellule, ils ont reçu de vives oppositions, dit le commissaire divisionnaire. À l’ouverture de la porte, l’un des prisonniers a tiré une balle qui est passée au-dessus de la tête de l’un des officiers. Ils ont tout de suite pris deux des agents en otage. Le dernier s’est sauvé de justesse, ils ont essayé de l’atteindre par des projectiles. »
Selon Patrick Rose, le responsable de la DCPJ dans le plateau central, ces armes étaient dans la prison depuis des mois, cachées dans un trou dans la cellule 12.
Une tentative d’évasion échouée
Parmi les quatre prisonniers responsables des troubles dans la prison, deux sont bien connus de la Police ainsi que des habitants de La Saline et Carrefour Feuilles. Il s’agit de Bout JanJan, chef du gang Projet La Saline, et Bawon. Ce dernier était le numéro 2 du chef de gang Tije, abattu par la police nationale le 29 avril 2019. Ils faisaient la pluie et le beau temps dans leurs zones avant d’être appréhendés.
Avant d’arriver à la prison de Hinche, ces chefs de gang étaient écroués au pénitencier national de Port-au-Prince, à la prison de la Croix des Bouquets et à Saint-Marc. Selon Patrick Rose, ils préparaient leur sortie depuis des mois. « Les prisonniers sont intelligents, ils observent, dit-il. C’est comme s’ils ne dormaient jamais. Bawon et Bout Janjan avaient été condamnés à perpétuité, ils cherchaient des moyens de sortir. Wensley [l’un des prisonniers], lui, a donné 200 000 gourdes à Bawon pour faire partie de l’évasion. »
« Normalement l’évasion était prévue pour le jeudi 19, dans la matinée, poursuit-il. Ils avaient prévu de filer à l’anglaise sans qu’une seule balle soit tirée, tellement leur plan était bien ficelé. Les habits civils qu’ils allaient porter étaient déjà prêts. Tous les prisonniers n’allaient pas partir, le plan concernait les détenus des cellules 4 et 12. »
Les prisonniers cherchaient aussi un moyen de mettre l’opinion publique de leur côté. C’est pour cela, selon les responsables, qu’ils avaient publié que des prisonniers étaient morts. « C’était archifaux », précise l’inspecteur principal Michel Ervilus R., le porte-parole de la police de Hinche. Bawon, à l’origine de la publication, avait par la suite rétracté sa déclaration.
Tous les moyens sont bons pour s’enfuir
Bawon, le maître à penser du projet, avait bien observé le fonctionnement de la prison et comptait mettre à profit certaines failles. L’une des faiblesses du centre pénitentiaire de Hinche est le manque de personnel. « Pour 555 détenus il n’y a que 15 agents environ, souligne Patrick Rose. Ils travaillent par tranche de huit heures. Les détenus allaient profiter de cela. »
À cause de l’évolution de la situation, comme le projet d’évasion a été compromis par la fouille, les prisonniers auraient imaginé un autre moyen de faire la belle.
“Bawon avait demandé à me parler, dit le directeur Jean Michelet Shoute. Il parlait à la radio et l’animateur lui avait proposé de me parler. Il utilisait le portable de l’inspecteur qu’ils gardaient en otage. Et là il m’a informé qu’ils avaient un blessé parmi eux; il voulait que je leur envoie une ambulance. J’ai refusé. ”
Le responsable de la DCPJ croit que c’était une manœuvre: “Le prisonnier blessé prend des soins maintenant, mais ils sont tellement intelligents que c’est possible qu’ils l’aient blessé eux-mêmes. Ainsi ils auraient créé une brèche quand l’ambulance arriverait dans l’enceinte de la prison.”
Retour à la normale
Pendant toute la nuit du 18 au 19, les prisonniers étaient chauffés à blanc. Ils faisaient sauter les verrous des cellules. C’est dans la matinée du 19 décembre que la situation commence à rentrer dans l’ordre. “On n’a pas eu le temps de faire des négociations formelles, dit Max Spencer Raphaël. Il y a eu une forme de désistement de la part des prisonniers.”
Selon Patrick Rose, l’arrivée sur les lieux de l’unité spécialisée Épines, équipe pénitentiaire d’intervention et d’escorte, a été déterminante pour ce désistement. “Les prisonniers ont peur de ce corps d’intervention. Ils ont dit eux-mêmes qu’ils ne voulaient surtout pas se créer des problèmes avec l’Epines.”
“Ils ont une si grande crainte de cette unité que c’est aux policiers qu’ils gardaient en otage qu’ils ont remis les armes qu’ils détenaient”, a-t-il poursuivi.
D’autres corps d’intervention étaient aussi présents. ERRE, équipe de renseignement et de recherche des évadés, était l’un d’entre eux. “Ces corps sont venus en renfort, mais la direction départementale avait déjà pris toutes les dispositions pour gérer la situation”, dit Michel Ervilus R., le porte-parole.
Deux crises qui se rencontrent
Le pays lock est passé par là. La mutinerie des prisonniers est la conséquence, entre autres, du blocage total qu’a connu le pays pendant les mois de septembre et d’octobre. Les prisonniers se plaignaient déjà de ne pas manger à leur faim. “On avait des difficultés à les nourrir, reconnaît Patrick Rose. Le stock de nourriture qui était disponible s’était rapidement épuisé, et aucun approvisionnement ne venait, à cause des routes bloquées.”
Toutefois, précise le responsable départemental de la DCPJ, la pénurie de nourriture a été gérée. Les autorités de la ville, ainsi que la Police, avaient trouvé les moyens de s’approvisionner.
Selon Michel Ervilus R., il est normal que des prisonniers tentent de se révolter de temps à autre. “Il s’agit de deux situations distinctes, explique-t-il. Il est courant que les prisonniers soient mécontents, s’ils estiment qu’ils ne sont pas bien traités. Mais là, il y avait prise d’otage, c’était différent.”
Les deux policiers qui ont passé la nuit dans la cellule 12 sont pour le moment pris en charge par la Police, à en croire les responsables. Selon Patrick Rose, ils sont en état de choc, et n’ont pas encore été entendus par la DCPJ qui a ouvert une enquête.
Le vendredi 20 décembre, on pouvait remarquer certaines personnes agglutinées devant la prison, venues apporter de la nourriture à des prisonniers. Comme quoi la situation est stable, même si comme le précise Jean Michelet Shoute, rien n’est encore fini.
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