Deux ans après le tremblement de terre, près de 14 millions de dollars américains ont été dépensés pour installer des lampadaires dans le pays. Aujourd’hui, la majeure partie de ces dispositifs ne fonctionne plus. Des maires dénoncent un gaspillage des maigres ressources de l’Etat
Lancé en 2012 à Port-au-Prince, le projet « Banm limyè, banm lavi » fut l’un des programmes phares de l’administration Martelly/Lamothe.
Ce projet de plusieurs millions de dollars américains, provenant notamment des Fonds Petrocaribe, visait l’éclairage des routes haïtiennes à travers l’installation de lampes solaires dans tout le pays.
Il est difficile de trouver des informations sur la quantité de lampadaires installés. Cependant, le rapport de la Cour supérieure des Comptes et du Contentieux administratif (CSCCA) portant sur la gestion des Fonds PetroCaribe et soumis au Sénat de la République le 31 janvier 2019, parle d’une somme de 13 millions 780 000 dollars américains décaissés pour l’initiative.
Des dispositifs défectueux
Aujourd’hui, les lampadaires chapeautés par des panneaux solaires sont dressés sur les principaux axes de Port-au-Prince, mais ne produisent pas de lumière.
À Carrefour par exemple, les 118 lampadaires installés sur la Route des Rails qui s’étend de Mariani à Bizoton ne fonctionnent pas. Pourtant, à part quatre poteaux qui ont été renversés par des véhicules, la majeure partie des dispositifs portent encore deux panneaux solaires, deux ampoules et des batteries.
Sur la route de Bourdon et à Canapé-vert, le constat n’est pas différent : les lampadaires se tiennent debout, mais ne produisent pas la lumière « si nécessaire pour combattre l’insécurité », comme l’a mentionné l’ancien ministre de la sécurité énergétique René Jean Jumeau, lors de la présentation du bilan du projet « Banm limyè, banm lavi », en août 2013.
À Delmas aussi, les lampadaires ne projettent que du « black-out ».
Un projet truffé d’irrégularités
Comme gestionnaire du projet, « le Bureau de Monétisation des Programmes d’Aide au Développement (BMPAD) a eu recours à deux résolutions : 11 280 000 dollars américains, le 28 février 2012 et 2 500 000 dollars américains, le 11 décembre 2013 », peut-on lire dans le rapport de la CSCCA.
Dans ce document, l’institution a mis en lumière les irrégularités du projet. Les lampadaires de « Banm limyè, banm lavi » devaient être installés dans les 10 départements du pays. Au lieu de signer dix contrats, le BMPAD a choisi de passer vingt contrats à des firmes.
Sur ces vingt accords, seulement six ont respecté l’article 5.1 de la loi sur la passation de marchés publics. Les quatorze autres contrats ont été passés de gré à gré entre le BMPAD et douze firmes pour un montant total de 133 946 580,50 gourdes.
Qui est responsable ?
Le 13 août 2013, le ministre délégué chargé de la sécurité énergétique René Jean Jumeau parlait, lors d’une conférence de presse à la primature, de l’installation de 8 000 lampadaires solaires à travers le pays à raison de 25 lampadaires dans les villes communales et de 8 dans chaque section communale. Il s’agit du volet « Limyè pèp » qui émane du projet « Banm limyè banm lavi ».
Y avait-il un plan pour l’entretien ?
Joint au téléphone sept ans plus tard, René Jean Jumeau, répond par la négative. Selon une feuille de route qu’il avait élaborée, la gestion des lampadaires allait être confiée aux différentes mairies qui à leur tour recevraient une aide de l’État central afin d’assurer la maintenance des lampes, en collaboration avec les firmes privées qui les ont installées.
René Jean Jumeau révèle que Laurent Salvador Lamothe, Premier ministre à l’époque, avait rejeté son plan. Et depuis, aucune décision n’a été prise sur la question.
M. Lamothe a été contacté. Son secrétaire a promis de rappeler Ayibopost. Cet article sera mis à jour s’il réagit.
L’effet dévastateur de la politique
L’autre faux pas dans l’installation des lampadaires solaires a rapport avec la politique.
Selon René Jean Jumeau, il était convenu de passer par les mairies pour placer les dispositifs dans les communes. Cependant, des députés et des sénateurs se sont accaparés des lampadaires dans l’objectif d’en tirer un avantage politique dans leurs circonscriptions électorales.
Aujourd’hui, certaines de ces lampes sont vandalisées par des individus en signe de désapprobation de la politique menée par ces parlementaires.
Qu’en disent les mairies ?
Selon le maire de Carrefour, Jude Édouard Pierre, l’installation de pareilles infrastructures dans une commune sans impliquer la mairie traduit la volonté récurrente de ceux ayant accédé au pouvoir central d’exclure les municipalités.
Parlant d’un « véritable gaspillage des ressources financières de l’État » dans ce projet, Jude Édouard Pierre, également président de la Fédération nationale des maires, dézingue « l’euphorie » et le manque de vision d’un gouvernement qui a pensé à installer 118 lampadaires sur la Route des Rails sans aucun plan pour les maintenir en vie. « Cela prouve que ceux qui ont initié ce projet n’ont pas cru à la décentralisation » fustige le maire.
D’un autre côté, Jude Édouard Pierre confie que l’Autorité nationale de Régulation du secteur énergétique (ANARSE) en partenariat avec l’EDH a déjà effectué une évaluation des lampadaires de la Route des Rails dans le but de les réparer. Cependant, les autorités sont encore à la recherche du financement nécessaire pour mener le projet.
À Pétion-Ville, la mairie a pris la décision de réparer les lampadaires solaires. Le maire de la municipalité, Dominique Saint-Roc, dit avoir déjà contacté une firme qui doit évaluer la situation à l’heure où l’insécurité bat son plein dans les rues les plus obscures de la localité. Le projet sera financé par la mairie.
Par ailleurs, selon le directeur général de l’Électricité d’Haïti (EdH), Nicolas Hervé Pierre Louis, les mairies de la région métropolitaine ont une dette de 2,1 milliards de gourdes envers l’institution alors que celles des villes de province affichent 1,9 milliard de gourdes. Ces montants concernent uniquement l’éclairage public.
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