SOCIÉTÉ

Le graffiti, un art politique illégal en Haïti

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Plusieurs murs de la capitale sont couverts de graffitis multicolores. Ce sont les œuvres de jeunes artistes, de plus en plus nombreux, qui se lancent dans le métier de graffeur, pourtant illégal. Immersion à 360˚ dans cet univers coloré.

Port-au-Prince se réveille à peine quand Raynald Beaufort compose le numéro d’un chauffeur de mototaxi qu’il connait bien. Quelques minutes plus tard, il sillonne les rues de la capitale à l’arrière du deux-roues. Sa mission est un peu particulière : rechercher des murs. C’est une activité essentielle dans son métier de graffeur. Il repère les murs qu’il estime appropriés et idéalement positionnés pour recevoir son prochain dessin.

« Dès que nous repérons un mur convenable, explique-t-il, nous nous arrêtons. Les meilleurs murs se trouvent souvent à des intersections ou sur des routes où il y a beaucoup de trafic. S’il est crépi, il est encore mieux. Je le photographie puis nous poursuivons notre exploration. »

Même dans la vulgarité nous pourrions faire passer un message.

Ce jeune artiste de 30 ans s’adonne à la peinture depuis l’âge de 10 ans. Il affectionne particulièrement le graffiti mural. C’est un métier interdit aux yeux des lois haïtiennes, mais la pratique est parfois tolérée. Quelquefois d’ailleurs, ce sont les autorités elles-mêmes qui font appel aux habilleurs de murs.

Quant à la perception de la population, Rayza, de son nom d’artiste, pense qu’elle change positivement. « Les gens trouvent parfois que nous ne faisons que vandaliser l’espace public, dit le graffeur. Mais cette perception évolue, surtout grâce aux différents festivals de graffitis. Nous faisons passer des messages positifs. Nous ne donnons pas dans le vulgaire parce qu’il faut d’abord que la société accepte l’art du graffiti. Mais nous sommes libres de le faire, parce que même dans la vulgarité, nous pouvons faire passer un message. »

À l’assaut des murs

Repérer le mur n’est que la première étape d’un processus qui va durer plusieurs jours. Le graffeur doit ensuite décider quel thème est le plus approprié à l’espace qu’il a trouvé. Après le thème, Raynald Beaufort procède à un croquis du graffiti qu’il veut reproduire. Il doit être aussi détaillé que possible. Viennent ensuite les couleurs qui seront appliquées fidèlement sur le mur choisi.

« C’est seulement à ce moment que je peux déterminer un budget pour acheter le matériel nécessaire, comme du spray, de la peinture, etc., dit Raynald. Je prends le soin d’acheter quelques stocks en plus, au cas où j’en aurais besoin. » Lorsque le grand jour arrive, Raynald Beaufort et quelques amis se rendent au pied du mur. Escabeau, échafaudage, génératrice et haut-parleurs pour mettre un peu d’ambiance, il n’oublie rien. Le travail va durer entre trois à cinq jours parce que, assure-t-il, il veut s’appliquer à reproduire la même qualité que certains artistes internationaux.

« Nous y prenons beaucoup de plaisir, affirme l’artiste. Parfois, nous avons l’approbation du propriétaire pour notre travail. Mais le plus souvent, il n’en est rien. Nous partons à l’assaut du mur sans savoir quelle sera la réaction de son propriétaire. Certaines fois, ils viennent nous demander d’arrêter. Mais quand nous leur expliquons notre projet, et qu’ils voient le croquis du graffiti que nous voulons faire, ils changent d’avis presque toujours. Sinon, nous abandonnons. »

Portrait de Youssoupha par Assaf, à P-au-P à quelques jours de son arrivée pour son concert en #Haïti dans le cadre des 5 ans de Ayibopost le 5 juillet prochain.

Vivre de son métier

S’il s’agit d’une commande, le prix pour décorer un mur varie selon sa longueur. « Le mètre est à $100 us environ. Mais si j’ai un mur de 20 ou 30 mètres, je fais une déduction de 10 % pour le client », explique Raynald Beaufort. Il assure que pour lui le métier de graffeur n’est pas une question d’argent. Il arrive à en vivre, mais il croit que le plus important c’est l’amour qu’il porte à cette activité.

« Je m’attelle souvent à un mur par pure envie ; je le fais parce que c’est une passion, dit-il. Mais aussi parce que cela me donne une visibilité qui me permet de participer à des festivals, de rencontrer des gens du même monde que moi. Grâce à cela, j’apprends beaucoup, surtout concernant les différentes qualités de sprays que les graffeurs internationaux utilisent. »

Raynald Beaufort croit que les mairies devraient prendre un peu plus à cœur les pratiques de graffitis. « Il y a beaucoup d’espaces à Port-au-Prince qu’on pourrait transformer totalement. Si tu écris sur un mur qu’il est interdit de jeter des immondices, personne ne s’en souciera. Les gens continueront à le faire. Mais si tu transformes l’environnement, le mur, avec un dessin, il y a de fortes chances que les gens changent de comportement. »

Quand la police te voit avec du spray, elle croit que tu vas écrire Vive ou À bas.

Utiliser les murs pour faire tomber des murs

Le graffiti est à l’origine un art politique. La plupart des artistes utilisent les murs pour faire passer des messages qu’ils estiment importants. Les tabous, les sujets qui fâchent sont les principaux thèmes abordés. Francisco Silva est un artiste plasticien qui s’adonne de temps en temps au graffiti. Tout dépend du sujet qu’il compte aborder, il procède de préférence pendant la nuit. « C’est une activité illégale, rappelle-t-il. Et même si les gens accueillent favorablement nos dessins, il n’en reste pas moins que la police peut nous arrêter. Dès que les forces de l’ordre te voient avec une bombe de peinture à la main, elles pensent que tu vas écrire Vive ou à bas. C’est une activité dangereuse. »

Francisco est l’un de ces artistes qui s’engagent dans la politique. Le scandale Petrocaribe est l’un des thèmes dont il s’occupe le plus, tant dans ses graffitis que dans ses caricatures. L’une de ses œuvres les plus connues est un pochoir. Un pochoir est un message découpé dans du papier qu’on appose sur un mur, sur lequel on applique ensuite le spray. Son œuvre représente une jeune enfant, le visage triste, en larmes, qui tient dans ses petites mains une pancarte portant l’inscription « Kot kòb Petwo Karibe a ? »

« Une fois, raconte-t-il, je suis sorti de nuit pour aller reproduire ce dessin sur un mur. Des policiers m’ont trouvé en flagrant délit. Mais quand ils ont vu ce que je m’apprêtais à faire, le message que je voulais faire passer, ils m’ont dit que je pouvais continuer, parce que ce sujet était important. »

Francisco regrette que beaucoup de graffeurs ne se soucient pas de politique. Pour eux, Haïti est ce beau pays où il fait bon vivre, où tout va bien. Mais l’artiste pense que s’engager est nécessaire. « Les messages que nous faisons passer touchent les gens, croit-il. La pratique du graffiti est assez nouvelle, c’est vrai, mais tout le monde jette un coup d’œil à nos œuvres. »

Le métier de graffeur rend les murs vivants. Il leur donne une voix. Dans le monde d’aujourd’hui, certains veulent ériger des murs entre les peuples, comme une barrière. Les graffeurs, surtout Renald Beaufort, croient que le graffiti va à l’encontre de cette idée. Grâce au dessin, les murs deviennent au contraire une porte, un pont, un moyen différent de faire tomber des murs dans la conscience des gens.

Journaliste. Éditeur à AyiboPost. Juste un humain qui questionne ses origines, sa place, sa route et sa destination. Surtout sa destination.

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