La constitution de 1987 en son article 22 dispose que l’État garantit le droit au logement décent à tout citoyen haïtien. Pourtant, même avec un emploi formel, habiter un logement décent reste un luxe inaccessible. Une réalité qui ne fait que densifier les bidonvilles dans le pays.
Ulrick Pierre a 27 ans. Il est un jeune professionnel œuvrant dans le secteur de la communication. En mars 2019, au terme de son bail d’habitation à Clercine, Ulrick voulait habiter une maison plus confortable que celle qu’il occupait jusque-là.
Même avec l’aide d’un courtier, Ulrick a mis plus d’un mois pour trouver un nouveau logement qui pourtant ne correspondait pas à ses attentes. « Avec 110 000 gourdes, j’ai réussi non sans peine à louer un appartement dans un quartier populaire où mes moindres gestes sont scrutés à la loupe par mes curieux voisins. Malgré tout, je me contente de mes deux pièces que je partage avec mon jeune frère ».
« Un logement convenable doit offrir davantage que quatre murs », peut-on lire dans le document réalisé par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour ONU HABITAT en 2010. Le document mentionne également que le coût d’un logement ne devrait pas compromettre les autres droits fondamentaux de ses occupants.
L’existence de services publics, le respect du milieu culturel, la protection juridique contre l’expulsion forcée, le harcèlement ou d’autres menaces sont autant de critères qui qualifient un logement décent selon ONU HABITAT. Les documents élaborés sur le logement par des institutions haïtiennes ne définissent pas les critères exacts d’un logement décent.
2000 dollars US pour un studio
Wolf Jerry Bernardin, originaire du Cap-Haïtien est un ancien étudiant en génie électronique. Il est actuellement l’un des responsables d’une agence immobilière basée à Delmas. Il se souvient de ses péripéties à Port-au-Prince durant ses années d’études universitaires. « Quand nous sommes rentrés à la capitale, mes camarades et moi avions réalisé qu’il n’existait aucune institution qui facilitait l’accès au logement aux gens à faible revenu. Même les services des courtiers ne sont pas toujours accessibles. Moi et quelques autres étudiants de l’Université d’État d’Haïti avions donc décidé de mettre sur pied l’agence Réflexe en 2014 ».
Cinq ans plus tard, le plus grand défi de la jeune agence est de ne pas pouvoir répondre à l’objectif qu’elle s’était fixé au départ. « Nous voulions répondre à l’appel des petites bourses, malheureusement, nous ne pouvons pas. Car il faut plus de 2000 dollars US pour louer un studio, c’est-à-dire une chambre avec cuisine et toilettes incluses », poursuit Wolf Jerry Bernardin.
L’agence n’entretient des rapports commerciaux qu’avec des propriétaires de Pétion Ville, Delmas et Tabarre. « Ce n’est pas un choix, clarifie tout de suite le responsable, c’est un fait qui s’impose à l’entreprise ». Le nombre accru de maisons abandonnées dans le pays exacerbe le problème, croit-il. « On ignore l’identité des propriétaires ou des gérants d’une quantité considérable de propriétés inhabitées… Pourtant, il existe une forte demande de la part des professionnels et surtout des jeunes étudiants de provenance rurale qui se retrouvent dans des situations difficiles. » Beaucoup de demandeurs avec leurs faibles revenus n’ont aucune option sinon d’habiter dans l’un des bidonvilles du pays où les conditions d’habitat sont extrêmement précaires.
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L’Enquête budget consommation des ménages (EBCM) menée par l’Institut haïtien de statistiques et d’informatiques (IHSI) en 2003 a relaté que dans tout le pays, plus de 88,5 % des logements n’avaient ni douche ni baignoire. 44,1 % des logements n’avaient pas de lieux d’aisance. En 2012, l’ECVMAS a révélé qu’au moins trois personnes occupent une même chambre sur deux tiers des ménages locataires.
Des acteurs impuissants face à la réalité
Junior Ordilon est un courtier à Port-au-Prince. « Je me dédie à cette occupation, car j’ai des aptitudes pour le faire. Mais les propriétaires ne nous facilitent pas la tâche. Ils ont une complète latitude quant au prix de leurs propriétés. Généralement, les propriétaires devraient nous donner en commissions 5% du prix du loyer. Mais ils ne veulent pas toujours collaborer. Or, en toute logique, le locataire ne devrait pas monnayer le courtier. »
Selon Ordilon, les courtiers eux-mêmes ne sont pas toujours en mesure de donner une pleine garantie sur un logement. « Une personne peut se faire passer pour le propriétaire d’un immeuble alors que c’est un imposteur. Le courtier ne sonde pas les cœurs, il a ses limites. » Pour sa clientèle, Ordilon s’attache à trouver des logements comprenant des toilettes, une cuisine, un système d’évacuation des eaux usées et un minimum de ventilation.
Jerry Bernardin, pointe du doigt un autre aspect du problème. « Même les agences immobilières ne sont pas régulées. Nous nous mettons en ordre avec la Direction générale des Impôts (DGI), nous payons des droits d’affichage à la Mairie, pendant que d’autres agences du secteur ne remplissent pas ces formalités sans aucune pénalité ».
Des plans et des promesses… sans suite
Après le tremblement de terre du 12 janvier 2010, plus de 105 369 maisons ont été détruites et 208 164 ont été endommagées. Le secteur du logement a enregistré des pertes de 2 613 millions de dollars pour le secteur privé et 459 millions de dollars pour le secteur public.
En 2013, l’Unité de construction de logements et de bâtiments publics (UCLBP) a élaboré une Politique nationale du logement et de l’Habitat (PNLH). Par ailleurs, le Premier ministre Laurent Lamothe a pris un arrêté le 23 juillet 2013 en vue de faciliter l’investissement privé dans le secteur du logement. Il espérait par cela favoriser l’accessibilité de logements décents et abordables aux différentes couches de la population.
Jusqu’ici, l’Entreprise publique de Promotion et de Logements sociaux (EPPLS) dont la mission est de réguler le secteur en Haïti ne fait que multiplier les promesses. La crise du logement semble ne pas attirer l’attention de l’État haïtien pendant que la demande de logement à Port-au-Prince chavire au drame.
Photo couverture: Habitat for Humanity
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