La loi n’autorise les mairies qu’à balayer les rues et empiler les ordures. Face aux tonnes de déchets qui emplissent les rues, la municipalité de Port-au-Prince passe outre la loi en assurant la collecte. Ces efforts sont loin de suffire parce qu’il y a d’autres raisons qui expliquent pourquoi Port-au-Prince est toujours sale.
Lorsqu’il a pris ses fonctions, le maire principal de Port-au-Prince, Ralph Youri Chevry, intègre une mairie qui avait pour tout équipement un camion poubelle dysfonctionnel et une camionnette en panne. Avant d’attaquer les ordures, il fallait d’abord mettre de l’ordre dans une administration où même les archives n’existaient pas.
Le nouveau maire a dû mettre plus de deux mille employés en disponibilité et engager une firme pour réaliser un audit complet de l’institution. Il lui fallait ensuite réintégrer progressivement certains anciens employés et mobiliser les taxes pour éponger les dettes et assurer les salaires. « Si Port-au-Prince croulait sous les déchets, c’était parce que les employés du SMCRS (Service métropolitain de collecte de résidus solides) remplissaient les rues de déchets, révèle le maire. Ils travaillaient parallèlement pour des particuliers chez lesquels ils collectaient les ordures pour aller les déverser dans les rues. »
Selon la loi, les mairies n’ont qu’à balayer les rues et empiler les ordures. C’est le SMCRS – qui n’existe plus – qui devait les collecter pour les jeter dans les décharges publiques. Pour 36 km2, plus d’un million de personnes produisent quotidiennement des déchets dans la commune de Port-au-Prince. Selon un document du Comité Interministériel d’Aménagement du Territoire (CIAT), la région métropolitaine de Port-au-Prince produit 900 000 tonnes de déchets par an. Pour nettoyer Port-au-Prince en 2015, il fallait 710 gourdes par tonne de déchets collectés.
Pour collecter et gérer les déchets, les coûts d’opération sont très élevés selon le maire Youri Chevry. Car, il faut non seulement prendre en compte les dépenses en carburant, mais aussi les pièces de rechange et le vidange régulier des camions.
La croissance démographique est aussi un facteur qui explique l’augmentation des déchets à Port-au-Prince selon le maire. « Port-au-Prince a toujours été sale, souligne t-il. La ville est devenue encore plus sale, parce que plus de gens l’habitent aujourd’hui. Après le séisme beaucoup de personnes sont venues s’installer dans la capitale. Celles qui ont quitté les localités après les ouragans dans le Grand Sud par exemple, sont venus habiter Port-au-Prince. »
58% des Haïtiens habitent aujourd’hui les villes. La région métropolitaine à elle seule concentre un tiers de la population totale du pays.
Lire la version Créole: Pou netwaye lari Pòtoprens, lameri oblije dezobeyi lalwa
Grande opération de collecte
En Mai 2018, la mairie de Port-au-Prince lance une opération de collecte de déchets assortie de mesures sévères. Un arrêté communal fixe une amende allant de 10 000 à 50 000 gourdes à l’encontre de tout individu surpris en train de jeter les déchets dans les rues. La police et le parquet de Port-au-Prince, mobilisés, promettent devant la presse de prêter main forte.
La commune est divisée en neuf blocs où des équipes de collecte doivent passer trois fois par semaine. 23 camions sont mobilisés pour ce travail. « Là où les camions ne peuvent pas accéder, nous envoyons des tricycles. On n’a pas encore le résultat idéal, mais la ville est aujourd’hui beaucoup plus propre qu’il y a cinq mois », rassure Youri Chevry. La mairie ne dispose pas d’engins pour remplacer ceux qui tombent en panne sur les circuits.
Parmi les zones sales qui déconcertent les citoyens, il y a le Champ-de-Mars, la principale place publique de la capitale, située à quelques pas de la résidence principale du président de la République. Si la mairie a dispersé les marchands de viande grillée de la place, d’autres vendeurs les ont vite remplacés. Selon le porte-parole de la mairie de Port-au-Prince, Allwitch Jolly, le Champ-de-Mars est aussi sale parce que la mairie n’a pas encore le contrôle de l’espace.
Lorsque l’Etat central avait remplacé les maires élus de 2006 –dont les mandats étaient arrivés à terme- par des agents intérimaires, c’est le ministère de l’Intérieur qui assurait la gestion des places publiques. Le ministère a recruté des équipes qui revendiquent aujourd’hui plusieurs mois d’arriérés de salaire. « La mairie a négocié avec le ministère de l’Intérieur qui s’est engagé à payer les nettoyeurs. Il y a eu un premier versement sur les salaires, mais, il reste encore plusieurs mois à payer. On ne peut pas reprendre le contrôle du Champ-de-Mars parce que les nettoyeurs frustrés menacent nos agents. »
Le SNGRS, un bâton dans les roues des mairies
Désormais, c’est le Service National de Gestion des Résidus Solides (SNGRS) qui s’occupe des déchets. Le SNGRS a été crée à partir d’une loi proposée par l’actuel président de la chambre des députés, Gary Bodeau. Cette institution joue à la fois le rôle d’autorité de régulation et d’organe d’exécution pour tout ce qui concerne les déchets sur l’ensemble du territoire. Le maire de Port-au-Prince déplore que les représentants des collectivités n’aient pas été consultés avant la publication de cette loi. Cette situation est à la base d’une friction actuellement entre les mairies et le pouvoir central de l’Etat.
« Politiquement, le SNGRS affaiblit la position des maires, explique Youri Chevry. C’est le rôle des maires de s’occuper des déchets dans leurs villes. Avant même sa publication, j’avais averti le président Jovenel Moïse de tous les problèmes qu’allait provoquer la loi créant le SNGRS. C’est une loi inapplicable. Aucun maire de la zone métropolitaine n’acceptera la logique du SNGRS. »
C’est aussi les déchets des autres communes
Selon la Banque Mondiale, Haïti est le pays de la région ayant le taux de collecte de résidus solides le plus faible. Seulement 12.4% des résidus solides sont collectés. Le Nicaragua qui vient tout juste après Haïti collecte 57% de ses résidus solides.
Sans concertation avec les communes voisines, la mairie n’arrivera jamais à garder la capitale propre car, Port-au-Prince accumule les déchets de toutes les communautés situées en amont. À la première goutte de pluie, les habitants de Delmas, de Pétion-Ville et d’autres localités se débarrassent de leur ordures qui, emportées par les eaux, finissent dans les canalisations et dans les rues de Port-au-Prince.
Ralph Thomassaint Joseph
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