Nommé le 6 août 2018 comme Premier ministre par le président de la République, Jean Henry Céant a fait le dépôt de ses pièces au parlement quatre jours après. Toutefois, selon Monferrier Dorval, plusieurs des démarches entamées devant aboutir au vote de sa politique générale sont réalisées dans la plus grande violation de la Constitution.
La constitution de 1987 amendée, assigne non seulement les attributions du Premier Ministre, mais indique aussi les démarches qui doivent aboutir à son installation. Ainsi, en son article 137, elle précise que le Premier ministre doit être choisi parmi les membres du parti politique majoritaire au parlement. Cette majorité doit être absolue, c’est-à-dire qu’elle doit être égale à la moitié plus un des suffrages exprimés, dans chacune des deux chambres du parlement. Toutefois, le défaut de structuration et le flou idéologique des partis entrainent une composition hétéroclite du parlement. Cela ne permet donc pas de pouvoir toujours dégager une majorité au niveau des deux chambres. Dans ce cas, la constitution demande au président de la République de choisir le Premier ministre en consultation avec le président du sénat et celui de la chambre des députés.
Selon Monferrier Dorval, certaines démarches entreprises pour installer le notaire Jean Henry Céant comme Premier ministre, ne sont pas conformes à la loi mère du pays. La première remarque du professeur réside dans la notion de ‘consultation’ mentionnée par l’article 137. « Le président se met à rencontrer les gens, alors que l’important c’est de négocier avec les parlementaires », explique docteur Monferrier Dorval, qui est aussi professeur de droit constitutionnel à l’Université d’Etat d’Haïti. Selon lui, les interminables consultations entamées par Jovenel Moise visent surtout à contourner le parlement. Cette tentative ne peut être qu’infructueuse dans la mesure où ce sont les parlementaires qui auront toujours le dernier mot. Ainsi, il convient de préférence de chercher à obtenir une majorité par consensus.
Selon le juriste Monferrier Dorval, il est inconstitutionnel de demander à Jean Henry Céant de déposer ses pièces au parlement. En effet, l’amendement du 9 mai 2011 a abrogé l’étape selon laquelle le Premier ministre doit déposer ses pièces au parlement. Avant cet amendement, le choix du premier ministre devait être ratifié par les deux chambres. C’est-à-dire, avant même de voter sur la politique générale du Premier ministre, le parlement devait d’abord décider sur le choix de la personne du Premier ministre. Cette condition n’est plus en vigueur aujourd’hui. Pourtant, Jean Henry Céant a bien été au parlement le 10 aout 2018 pour déposer ses pièces. « Les parlementaires sont allés tellement loin, qu’ils demandent au Premier ministre de déposer les pièces de tous les ministres. Cela n’est pas prévu dans la constitution et cela ne s’était jamais produit avant. Donc, nous sommes en pleine inconstitutionnalité», s’indigne Monferrier Dorval.
Avec la version amendée de la constitution, le Premier ministre est désormais nommé. Toutefois, selon Monferrier Dorval, le fait pour le Premier ministre nommé de former son cabinet ministériel est une incohérence. Pour choisir ses ministres et ses secrétaires d’état, le Premier ministre doit être installé. Cela devrait être d’ailleurs son premier acte en tant que Premier ministre, conformément à l’article 158 de la constitution. « C’est l’installation du Premier ministre qui constitue l’acte matériel de sa nomination », explique Monferrier Dorval, docteur en Droit. En outre, la formation du cabinet ministériel doit se faire par arrêté, lequel doit porter la signature du Premier ministre. Or le Premier ministre seulement nommé n’est pas encore en fonction. Tout comme un député ou sénateur élu qui n’a pas encore prêté serment n’est pas député ou sénateur. Donc, Jean Henry Céant est incompétent rationae temporis pour former son gouvernement. S’il le forme malgré tout il commet un acte d’usurpation de fonction, en ce sens que, quelqu’un en dehors de l’administration ne peut poser aucun acte administratif, affirme le juriste. « Le Premier ministre devrait être nommé, ensuite installé, après il forme son gouvernement, puis il installe les membres de gouvernement, et seulement après il pourra se présenter par devant le parlement pour le vote de sa politique générale », résume Monferrier Dorval. Pour cela, le Président de la République doit dégager une majorité au parlement, avant même la nomination du Premier ministre. C’est d’ailleurs pour cela que s’entretenir avec les multiples secteurs de la société civile est une perte de temps, selon le professeur. Concrètement, il faut négocier avec les parlementaires. Vu que les partis politiques sont dysfonctionnels, il faut négocier avec chaque parlementaire distinctement.
Plaidoyer pour une nouvelle constitution
La première difficulté que soulèvent la Constitution et la nécessité de négocier est surtout d’ordre pratique. En effet, peut-on espérer des résultats positifs d’un gouvernement formé à partir de négociations des avantages, des postes ministériels et des directions générales ? En réalité, les irrégularités soulignées dans l’organisation du pouvoir en Haïti relèvent tant de l’imprécision de la constitution, que de la volonté des politiques de passer outre des prescrits constitutionnels.
Comme irrégularités liées directement au flou de la constitution, on peut citer plusieurs cas. Par exemple, la notion de consultation qui n’est pas toujours bien interprétée, conduit à une impasse en cas de désaccord entre le président de la République et les présidents des deux chambres. En effet, la constitution n’a pas proposé de solution dans un tel cas. Comme autre irrégularité, l’on peut soulever le fait que selon la conjoncture politique actuelle, l’on peut être porté à croire qu’Haïti aurait deux Premiers ministres. Cela n’est pas tout à fait absurde quand on considère que Jean Henry Céant devrait remettre sa démission comme Premier ministre, si sa politique générale n’est pas ratifiée par l’une des deux chambres. De plus, en cas d’un vote de non confiance de la politique générale, la procédure recommence. Toutefois, la constitution n’a pas précisé où elle devra recommencer.
Pour toutes ces raisons et bien d’autres encore, Monferrier Dorval plaide pour une nouvelle constitution et pour un nouveau régime politique. « Je souhaite qu’on passe à un régime présidentialiste encadré, avec un président et un vice-président», soutient-il. Cette nouvelle constitution, selon lui, devra réorganiser les collectivités territoriales pour qu’il y ait de vraies régions dans le pays. Entre temps, Haïti devrait se contenter de respecter les principes édictés par sa charte fondamentale sur laquelle les politiques ont beau fermer les yeux depuis un lustre.
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