Il est courant d’entendre parler dans les nouvelles de corps décapités ou même d’en voir les images sur les réseaux sociaux. Les spéculations les plus folles courent alors sur ce qui a bien pu arriver à la victime. Dans l’incapacité d’identifier le corps, la police ne donne généralement pas suite au dossier, du moins ne révèle pas les résultats de l’enquête si celle-ci a eu lieu. Comment alors le cadavre peut-il être identifié ?
L’affaire Vladjimir Legagneur est au point mort dans l’actualité. Jusqu’à date, ni la société, ni la famille ne sait avec certitude ce qui est arrivé au photojournaliste parti en reportage à Grand Ravine depuis le 14 mars dernier. Il n’en est plus revenu, alors que des histoires les plus tragiques abondent sur les circonstances de sa mort.
Selon les informations officielles, une enquête lancée par la police a conduit à l’arrestation de sept suspects avec le téléphone de la victime et la récolte d’ « un chapeau » ainsi que « des ossements » sur un terrain à Sillon où serait déroulé le crime.
Cette découverte aurait dû constituer un pas de plus pour faire avancer l’enquête. Car les « os » sont un indice précieux capable de fournir aux enquêteurs des informations plus ou moins précises sur ce qui s’est passé. Mais le directeur départemental de l’Ouest de la PNH avait apporté un bémol en expliquant que « ces ossements » devaient être vérifiés, pour savoir s’ils correspondent ou non à ceux de la victime.
Identifier une personne disparue à partir d’ossements, ce n’est pas sorcier. Il existe dans le monde – en Haïti aussi ? – des experts qualifiés pour faire ce travail qui reste un grand mystère chez nous. Les habitués des séries policières peuvent bien se faire une idée de la façon dont se déroulent généralement les enquêtes criminelles. Un cadavre est retrouvé quelque part. Alertés par un tiers, les policiers arrivent sur les lieux pour faire un premier constats. On délimite la scène du crime au moyen d’un ruban généralement de couleurs jaunes et noir.
Deux types de professionnels vont prendre le relais. D’abord, les techniciens de la police scientifique. Ils interviennent pour collecter des éléments de preuves et des indices. Ces éléments sont d’abord photographiés à leur emplacement avant d’être prélevés avec le plus grand soin pour être ensuite analysés au laboratoire dans les plus strictes normes de sécurité et de confidentialité. Ces techniciens se limitent à analyser tous les indices matériels et non-humains : douille de balles, armes à feu, armes blanches, vêtements, traces de pas.
Les médecins légistes, quant à eux, sont conviés pour s’occuper du cadavre et de tout autre élément humain : salive, sang, sperme, sueur, cheveux… L’activité de la médicine légale ne se résume pas qu’à pratiquer l’autopsie sur les cadavres. Il existe d’autres spécialités dans ce domaine comme l’anthropologie médico-légale qui se propose d’examiner les restes, notamment les os, pour identifier un individu porté disparu. Et c’est exactement cette expertise qui convient au cas de Vladjimir Legagneur, le photojournaliste disparu depuis le 14 mars.
Dr. Jean Armel Demorcy, l’un des deux spécialistes en médecine légale en Haïti, a expliqué le processus d’identification d’un individu décédé ou disparu à partir d’un os. « L’analyse se fait en plusieurs étapes. La première question à se poser : est-ce qu’il s’agit de l’os d’un animal ou d’un être humain ? Cette différence peut s’établir facilement. A partir du degré de décomposition ou de putréfaction de l’os, et au moyen de techniques très poussées, on peut aussi déterminer le temps écoulé depuis le décès, l’âge et le sexe de la personne. »
Pour parvenir à prouver que l’os retrouvé correspond effectivement à la personne disparue, les experts procèdent à la comparaison des prélèvements d’ADN effectués sur l’os et toute autre trace biologique laissée sur des objets que la personne utilisait de son vivant (peigne, brosse à dents, chaussures…) ; ils étudient aussi son dossier médical (radiographie, examens dentaires). Ces données peuvent être récoltées auprès de sa famille, des collègues ou de son médecin. Les spécialistes peuvent aller jusqu’à comparer l’ADN de la victime à celui de la famille, dans les conditions prévues par la loi, pour renforcer la crédibilité des résultats de leur analyses.
Une fois que l’identification est confirmée, Dr Demorcy, directeur de l’Institut médico-légal (IML) ajoute que l’analyse de l’anthropologie médico-légale peut apporter des informations sur les circonstances entourant la mort de la personne à partir des traces de maladies ou de blessures qui affectent l’os.
Pour réaliser des opérations aussi poussées, encore faut-il que l’on dispose d’outils de pointe qui ne sont pas toujours disponibles en Haïti. Créé depuis 2000, l’Institut médico-légal (IML) qui a établi son domicile dans un modeste bâtiment dressé sur le campus de l’Hôpital général, fonctionne presque toujours sans budget, avec un personnel relativement restreint et des ressources matérielles limitées. Il est doté d’une salle d’autopsie, d’une salle de radiographie et d’une chambre froide pour conserver les cadavres. Cette dernière, d’une capacité de huit corps est déjà insuffisante. « Le travail de l’IML se résume qu’à faire quelques petites autopsies, des études d’ADN », avoue Dr Demorcy. Une situation qui pousse l’institution publique à recourir assez souvent aux services de laboratoires à l’étranger pour le traitement de certains cas.
Un autre obstacle au fonctionnement de la médecine légale en Haïti est le manque de connaissance des acteurs quant à leurs rôles et responsabilités dans l’institution de l’enquête judiciaire. En vertu de l’arrêté présidentiel du 15 juin 2012 qui reconnait son existence officielle, l’IML est placé sous la tutelle du ministère de la justice. Lorsqu’une enquête est ouverte sur une affaire, c’est le commissaire du gouvernement qui doit demander l’intervention du médecin légiste pour l’analyse des scènes de crimes, l’autopsie du corps ou tout autre examen de médecine légale, avec la collaboration des techniciens de la police scientifique et les enquêteurs de police. Le rapport d’enquête sera utilisé comme preuve pour renforcer la décision du juge. « C’est un travail d’équipe. Mais ici, chacun se borne à faire son affaire dans son coin. Il y a très peu de communications institutionnelles entre les acteurs », déplore Dr Demorcy qui parle d’expérience. « Depuis 18 ans que je fais des autopsies régulièrement en Haïti, je n’ai jamais été convoqué à témoigner dans un procès ! »
Cette révélation pose la question de l’importance accordée aux connaissances scientifiques dans la recherche de la vérité en Haïti. Et Dr Jean Armel Demorcy se montre pessimiste quant à la volonté politique des dirigeants pour changer la donne et garantir la bonne marche de la justice. « La disparition de Vladjimir est un symptôme dans une maladie : l’impunité qui gangrène notre pays. […] et quand les crimes restent impunis et les criminels circulent en toute impunité dans le pays, c’est la stabilité de la société qui est menacée. »
Obed Lamy
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