Pas la peine de croire que c’était la première fois, pas du tout…. Néanmoins, c’était certainement la première fois que je me sentais si vulnérable. Vous avez déjà entendu une histoire pareille, mais pour une certaine raison la mienne ne veut plus rester secrète.
Je ne suis pas une personne timide. On dit souvent que je suis joviale, sociable et que mon sourire réconforte et rassure, donc tout porte à croire que je ne le suis, pas n’est-ce pas ?
Cette fois-ci, je n’avais plus le choix, tout était très bien planifié depuis des mois. Je ne pouvais plus revenir en arrière. Tout était déjà payé et le jour J s’imposait avec beaucoup de stress et d’austérité. Pas la peine d’y penser, le remboursement ne pouvait plus se faire à la dernière minute.
J’ai rencontré plusieurs de mes amies au comptoir, rien ne peut se faire discrètement, rien ne peut passer inaperçu. Finalement, Haïti est décidément trop petit. Toujours cette connaissance à chaque coin de rue, rien ne peut rester secret éternellement… J’aurais voulu ne pas avoir à les rencontrer, ne pas avoir à m’efforcer de sourire comme si tout allait bien. Bref, qu’on en finisse !!!
Nous étions assis et je ne me retenais plus. Je ne savais plus si j’étais enceinte ou pas, puisque mes émotions n’étaient plus contrôlables… Comme je l’ai lu plusieurs fois, seule une femme enceinte peut passer de la joie, la peur, le doute et entrer en état de choc en seulement 30 secondes… ce point-ci, faudrait le revérifier car il se pourrait que je sois actuellement éligible pour intégrer l’équipe : LI PA VINI… cela faisait déjà 2 mois.
Pour revenir à mon histoire, tout ce dont je me rappelle, c’est que ma première réaction fut de fermer les yeux. Je m’abandonnais malgré tout à cette angoisse, ce stress, cette expérience si bien connue, mais si peu familière à cet instant précis.
Cette sensation parcourait mes yeux, caressait mon visage et traçait sa courbe majestueuse dans mon cou. Il est certain que nul mathématicien ne saurait définir cette figure. Cela n’avait pas encore commencé, et j’étais déjà essoufflée. Mes jambes ne me tenaient plus, je ne voulais plus rien contenir. Je ne pouvais décrire cette chose. La seule certitude est que je n’avais jamais rien ressenti de pareil de toute mon existence. Maintenant, je la ressentais intensément, elle jouait avec moi, elle descendait tout au creux de mes seins, et étonnamment je ne savais plus si je pouvais la comparer à des caresses intimes…
Je me suis mise à trembler et tout de suite, je sus que c’en était fini. Je ne voulais pas faire cela en public, mais mes larmes m’avaient trahie, je ne contenais plus mes gémissements et dès lors je fus le centre d’attention de tous. Assise dans l’avion, je ne voulais pas partir, mais je n’avais pas le choix. Mon voisin le plus proche me demanda si c’était la première fois. Je ne faisais que secouer la tête en signe de négation. J’avais envie de crier avec rage : vous ne pouvez pas comprendre !
« Je laisse derrière moi mon frère que j’adore, mes nièces, mes amis, mon enfance… la ville des Cayes dont je ne suis guère rassasiée, mes souvenirs juvéniles, mes projets, ma carrière inachevée, ma maison, ma voiture… chaque détail, chaque personne, chaque objet, enfin tout. »
En ce moment précis, j’aimais désormais tout… même cet interminable embouteillage quotidien de deux heures dont personne ne comprenait la raison.
J’ai laissé mon pays, j’ai laissé Haïti, j’y ai aussi laissé mon cœur et une partie de moi-même. Mon seul réconfort était de savoir que ma petite famille était assise juste à côté dans le rang parallèle. J’aperçus le regard désespéré de mon mari essayant de me rassurer et ceux de mes enfants, surexcités à l’idée de recommencer ailleurs…
Mes larmes n’y changeront rien, je partais malgré moi en quête d’un bonheur familial commun et même envié par d’autres qui rêvent de laisser le pays…
L’avenir seul nous dira si le jeu en vaut la chandelle.
Steph-Nanny
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