Quand avons-nous perdu notre humanité?
Dans la commune de Carrefour, banlieue de Port-au-Prince, mars 2016, une bagarre éclate à la suite d’une dispute des plus futiles. Dans une course poursuite enragée, l’un des deux hommes lancera une machette qui sectionnera la veine jugulaire d’une petite fille de 14 ans revenue du marché. Décembre 2015, une jeune universitaire de 23 ans sera lâchement abattue et jetée du haut d’une montagne par ses kidnappeurs. Vaquer à ses activités quotidiennes dans les rues de Port-au-Prince devient un acte de bravoure, il faut vivre avec l’idée que sa vie est la propriété d’un autre et qu’à n’importe quelle minute, il peut décider de l’enlever. Nous vivons nos drames locaux aussi bien que les tumultes mondiaux et nous nous identifions aux victimes.
Au Kenya à l’université de Garissa, avril 2015, 142 étudiants ont laissés leur vie dans une attaque terroriste. Avril 2014, #Bringbackourgirls, la protestation a enflammée les réseaux sociaux, Facebook et Tweeter, des personnalités influentes du monde entier ont affichées leur support pour les 237 lycéennes nigérianes enlevées par des extrémistes à des fins terroristes. En novembre 2015, nous avons été Paris, attaque au Bataclan. Septembre 2015, nous sommes Aylan Kurdi. Le corps inerte dans un polo rouge, échoué sur une plage turque, a émut toute la planète, symbole d’un rêve, d’une quête de paix et de mieux-être. Aujourd’hui nous sommes Bruxelles suite aux explosions dans l’aéroport et dans le métro qui ont fait de nombreuses victimes. Mars 2015, nous sommes Hinche. Explosion d’une pompe à essence dû à une fuite de gaz, la presse internationale mettra l’accent sur notre négligence maladive. Samedi 19 mars 2016, 3 femmes sourdes muettes sont lapidées dans un canal d’évacuations au niveau de Cabaret, car elles ont été prises pour des loups-garous. Sans oublier les milliers d’autres victimes, péries en mer, transformées en bouillie dans des explosions, lynchées et brulées vives par la violence des autres. Ces victimes de la sottise humaine. Ces victimes sans visages, sans noms, qui continueront à hanter notre sommeil et qui nous porterons à nous questionner sur le destin de l’humanité.
Aux États-Unis les tueries s’amoncellent, les victimes aussi. Dois-je continuer à donner des exemples, le tableau est déjà assez sombre. Le monde est en ébullition et prêt à exploser. Le genre humain devient son pire ennemi. Nous vivons dans un chaos sans nom. Nous sommes à une impasse où l’humanité doit être remise en question. À quelle période de l’histoire avons-nous fait fausse route ? À vouloir tout contrôler, nous perdons le contrôle de tout. L’humain s’est pris dans son propre jeu, perdu dans sa spirale sans espoir de s’en sortir. Nous sommes devenus égoïste, matérialiste, hypocrite, jaloux, egocentrique et prêt à tout pour satisfaire nos plus basses envies. Le malheur de l’autre nous réjouit et nous réconforte. Nous avons carrément cessé d’exister.
Puisqu’il ne faut que l’irréparable pour nous ouvrir les yeux, le 12 janvier 2010 avait brisé toutes les distances. Nous étions un, comme les rares fois où ça nous arrive dans notre histoire de peuple. UN. Ni noir ni blanc, ni intellectuel ni illettré, ni riche ni pauvre. Pendant quelques instants, nous n’avions pas honte de nous contempler, nus, avec nos verrues au soleil. Mais quelques mois plus tard, le voile s’est levé, l’abime est réapparu. Nous sommes redevenus nous-mêmes.
Quand avons-nous perdu cette étincelle que Dieu a mise en nous, qui nous rendait capable d’éprouver de l’amour, de l’amitié, de la fraternité, du pardon ? À quel moment de l’histoire l’être humain s’est détourné de sa propre lumière, de son énergie ?
Aujourd’hui le monde ne produit que du Vide. Nous ne sommes que des boites vides, errant aux bouts du monde en quête d’exotisme, en quête d’une vie. Calendrier surchargé, voitures de luxe, inventions en tout genre, intelligence artificielle, et par-dessus tout, le besoin de pouvoir, de dominer l’autre, de l’écraser. Nous avons tout inventé dans le but de nous éloigner de nous-mêmes et des autres, nous avons gommés nos moindres moments de silence. Séries, films, livres, sorties, restaurants, voyages. Il ne faut surtout pas rester seul. Nous devons à tout prix courir, la solitude devient une maladie. La vie se vit à haut débit.
À quel moment Dieu a cessé d’être énergie et lumière pour devenir un concept? À quel moment nous avons priorisé le matériel sur le spirituel ? Quand et pourquoi avons-nous cessé de croire en l’avenir, d’avoir foi dans le genre humain ? Nous avons cessé d’apprécier le silence, la solitude, nous avons cessé de nous émerveiller, de voir la beauté du monde.
Le monde est aujourd’hui un chaos, il peut aussi bien être un lieu de silence, de méditation et de quête de soi. Si on le veut bien, si on y met un peu de soi-même, de volonté et de dépassement. L’humain est pour moi un champ d’étude et au quotidien j’observe. Dans la rue, je regarde les expressions, les traits, les yeux. Je vois des êtres consumés, nous avons laissé le champ libre à la haine, à l’envie, au ressentiment, au jugement. Nous avons perdu notre faculté d’apprécier.
Dans l’optique d’une meilleure réappréciation de la vie, une rencontre a totalement changé ma vision des choses au début de cette année 2016. Dans le cadre de mon travail de reporter, j’ai interviewé une femme connue dans le milieu artistique. J’étais frappé par sa simplicité, par les mots qui sortaient de sa bouche, par l’énergie qui se dégageait de sa personne, par la façon dont elle illuminait l’endroit où elle se trouvait. Quand je lui ai demandé si elle était consciente qu’elle charriait avec elle toutes ces ondes positives, elle m’a souri et m’a répondu : « j’avais fait fausse route, j’ai rebroussé chemin, aujourd’hui je pars à la quête de moi-même, de ma vérité, de mon énergie, de ma lumière. Je ne suis pas encore à destination mais je ressens déjà la douce chaleur des ondes, je commence à renaitre ».
Aujourd’hui plus que jamais, l’humanité doit retourner à ses racines. Nous avons fait fausse route, nous devons rebrousser chemin et partir avec de nouveaux objectifs. Ceux de nous apprécier mutuellement en tant que nation, de célébrer nos différences, nos points communs et l’apport de chacun de nous à la constante énergie qui se meut.
Construisons une seule et grande nation, Incolore, aux objectifs communs, aux défis communs. Conjuguons nos forces, apprécions nos faiblesses pour un monde nouveau car il ne s’agit plus de l’Afrique, de l’Europe, de l’Amérique, de l’Asie, de l’Océanie. Il s’agit de nous, Humains. Le chaos cogne à nos portes, à nous de décider si nous voulons ouvrir ou pas.
Soucaneau Gabriel
Journaliste/Penseur
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