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5 leçons pour Haïti tirées des travaux du prix Nobel de l’économie 2019

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Esther Duflo, 46 ans, vient de recevoir le prix de la Banque de Suède considéré comme le prix Nobel d’économie. Haïti a beaucoup à apprendre de ses travaux.

Esther Duflo partage le nobel d’économie avec son mari, l’économiste Abhijit Banerjee, et un autre économiste Michael Kremer, professeur à l’Université Harvard. Elle est la deuxième femme à recevoir ce prix, dans un secteur où selon elle il manque des femmes.

Si chaque année un ou des économistes reçoivent le prix, cette année, il est d’autant plus significatif qu’il récompense des travaux sur la pauvreté, un des défis majeurs de notre temps.

Ces trois économistes se sont attelés à trouver des méthodes innovantes pour évaluer les façons de réduire la pauvreté, un fléau qui concerne près de la moitié de la population mondiale. Ils ont reçu ce prix pour « leur approche expérimentale de la lutte contre la pauvreté dans le monde » selon l’académie royale des Sciences.

Des leçons pour Haïti

En Haïti, plus de 50 % de la population vit en situation de pauvreté et il manque une stratégie nationale efficace pour améliorer les conditions de vie de la majorité. Il y a lieu de s’inspirer du travail de ces économistes, celui d’Esther Duflo en particulier.

L’une des innovations d’Esther Duflo est l’introduction et l’usage d’expérimentations randomisées inspirées des essais cliniques pour l’évaluer des politiques publiques. Un des intérêts de son approche est de subdiviser le problème de la pauvreté en sous-problèmes ou questions prioritaires auxquelles on peut trouver des solutions efficaces. Cette approche pourrait être utile dans un pays comme le nôtre où la pauvreté se manifeste sous différentes formes qu’on peut adresser séparément.

Les contributions de Duflo ont poussé des pays à adopter des subventions importantes pour les soins de santé préventifs et ont permis à 5 millions d’enfants en Inde de bénéficier de programmes éducatifs. Des travaux de l’ancienne conseillère d’Obama et la plus jeune récipiendaire du plus prestigieux prix en économie, nous pouvons tirer les leçons suivantes.

  1. Le microcrédit ne marche pas. Esther Duflo a critiqué le microcrédit et l’initiative de la fondation Yunus de Muhammad Yunus qui était établi en Haïti aussi il n’y a pas longtemps. Selon elle, le microcrédit a le mérite de permettre d’emprunter aux pauvres, mais n’a pas un effet sur la pauvreté et ne permet pas de sortir de la pauvreté. Il s’agit d’une carte de crédit pour les pauvres.

    Le microcrédit ne marche pas.

  2. Le travail des Organisations Non-Gouvernementales sur le terrain doit permettre d’enrichir les connaissances qu’on a du terrain, servir de base pour des analyses et évaluer les projets et les politiques. Esther Duflo est connue pour ses expériences de terrain avec les ONG notamment. Ses expériences en Inde ont permis d’améliorer l’efficacité des campagnes de vaccination. Nous devons tirer à profit les expériences des ONG, les orienter en amont pour améliorer l’efficacité de nos programmes d’action publique.

    L’amateurisme et les solutions présumées n’ont pas leur place dans les politiques de lutte contre la pauvreté.

  3. L’amateurisme et les solutions présumées n’ont pas leur place dans les politiques de lutte contre la pauvreté et les politiques de développement. Les lauréats du prix Nobel d’économie de cette année se sont donnés pour mission d’utiliser les évidences scientifiques pour concevoir et évaluer les actions de lutte contre la pauvreté. Pour Abhijit Banerjee, corécipiendaire du prix et collaborateur de Duflo, les solutions validées expérimentalement qui sont en cours de développement sont « un antidote aux vœux pieux de toutes sortes ».Pour Duflo « une leçon fondamentale, c’est que la source des échecs de certains programmes tient souvent au défaut de réflexion et de soin apporté à l’élaboration du programme : il faut faire extrêmement attention aux détails. »
  4. Suite à une expérience en Inde en 2008, les observations d’Esther Duflo ont montré que les quotas sont utiles, car avec le temps les gens réalisent que les femmes sont plus compétentes qu’ils ne le pensaient et n’hésitent pas à en élire.

    Les quotas sont utiles.

    Le quota de participation des femmes est appliqué au niveau des mairies en Haïti, mais les dirigeants n’hésitent pas à violer la loi en en faisant fi dans la composition des cabinets ministériels.

    Des expériences peuvent être menées pour justifier ou renforcer l’implémentation du quota de participation des femmes en politique en Haïti.

  5. Les résultats d’une expérience commanditée par la police du Rajasthan qui voulait changer les rapports entre les policiers jugés corrompus et paresseux et le public de ladite localité ont montré que c’est possible d’avoir un impact sur le comportement de la police sur une période assez courte en utilisant une série d’interventions simples et peu coûteuses comme la stabilisation des affectations et la formation du personnel de police.

Photo couverture: Image non datée fournie par le Massachusetts Institute of Technology (MIT) d’Abhijit Banerjee et d’Esther Duflo, lauréats du Nobel d’économie photographiés à Boston (Massachusetts) / © MIT/AFP/Archives

Emmanuela Douyon est une spécialiste en politique et projets de développement. Elle a étudié à Paris-1 Sorbonne en France et à l’université National Tsing Hua de Taïwan. Emmanuela a travaillé dans plusieurs secteurs en Haïti. Elle est fondatrice du thinktank Policité et offre des consultations stratégiques en gestion et évaluation de projets. Outre ses activités professionnelles, Emmanuela est une activiste luttant contre les inégalités et la corruption. Elle intervient souvent dans les médias pour commenter l’actualité et analyser des questions économiques.

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