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40 ans après, la maladie qui a causé l’abattage des cochons créoles refait surface en Haïti

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Avant l’arrivée de la peste porcine africaine en Haïti dans les années 80, la population des cochons créoles était estimée entre un million cinq cent mille et deux millions

Au début du mois de septembre, Elicemond Semé, un habitant de la commune d’Anse-à-Pitre, a vu ses trois cochons trépasser sous ses yeux. « Un mardi après-midi, pendant que je sortais de l’école, je les ai vus en train de gigoter sur le sol. Ils ne pouvaient pas se mettre debout. C’est comme s’ils avaient une fracture au niveau de la hanche. Le jour suivant, ils sont tous décédés », témoigne le jeune Semé, avant de dire que ses cochons souffraient apparemment d’une maladie de « ren kase ».

Mais il en est autrement. En effet, pour la première fois depuis 40 ans, l’épidémie de la peste porcine africaine (PPA) est diagnostiquée en Haïti. C’est le ministère de l’Agriculture, des Ressources naturelles et du Développement rural qui en a fait l’annonce dans un communiqué de presse publié le 22 septembre 2021.

Le premier cas a été détecté dans la commune d’Anse-à-Pitre (Sud-Est), zone frontalière haïtiano-dominicaine où 286 échantillons de sang ont été analysés par le laboratoire américain Plum Island Animal Disease Center (PIADC). Selon les experts, cette maladie n’attaque pas les humains. Elle est propre aux cochons et aux sangliers qui sont deux animaux de la même espèce.

Jointe au téléphone, Lydie Gabriel, mairesse d’Anse-à-Pitre, dit constater le dégât qu’a causé la maladie dans sa commune. « Je connais des paysans qui ont perdu leur cochons par dizaines », affirme-t-elle.

La même histoire refait surface après plus de quatre décennies, car c’est ce même virus qui avait poussé les autorités de l’administration des Duvalier à abattre tous les « cochons créoles » de la République, au début des années 80.

Retour inattendu

Selon le vétérinaire Michel Chancy, le virus qui est responsable de la peste porcine africaine n’existe presque plus en Amérique. Il est plutôt présent en Chine, dans quelques pays en Europe comme la Belgique et l’Allemagne et en Afrique qui est son foyer d’origine.

« Le virus a été diagnostiqué pour la première fois en République dominicaine entre 1977 et 1978. Il a fallu attendre l’année suivante pour qu’il fasse son entrée en Haïti », a-t-il fait savoir.

Sans tarder, des pays comme le Canada, le Mexique et les États-Unis ont financé l’abattage de tous les cochons de l’île, notamment les cochons créoles d’Haïti.

« C’est pour éviter que la maladie se propage dans l’Amérique que ces pays ont pris cette décision. Ils avaient peur car c’est une maladie incurable et contagieuse. Il n’y a pas non plus un vaccin qui peut aider les pays à l’éviter », relate le vétérinaire avant de rappeler que la maladie a été auparavant au Brésil et à Cuba avant d’atteindre l’île d’Haïti.

Après la destruction totale des cochons créoles, le pays est déclaré libre du virus en 1984. Jusqu’à aujourd’hui. De l’avis Chancy, le virus aurait fait son retour dans le pays par le biais du commerce international.

« Il y a des bateaux et des avions qui transportent des marchandises partout dans le monde. Si ces marchandises ont été dans un pays ou le virus a été déjà déclaré, c’est possible qu’il se transporte d’un pays à l’autre. La maladie a donc pénétré nos frontières de la même manière que la covid-19 s’est propagée dans le monde entier en moins de trois ans », argue le médecin.

Lire aussi: Les cochons meurent dans le Sud d’Haïti

Trois épidémies différentes 

Il y a très peu de gens qui savent qu’il y a trois épidémies différentes dans le pays. À Anse-à-Pitre, les paysans contactés par notre rédaction parlent tous d’une épidémie de « ren kase ». Ignorance totale de la différence entre les maladies. Selon la mairesse de la commune, cela est dû au manque de moyens de la municipalité pour former les paysans.

Les épidémies qui attaquent les cochons sur le sol national sont la fièvre porcine africaine ou peste porcine africaine ; la fièvre porcine classique ou peste porcine classique et la maladie Teschen. Leurs symptômes sont similaires.

Le Teschen est introduit en Haïti en 2009, probablement par les soldats de l’ONU. Quand cette maladie attaque un cochon, elle cause la paralysie du train postérieur et des deux pieds. Le Teschen est moins contagieux et il a aussi son vaccin. Sa propagation est due à la négligence. C’est une maladie qui n’existe presque plus dans d’autres pays à cause de sa difficulté de transmission. Elle est transmise par les excréments, a fait savoir l’ancien secrétaire d’État.

Pour sa part, la peste porcine classique est entrée dans le pays en 1996. Quand un cochon est infecté, il a de la fièvre et meurt par paralysie. Selon le vétérinaire Chancy, il est difficile de faire la différence entre les trois sans consulter un laboratoire, puisqu’en termes de symptômes, il n’y a pas de grandes différences. Mais ce qui est sûr c’est qu’il n’y a pas de remède contre la fièvre porcine africaine et quand elle attaque un cochon, il meurt beaucoup plus rapidement.

Catastrophe économique

Les États-Unis, le Canada et le Mexique se sont débarrassés du virus. C’était pour eux une très bonne décision puisque l’abattage systématique de tous les cochons de l’île avait empêché la propagation de la maladie dans la région. Mais c’était l’une des plus grandes catastrophes économiques que la classe paysanne haïtienne ait connue depuis la déclaration de l’indépendance d’Haïti en 1804. «Cet abattage n’a pas seulement tué les cochons, mais l’économie haïtienne aussi», regrette l’ancien secrétaire d’Etat à la production animale.

Avant l’arrivée de la PPA en Haïti, la population des cochons créoles était estimée entre un million cinq cent mille et deux millions, selon les documents consultés par le médecin vétérinaire. Quand le virus est arrivé dans le pays, plus de 500 000 porcs avaient déjà succombé à la maladie. Le reste était abattu. « Il en restait très peu, soit 1% environ. C’étaient des cochons cachés dans des quartiers très éloignés de Port-au-Prince. Ils étaient trop peu nombreux pour repeupler la population porcine du pays », poursuit-il.

La destruction de ce grand nombre de porcs n’est pas restée sans effet. « Beaucoup d’Haïtiens avaient placé leurs avoirs dans l’élevage de porcs. Les cochons créoles étaient le carnet d’épargne de plus de 80% des paysans. Les abattre a été une grande catastrophe pour ceux qui en possédaient. D’ailleurs, cela a déclenché une crise qui allait déboucher sur la chute des Duvalier en 1986 », raconte Michel Chancy, dont les parents s’étaient exilés au Canada pour leur opposition au régime.

Une façon d’exclure les paysans

La peste porcine africaine n’était pas l’unique raison qui avait poussé les autorités de l’époque à détruire la race des cochons créoles. Il y aurait aussi eu d’autres motifs, dont « la modernisation de l’élevage des cochons ». Pour les hauts responsables du ministère de l’Agriculture de l’époque, l’élevage du cochon créole était archaïque; il fallait le moderniser en introduisant une autre race de porc dans le pays.

Pour le vétérinaire Chancy, c’était un prétendu motif purement et simplement. « S’ils avaient voulu moderniser l’élevage des cochons, ils l’auraient déjà fait. Ils n’auraient pas attendu que la maladie s’introduise dans le pays. C’était juste un prétexte », argue-t-il, avant de conclure que la vraie raison était d’exclure les petits paysans, au profit de certains agronomes qui voulaient investir dans le marché des cochons.

Il faut isoler la zone où les cas d’infection ont été diagnostiqués et ne pas vendre les cochons qui s’y trouvent

« Quand ils ont pris la décision de tuer les cochons, des agronomes haïtiens ont demandé un programme de repeuplement qui incluait les paysans et les cochons créoles. Le ministère de l’agriculture ne voulait rien entendre. Ils ont tué même les cochons non-infectés qui se trouvaient à l’île de la Tortue », analyse Chancy.

Mais c’était un mauvais calcul. « Haïti est déclarée libre du virus en 1984. En quelques mois, des cochons « grimèl » – venus des États-Unis – étaient ramenés au pays. Au même moment, les agronomes ont commencé à faire de gros investissements. Ils ont monté de grandes fermes. Mais ils ont fait faillite ».

Selon Michel Chancy, deux raisons principales expliquent cette faillite. Premièrement, ces cochons n’étaient pas adaptés au climat haïtien. Deuxièmement, l’exigence sur le plan nutritionnel n’était pas la même. « Les cochons créoles étaient plus faciles à nourrir. Ils s’engraissent dans la mangue. Ils étaient donc moins exigeants que les cochons américains. Ces derniers se nourrissent principalement du son de blé, un produit importé des USA qui coûtait à l’époque une fortune », explique le spécialiste.

De possibles solutions

Dans les années 80, il était moins difficile de se débarrasser des cochons créoles pour se libérer de la peste porcine africaine. Le régime dictatorial d’alors avait le contrôle de tout le territoire et les moyens nécessaires pour le faire. Mais aujourd’hui, de l’avis de Michel Chancy, l’État n’est pas à la hauteur parce que non seulement il n’a pas les moyens techniques pour le faire, mais il n’a pas aussi le contrôle de son territoire à cause du phénomène de banditisme.

L’ancien haut fonctionnaire conseille à l’État central et les mairies de faire des campagnes de sensibilisation et d’information auprès des paysans pour qu’ils puissent garder les cochons dans des endroits fermés et protégés, à l’abri des visiteurs. Ce, afin d’éviter les transmissions. De son avis, les autorités doivent être très vigilantes.  « Il faut isoler la zone où les cas d’infection ont été diagnostiqués et ne pas vendre les cochons qui s’y trouvent ».

On doit aussi commencer à penser à des alternatives, comme investir dans l’élevage d’autres animaux. « Il faut se préparer à un éventuel carnage au sein de la population des cochons», a-t-il conseillé avant d’annoncer que des scientifiques pensent à créer des races de porcs qui sont plus résistantes à ces maladies. «Mais cela reste un projet à long terme», poursuit-il.

Pour l’ancien secrétaire d’État à la production animale, l’éradication peut être une solution, mais elle reste irréaliste vu la situation actuelle d’Haïti. « Même en cas d’éradication, il n’y a aucune garantie que la maladie ne reviendra pas après. D’autres pays touchés ne l’ont pas encore éradiquée. Cette alternative a un coût énorme du point de vue technique et financier. »

Photos: Carvens Adelson / Ayibopost

Plus connu sous le nom de Jim Larose, Jimmy est auteur, juriste, professeur d’anglais et journaliste-rédacteur à AyiboPost depuis septembre 2021. Passionné de la plume, il prépare son premier ouvrage titré : « Essai sur la chute libre d’Haïti et son système éducatif »

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