SOCIÉTÉ

16 mois après, la cellule scientifique pour la gestion du coronavirus peine à faire entendre sa voix

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La plupart des recommandations de cette cellule n’ont pas été prises en compte 

Seize mois après son installation, la cellule scientifique n’a toujours pas de budget de fonctionnement. Aucun matériel de travail n’est non plus mis à la disposition des spécialistes qui composent cette entité créée pour gérer la crise sanitaire du Covid-19. Aujourd’hui, la cellule ne se réunit plus.

« Notre dernière rencontre officielle remonte au début du mois d’août, à la sortie d’un document qui est un cadre de référence sur le covid-19 en Haïti », précise Jean Hugues Henrys, un membre de la cellule. Ce document, dont ils sont tous co-auteurs, met en exergue une idée du travail qui a été réalisé pour contrer l’évolution de la pandémie dans le pays.

On a fait de notre mieux pour accompagner dans la gestion de la crise sanitaire, c’est ce qui compte

Toutefois, les propositions et recommandations formulées dans l’ouvrage ne sont pas toutes mises en application par les autorités sanitaires. « C’est parce que la cellule n’a aucun pouvoir de décision dans les faits », révèle le docteur Jacques Boncy, directeur du laboratoire national, et coordonnateur de ladite cellule. A cause de ce constat, il estime que la société haïtienne ne développe pas de bons rapports avec la science.

Une cellule pour la forme

La cellule scientifique a été rendue publique en avril 2020. Elle a tout de suite dressé un état des lieux assez critique de la pandémie en Haïti. Les scénarios estimaient que trois millions de personnes pourraient être infectées du coronavirus et au moins 20 000 pourraient en mourir, si les mesures préventives n’étaient pas respectées.

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De nombreuses recommandations ont alors été formulées sur tous les aspects pour mitiger les dégâts. « Ces recommandations ont été produites sur la base de nos expertises et des avis scientifiques émis à partir des données probantes », explique Jacques Boncy.

Jean Hugues Henrys, épidémiologiste, souligne toutefois que la plupart des mesures recommandées n’ont pas été acceptées. « Nous  ne pouvons rien exiger, regrette le président de l’Association médicale haïtienne (AMH). Nous autres spécialistes, nous ne faisons que des propositions au Ministère de la Santé publique et de la Population (MSPP) qui est le seul à décider ». Ainsi, la cellule n’avait pas un rôle d’exécution, mais d’accompagnement.

« Le gouvernement prend des décisions opérationnelles », reprend Boncy qui tente d’expliquer pourquoi certaines décisions auraient été mises de côté.

« Au moment de décider, il y a des facteurs qui vont jouer. Au-delà du point de vue scientifique par exemple, il y a l’aspect politique qui est très important. Donc, indépendamment du contexte général, des capacités financières, économiques et sociales, on peut s’attendre à ce que certaines recommandations soient appliquées, et que d’autres soient différées ».

Haïti et science

Dans un pays de traditions et de savoirs empiriques comme Haïti, la création d’une cellule scientifique aurait dû représenter une rupture, au profit de la science. Mais la réalité est que plus d’une année après, la cellule scientifique reste inexistante auprès de la population.

Le gouvernement prend des décisions opérationnelles

Les membres de la cellule accusent le manque de communication. «Accentuer sur la communication pour faciliter la compréhension des gens permettrait de changer en même temps leurs comportements vis-à-vis de la science », estime Jacques Boncy. Celui-ci ajoute que pour cela, « il est nécessaire de traduire le langage scientifique en langage courant ».

C’est d’ailleurs en ce sens que la cellule de la communication a recommandé, mais en vain, des campagnes de communication aux autorités. « Mais il y a eu des problèmes de financement de ces campagnes qui elles-mêmes sont coûteuses. »

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Pour pallier ce problème de financement, le sociologue Alain Gilles propose d’avoir recours aux investissements. Il faut, dit-il, « encourager le secteur privé à appuyer la recherche et la formation, tout en évitant que cet appui ne constitue, à long terme, un obstacle à l’autonomie du champ scientifique ». Surtout que c’est un domaine très utile.

Jacques Boncy est du même avis. Il juge qu’au lieu de rejeter la médecine traditionnelle qui fait partie de nos mœurs, la science peut aider à la perfectionner.

Pour le futur

En dépit de tout, les membres de la cellule scientifique se réjouissent de leur travail. « On a fait de notre mieux pour accompagner dans la gestion de la crise sanitaire, c’est ce qui compte », soutiennent-ils.

Selon leurs dires, aussi longtemps que le coronavirus sera d’actualité, la cellule le sera aussi. Pour sa part, Boncy estime que celle-ci devrait être non seulement renouvelée, mais maintenue après la pandémie. Car d’après lui, Haïti devrait avoir des scientifiques qui siègent auprès du gouvernement, à l’instar d’autres pays de notre région.

« On ne peut se permettre d’adopter officiellement les recommandations des agences internationales. Il faut des expertises et analyses locales pour trancher sur des situations particulières», explique-t-il.

Le professeur Alain Gilles partage aussi cet avis. Mais plutôt que de limiter à une simple commission ou cellule, l’auteur de « L’État et la constitution d’un champ scientifique » propose qu’on passe à une association haïtienne pour l’avancement des sciences. « Ce mouvement scientifique doit poursuivre des objectifs sur les plans culturels, institutionnels et politiques », recommande-t-il. 

Rebecca Bruny

Photo de couverture: haitiliberte.com

Rebecca Bruny est journaliste à AyiboPost. Passionnée d’écriture, elle a été première lauréate du concours littéraire national organisé par la Société Haïtienne d’Aide aux Aveugles (SHAA) en 2017. Diplômée en journalisme en 2020, Bruny a été première lauréate de sa promotion. Elle est étudiante en philosophie à l'Ecole normale supérieure de l’Université d’État d’Haïti

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