Quand les bandits ont attaqué, plusieurs sont entrés chez Joceline. Il était une heure du matin
Avertissement : cet article contient des descriptions sensibles et potentiellement pertubantes.
En trois ans, des membres de gang ont sexuellement agressé Cassandra deux fois.
La première fois, c’était le 4 juin 2021, à Martissant. Elle était enceinte de son troisième enfant.
La seconde fois remonte au 10 mai 2024. Deux bandits sont entrés chez elle, dans la commune de Gressier. L’un s’est jeté sur sa sœur qui était présente. L’autre l’a abusée tout en la frappant parce qu’elle pleurait.
Les cas de viols perpétrés pendant les attaques armées contre la population sont très fréquents ces dernières années.
Il n’existe aucune statistique officielle, mais les organisations d’accompagnement de Port-au-Prince en reçoivent des dizaines, parfois des centaines, après les événements les plus violents.
La violence sexuelle sert à « étendre et consolider le contrôle [des gangs] sur certaines zones », peut-on lire dans un rapport des Nations Unies publié en octobre 2022.
Les cas de viols perpétrés pendant les attaques armées contre la population sont très fréquents ces dernières années.
Quand les bandits ont attaqué la ville de Gressier dans la nuit du 10 au 11 mai 2024, plusieurs sont entrés chez Joceline. Il était une heure du matin.
La dame dormait encore quand l’un des hommes a pénétré dans sa chambre. Il l’a forcée à avoir des rapports sexuels avec lui, arme à la main, prêt à la tuer au cas où elle voudrait résister.
Deux mois après cette tragédie, Joceline n’a toujours pas eu ses règles.
Elle attend encore.
Mais elle présente plusieurs symptômes de grossesse.
« Je ne me sens pas bien, dit-elle. Je me sens fatiguée. Je n’arrive pas à m’asseoir pendant longtemps, j’ai des nausées et j’ai l’impression que mon ventre grossit ».
Joceline contemple l’avortement « avec frayeur ».
Déjà anémiée, elle ne veut pas que la procédure se passe mal au point de lui coûter la vie.
Pour mettre toutes les chances de son côté, elle devrait être suivie par un médecin. Ce qui se fera dans la clandestinité parce que l’article 262 du Code pénal haïtien fait de l’avortement un crime. Pour se libérer de tout doute, la dame voudrait déjà commencer par faire un test de grossesse.
Mais les moyens lui manquent.
« Je ne suis d’ailleurs toujours pas allée à l’hôpital depuis mon viol », confie-t-elle à AyiboPost.
Je ne me sens pas bien. Je me sens fatiguée. Je n’arrive pas à m’asseoir pendant longtemps, j’ai des nausées et j’ai l’impression que mon ventre grossit.
– Joceline
De Martissant à Gressier, en passant par Mariani, son périple l’a complètement dépossédée de tous ses biens. Même de ses deux fils âgés de quinze et de cinq ans.
Alors qu’elle loge chez une amie à Fontamara, Joceline est obligée de les laisser chez sa mère qui n’est pas en mesure de l’aider davantage.
Bien au contraire, eux trois comptent sur elle pour survivre.
Lire aussi : En Haïti, avorter est un crime. Les femmes en paient les frais.
Aucune statistique officielle n’existe, mais la violence prend généralement ses victimes dans les quartiers les plus pauvres. Les institutions dédiées à l’accompagnement des victimes croulent sous les demandes.
AyiboPost a rencontré Piskilin jeudi dernier au Réseau national de défense des droits humains (RNDDH).
Mère de deux filles, une adolescente de quatorze ans et une fillette de quatre ans, la dame est prise d’une soudaine migraine en cours d’interview.
« J’ai mal à la tête », crie-t-elle, n’arrivant plus à continuer son récit.
En juin 2021, les gangs de Grand-Ravine, de 5 segonn (secondes) et de « Ti bwa » (Petit bois) se sont affrontés à Martissant, quartier situé au sud de Port-au-Prince.
Pendant plusieurs jours, ils ont pillé, incendié et tué des dizaines d’habitants de la zone. Plus de 50, selon le Centre d’analyse et de recherche en droits humains (CARDH). Un neveu de Piskilin fait partie des victimes. Les bandits l’ont assassiné devant elle. Ils ont découpé le corps, puis y ont mis le feu.
Aucune statistique officielle n’existe, mais la violence prend généralement ses victimes dans les quartiers les plus pauvres. Les institutions dédiées à l’accompagnement des victimes croulent sous les demandes.
Quelques années plus tard, soit en mai 2024, trois membres de gangs ont violé Piskilin dans sa nouvelle maison à Gressier.
Les malfrats ont obligé sa mère à assister à la scène. Celle-ci a fait un accident vasculaire cérébral sur le coup et se retrouve paralysée depuis.
« C’est encore une vraie torture pour moi de parler de tout cela», confie Piskilin, la voix cassée par l’émotion. « J’ai mal à chaque fois que j’essaie », endure-t-elle.
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Depuis qu’elle a fui Gressier avec sa famille, Cassandra vit dans l’arrondissement de Darbonne à Léogâne.
L’ancienne vendeuse de produits alimentaires loge chez un proche avec son mari et ses deux fils après avoir envoyé sa fille chez une tante.
Malgré le soutien de leur hôte, le couple peine à se relever.
« Aujourd’hui, je dépends des gens pour tout, regrette Thomas. Même pour nourrir mes enfants ».
La situation semble tout autant alarmante pour Piskilin. Ses deux filles ont perdu toute une année scolaire. Elle n’arrive pas à prendre soin d’elles comme elle le voudrait.
Mais en tant que mère célibataire, elle ne peut compter que sur elle-même.
« Le père de ma première fille est mort, dit-elle. Celui de ma deuxième fille vit à Jacmel depuis trois ans. On ne se parle plus ».
C’est encore une vraie torture pour moi de parler de tout cela. J’ai mal à chaque fois que j’essaie.
Malgré tout, Piskilin espère leur offrir ce qu’elle n’a pas eu la chance d’avoir.
À commencer par une mère. « J’ai connu ma mère quand je suis tombée enceinte de ma première fille. J’ai toujours vécu chez une tante qui ne m’a jamais envoyé à l’école et m’utilisait comme domestique ».
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Pour empêcher ses enfants de vivre la même chose qu’elle, Piskilin fait en sorte d’être proche d’elles le plus possible. Elle dit avoir tout expliqué à sa fille aînée.
« Elle sait pourquoi nous sommes obligées de vivre chez un étranger aujourd’hui. Elle sait que j’ai été violée. Elle sait tout ».
Comme les autres femmes de ce reportage, Piskilin tient l’État pour responsable de ce qui lui est arrivé. Elle se distancie des tractations politiques actuelles. « Je n’espère plus rien de leur part », déclare-t-elle à AyiboPost.
Par Rebecca Bruny et Widlore Mérancourt
Image de couverture : Lors de l’attaque des bandits au Champ-de-Mars le 8 mars 2024, des membres de la population, dont cette femme, se sont abrités, la peur visible sur le visage. | © Jean Feguens Regala/AyiboPost
Visionnez ce reportage d’AyiboPost sur la situation des femmes dans les camps à Port-au-Prince :
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