La « crise sismique » annoncée par les experts n’est pas une bonne nouvelle.
Plus de 170 secousses sismiques ont été enregistrées dans la région du grand Sud du pays, du 22 au 29 janvier 2022. Ces secousses n’ont pas toutes été ressenties par la population, vu certaines magnitudes très peu élevées. Une quarantaine d’entre elles, de magnitude 3,5 jusqu’à 5,5 ont pu être remarquées. C’est ce que révèlent les données du site Ayiti séisme, qui fournit en temps réel des informations sur l’activité sismique dans le pays.
Dans les régions déjà fortement touchées par le tremblement de terre du 14 août 2021, des souvenirs terrifiants ont refait surface. La plupart des secousses y ont eu lieu. Selon Eric Calais, directeur de recherche à l’Institut de recherches pour le développement, la région du sud, notamment Anse-à-Veau et les Nippes, connaît une « crise sismique ». Les tremblements de terre se suivent en cascade.
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D’autres régions du pays, comme le Cap-Haïtien, ou Port-au-Prince, ont connu également des secousses bien que beaucoup moins fréquentes. Cette nouvelle période d’activité sismique fait craindre le pire, même si en réalité personne ne peut prévoir la suite.
Des anomalies
La crise sismique, comme l’appellent les spécialistes, ne concerne pour le moment que les régions d’Anse-à-Veau et des Nippes. « Nous n’avons pas observé un regain d’activité en République dominicaine, par exemple », explique Eric Calais.
Cependant, selon le professeur à l’école normale supérieure à Paris, certains faits sont assez curieux : « Après l’événement de [ce lundi], on ne s’attendait pas à avoir autant de séismes ressentis. Nous avons observé une séquence de sismicité anormale. C’est un peu curieux parce que normalement après un séisme il y a toujours des répliques, mais elles sont moins fréquentes et de magnitude plus faible. »
Il y a eu une cascade au début du 18e siècle, poursuit Eric Calais. En 1701, en 1751, deux fois, en 1770. C’est un peu inquiétant parce qu’on a eu 2010, puis 2021, et maintenant on connaît cette crise.
Les chercheurs sont encore en train d’analyser les données recueillies, mais le professeur Calais avance une explication probable. Après le tremblement de terre du 14 août 2021, des failles jusque-là inconnues ou inactives sont entrées en activité. C’est un effet de cascade que connaissent déjà certaines régions du monde. Ainsi en Italie, en août, octobre, décembre 2016 et janvier 2017, une série de secousses a frappé presque la même région, au centre du pays. Les dégâts étaient considérables.
Selon Eric Calais, la crise d’Anse-à-Veau n’est pas directement liée à la même faille qui a rompu en 2021. « Les informations indiquent que c’est une faille secondaire, informe-t-il. Mais le scénario probable est que le 14 août a modifié les forces dans la croûte terrestre et a activé cette faille secondaire. Quand on regarde la répartition des épicentres de la crise actuelle, on voit qu’ils sont en dehors de ce qui s’est passé en août. Les failles ont des directions différentes. »
La fréquence des secousses connues pendant la semaine n’indique pas toutefois qu’il faut se préparer à un tremblement de terre de magnitude supérieure à venir. Mais elle ne l’exclut pas non plus, vu qu’en l’état actuel des instruments sismographiques, on ne peut rien prédire. « On ne peut pas tirer de conclusions dans un sens ou dans un autre, prévient Eric Calais. Ce qu’il faut, c’est rester prudent. »
Inquiétudes pour Port-au-Prince
Au Cap-Haïtien, le 24 janvier dernier, la plupart des écoles ont renvoyé les élèves, tant une situation de panique s’était déclarée après une secousse ressentie. Cela a fait remonter dans les esprits la menace qui plane sur cette région du pays. En effet, il est prévu depuis longtemps que la faille septentrionale, qui traverse le nord d’Haïti, entre en activité. Même si prédire est impossible, la faille a emmagasiné assez d’énergie pour être destructrice quand elle se rompra.
Cependant, la prudence est aussi importante pour Port-au-Prince. Le séisme de 2010 n’empêche pas qu’un autre tremblement de terre ait lieu, plus tôt qu’on pourrait s’y attendre. La faille Enriquillo, responsable des dégâts de 2010, ne s’est rompue que partiellement.
Quand on regarde la répartition des épicentres de la crise actuelle, on voit qu’ils sont en dehors de ce qui s’est passé en août. Les failles ont des directions différentes.
« En 2010 l’épicentre était à Léogâne et la partie de la faille Enriquillo qui est entrée en activité n’est pas celle qui traverse Port-au-Prince. Pour faire simple, le segment qui part de Gressier à Pétion-Ville n’a pas rompu depuis au moins 250 ans. Et on sait, grâce à la géodésie spatiale, qu’elle accumule de l’énergie à la vitesse non négligeable de 7 millimètres par an », confirme le spécialiste.
Parce qu’elle accumule de l’énergie depuis tant d’années, ce segment peut engendrer un séisme d’une magnitude 7 et plus, sur l’échelle de Richter. En 2010, la première secousse était de magnitude 7.3, sur cette échelle.
C’est un peu curieux parce que normalement après un séisme il y a toujours des répliques, mais elles sont moins fréquentes et de magnitude plus faible.
L’effet de cascade est un deuxième élément à prendre en compte dans le risque sismique de Port-au-Prince. Il suffit parfois d’un tout petit séisme pour en provoquer un autre. « Il y a eu une cascade au début du 18e siècle, poursuit Eric Calais. En 1701, en 1751, deux fois, en 1770. C’est un peu inquiétant parce qu’on a eu 2010, puis 2021, et maintenant on connaît cette crise. Il y a peut-être cette cascade, et la question est de savoir combien de temps cela va durer. »
Les calculs des chercheurs montrent que les forces géologiques ont augmenté au niveau du segment de faille de Port-au-Prince, depuis 2010.
Mieux connaître les risques
À cause de tous ces aléas sismiques qui planent au-dessus d’Haïti, des chercheurs de la Faculté des sciences de l’Université d’État d’Haïti ont collaboré avec des homologues étrangers pour mettre en place un réseau de capteurs sismiques. Une quinzaine de sismographes contrôlent et enregistrent en continu les secousses, dans différentes régions du pays.
La crise sismique, comme l’appellent les spécialistes, ne concerne pour le moment que les régions d’Anse-à-Veau et des Nippes.
Steeve Symithe est l’un des responsables de ce réseau. D’après lui, ces capteurs sont d’une grande utilité. « Nous avons commencé à nous équiper depuis 2010, dit-il. Le bureau des mines a des appareils professionnels, mais ils coûtent cher, et demandent une maintenance constante pour laquelle il n’y a pas assez de techniciens qualifiés. On s’est aperçu que le réseau ne fonctionnait pas très bien ainsi. »
C’est ainsi qu’a eu lieu le projet d’installer ces capteurs chez des volontaires. « Maintenant ils fonctionnent en réseau avec les appareils du bureau des mines. Nous les avons installés chez des personnes qui nous garantissent de l’électricité et une connexion internet en continu. Puis notre base de données en ligne se met à jour automatiquement, sur le site Ayiti séisme. »
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Grâce à ces capteurs, non seulement les nouvelles secousses sont enregistrées, mais des failles jusque-là inactives ou inconnues peuvent être mises au jour. « Si nous observons un tremblement de terre dans une zone où il n’y en avait pas avant, cela nous permet de faire des recherches pour comprendre s’il s’agit d’une nouvelle faille. Ces informations sont utiles aussi pour la construction, car elles donnent des détails sur le sol. »
Ce programme met à contribution des « sismo-citoyens », qui offrent bénévolement d’héberger les capteurs. Selon Steeve Symithe et Eric Calais, il y a un besoin d’installer plus de capteurs, qui permettra de couvrir un espace géographique plus grand. La précision des informations en dépend. « On veut surtout aller dans les zones les plus reculées, explique Symithe. Si des gens peuvent nous garantir le courant et l’internet, ce sera très utile. »
Photo de couverture: A Marceline, les restes de la maison de la Manbo Yolande s’étalent sur la chaussée, lors du tremblement de terre du 14 août 2021. Feguenson Hermogene
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