Je marchais dans les rues mal éclairées et cyniques, incapable de trouver le moindre signe d’une âme qui vive. Après ce qui me parut une éternité, je fus attirée par des cris et des bruits sourds. Je me suis retrouvée, dans une grande cour avec un « potomitan » autour duquel des hommes et des femmes en transe dansaient et chantaient. J’assistais mi‑fascinée, mi‑effrayée au spectacle quand brusquement une femme m’ordonna de me joindre à la mêlée. Je ne me fis pas prier, et me voilà exécutant une chorégraphie que tous semblaient connaitre pourtant moi, je ne l’avais jamais apprise. J’étais la vedette de la soirée, je me déhanchais sans réserve, enivrée par le rythme endiablé du tambour. Mais tout à coup, la foule se mit à reculer, en me pointant du doigt l’air menaçant. Ils scandaient tous : « Elle n’est pas des nôtres ».
Je me suis réveillée en sursaut à ce moment‑là, et je n’ai plus fermé l’œil jusqu’au petit matin. Je ne pouvais m’empêcher de penser à l’étrangeté de ce rêve. J’essayais de trouver une explication plausible et je me rendis compte que mes pensées convergeaient toutes vers cette soirée‑spectacle d’Erol Josué à laquelle j’avais participé récemment. En effet, j’avais passé un excellent moment, et sans mentir la voix de cet homme mêlé au tambour m’avait bouleversée. Sans honte aucune, faisant fi de ce que pourrait penser certains des spectateurs, je m’étais laissée aller à exécuter quelques pas de folklore. J’avais ressenti de l’émotion et une connexion particulière lors de la prestation de ce chanteur atypique également « prêtre vodou ».
Vodou, rien que de prononcer ce mot me fait peur. Ça me fait automatiquement penser à loup‑garou, guede, zombis, possession, méchancetés entre autres. Vodou est un mot et une réalité que je rejette de toutes mes forces. J’éprouve même une certaine honte à être associée au vodou. Je me souviens un peu plus jeune, avoir très mal pris le commentaire d’un français qui, dès que je lui ai fait part de mes origines, m’a assaillie de questions sur le sujet et a tout de suite conclue que j’étais une pratiquante.
Le Vodou, moi je ne connais pas. Je ne sais pas de quoi vous parlez. Le vodou n’est pas un trait identitaire de l’haïtien. Ma famille et moi sommes catholiques apostoliques romaines.
Moi, je suis catholique, une vraie qui ne joue pas sur les deux tableaux comme le font tant d’autres de mes compatriotes. Cependant, je suis prise au piège, car j’apprécie la musique racine et la musique vodou. Je m’identifie culturellement à elle, et elle fait vibrer mon âme malgré moi. J’aurais dû suivre les conseils salutaires des conseillers spirituels et éviter de m’empoisonner de ces chansons néfastes pour mon salut.
J’ai fait fi de leurs recommandations et voilà qu’aujourd’hui, je suis confuse. Le vodou n’
Je me reproche souvent mollement de n’avoir jamais tenté d’appréhender le vodou sous un angle plus rationnel et plus savant. Et si le vodou n’était pas qu’une religion, mais plutôt un pan de notre patrimoine culturel et ancestral? Il semble en tout cas être une base caractéristique de la créativité du peuple haïtien, produisant des chants, danses, tableaux, masques, objets d’art entre autres. Il engendre une production riche et variée souvent méconnue par des locaux, mais hautement valorisée par des étrangers à la recherche d’exotisme et de beauté artistique. Donc loin d’être un hideux fardeau attaché de force à nos origines, il pourrait contribuer à une puissante industrie touristique et culturelle si jamais nous nous adonnions à une promotion sérieuse et sans complexe de sa richesse.
Peut-être
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[1] Nan domi, le récit d’une initiation vodou
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