Ce sont des gangs qui exploitent illégalement les carrières de sable du versant nord de Morne l’Hôpital, selon le Directeur général du Bureau des Mines et de l’Energie. Il affirme que c’est à la Police d’intervenir. Entre temps, des travailleurs et une famille risquent leur vie sous la carrière de « Madan Ganot », souhaitant une amélioration de leur situation.
Marcelin est noir et blanc. En réalité, il est surtout couvert de blanc. Néanmoins, on peut voir par moment la noirceur de sa peau contrastant à la couche poudreuse qui le recouvre. Marcelin est porteur de sable à Madan Ganot, une carrière située au versant nord du Morne l’Hôpital, dans les hauteurs de Fontamara.
Jésula a sa face tournée vers Marcelin. Pourtant elle ne le regarde pas. Elle essaie plutôt de finir la lessive qu’elle commence à peine. Elle n’a pas trop d’habits à laver de toute façon. Penchée sur ses deux bassines usées, elle semble oublier cette montagne de sable dont le point culminant ondule à quelques mètres de sa tête. D’ailleurs, sa maison entièrement faite de tôles est située au pied de cette carrière de sable qui épouse jalousement la forme d’une grotte.
A l’instar de Marcelin, le mari de Jésula travaille par à-coups dans cette large mine de sable gérée par Elie Toussaint. C’est ce qui explique le prix dérisoire de ces dix brouettes de sable entassées à côté des cuvettes de Jésula: elles ne coûtent que cent gourdes. Pourtant, selon Marcelin, le prix normal d’une seule brouette est de 35 gourdes. Avec ce sable empilé devant la maisonnette, Jésula et sa famille peuvent espérer bâtir un jour une vraie maison. Toutefois, subsistera encore le risque de l’écoulement du sable.
Derrière un rideau vert qui protège mal l’intimité du logis, on peut curieusement remarquer la fillette et la petite nièce de Jésula qui jouent dans la baraque. Elles jouent sous une pente qui peut déboulonner à n’importe quel moment. Mais Jésula s’efforce comme tous les gens qui habitent les zones à risques, d’oublier son malheur. « M pa vrèman pè pou sab la pa tonbe sou nou non, paske yo di m li la avan 12 janvye », affirme-t-elle d’un ton peu rassuré. Il arrive parfois que d’autres parties du sable s’écroulent. «Sa konn rive sab ki akote nou yo tonbe. Lèkonsa, tout tè a tranble. Pafwa sa konn rive a minwi, tout moun reveye, epi oblije kouri kite kay yo epi pran deyò», confie Jésula.
Selon Elie Toussaint, tenancier de la mine, le propriétaire de la terre loue des espaces situés sous la carrière sans tenir compte de la sécurité des locataires. « Le propriétaire loue tout espace vacant. Il n’a pas de conscience, ce qui compte avant tout pour lui, c’est l’argent qu’il va gagner en affermant la terre », déclare Elie Toussaint, qui est aussi locataire.
Elie Toussaint a passé un contrat d’extraction du sable pour une durée de deux ans renouvelables. S’il avoue avoir seulement trois ans depuis qu’il exploite la mine, des travailleurs affirment qu’il gère la carrière depuis plus d’une vingtaine d’années. « On peut affermer soit pour exploiter la mine, soit pour construire sa maison. Moi j’ai un contrat d’exploitation avec le propriétaire de la terre », explique Elie, assis à trois mètres de Jésula.
Pour rencontrer Elie, il faut savoir grimper, puis, avoir un peu de foi. Une longue corde accrochée quelque part, sert d’ascenseur. Elie Toussaint, appelé Pè Elie par les habitants de la zone, est assis là-haut entre deux hommes qui doivent être dans la quarantaine. Son regard est plongé dans le sable qui reçoit à rythme régulier des coups de pioches. Equipé de pelles, ses quatre employés essaient de remplir difficilement un camion.
Ces travailleurs s’aventurent sans protection et sans des kits de secours sous la mine. Ils ne sont pas aussi poussiéreux que Marcelin à cause de la sueur qui débarrasse par intermittence leur visage du sable.
Risquer sa vie pour peu
« Moi je ne suis pas fournisseur », déclare Marcelin, qui veut dire en réalité qu’il ne creuse pas la mine, mais plutôt qu’il se contente de transporter le sable. Depuis plus d’un an Marcelin frôle les aléas de la carrière comme si le bonheur se cachait sous le sable. Pourtant, il risque sa vie pour peu. Sous la demande des gens qui construisent, il peut livrer jusqu’à dix brouettes par jour. Vu que la brouette ne coûte que 35 gourdes, il ne gagne pas plus de 350 gourdes par jour malgré l’ardeur de son travail.
Ernso quant à lui récupère les miettes de sable disséminées sur le sol après que certaines parties de la mine soient renversées. Donc, au lieu de piocher directement la carrière, Ernso scrute la terre. Les nombreux plis sur son visage très noir révèlent surement son ancienneté dans ce métier. « M gen plis ke 8 lane depi m’ap travay nan min lan », confie-t-il. Déterminé à remplir ses sacs, Ernso semble être anesthésié contre les rayons féroces du soleil qui lui giflent le crâne. Le sable qu’il transporte dans des anciens sacs de riz lui rapporte tellement peu, qu’il est obligé de s’improviser souvent en maçon, et en casseur de pierre. Là au moins, il est sûr de gagner 250 gourdes en vendant toute sa journée de travail. « M konn lwe jounen m pou kase wòch pou fè gravye. M konn pran anviwon twa semenn pou m fè sa. Men kòb m fè yo pa janm depase 2 mil goud », explique Ernso.
Ernso se rappelle encore du jour en 2001 où il a été enseveli sous une avalanche de sable dans la mine. « Sab la kouvri m, epi l kraze pye m’ », relate tristement le travailleur. « Se lòt travayè yo ki kouri retire sab sou mwen, epi mennen m lopital », poursuit Ernso. Après quatre ans de répit, Ernso n’avait pas d’autre choix que de retourner sous la mine pour gagner son pain quotidien.
Désorganisation de l’Etat
Elie Toussaint exploite la mine comme activité de retraite. Il est celui qui délimite les endroits exploitables de la mine à cause du danger que certains endroits de la carrière représentent. « Haïti n’a pas d’experts en matière de mine. Donc, j’ai dû moi-même interdire l’exploitation de certains coins de la mine », explique-t-il. Elie Toussaint ne se retient pas quand il s’agit de critiquer la désorganisation de l’Etat. « Malgre tout kontak mwen genyen, ak tout efò m deplwaye, Biwo min ak enèji (BME) pa janm livre m yon sètifika pou pèmèt mwen eksplwate min lan legalman ». Il informe même qu’aucune mine du pays n’a l’autorisation de l’Etat,« Tout min k’ap fonksyone nan peyi a, ap fonksyone nan klandestinite. Si w wè BME fèmen min Laboul la, se paske lè kamyon yo ap pase ak sab la, se sou wout laboujwazi ak chèf peyi a yo pase», précise Elie Toussaint, qui a également travaillé pendant longtemps aux environs de Laboule. Ainsi, il pense que la non-régulation des carrières par l’Etat constitue un manque à gagner pour celui-ci. « Leta soti pa benefisye anyen de min yo », ponctue-t-il. Néanmoins, Elie Toussaint dit savoir qu’à n’importe quel moment l’Etat peut lui demander de verser un pourcentage sur toutes les années exploitées antérieurement.
Elie Toussaint pense que c’est à cause de l’irresponsabilité de l’Etat que des gens comme Jésula risquent leur vie, en habitant sous la mine. « Onètman, mwen swete Leta Ayisyen vin responsab. Mwen menm ki nan sab la se pa paske m vle ki fè m la. Nan Leta k’ap fè peyi m pa t dwe la san ankadreman », affirme-t-il d’un ton sérieux. Contacté par Ayibopost, l’ingénieur Claude Prépetit, directeur général du Bureau des Mines et de l’Energie, raconte une histoire diamétralement opposée à celle d’Elie. M. Prépetit confirme que le BME livre des permis que pour certaines zones autorisées. Par contre, il explique que l’extraction de sable est interdite dans plusieurs mines telles que Decayette et Madan Ganot (versant nord du Morne L’Hôpital), le versant sud du Morne l’Hôpital, ainsi que les carrières qui sont sous les pylônes électriques. « Pour l’instant, ce sont des gangs qui exploitent ces carrières, ils n’ont pas de permis d’exploitation. Donc, c’est à la police d’intervenir », a déclaré d’un ton ferme, le Directeur général du BME.
Entre temps, Jésula et sa famille s’obstinent à espérer que le sable incliné sur leur tête continue à résister contre la pesanteur. D’autres maisons s’érigent aussi en attendant que l’Etat puisse gérer la situation. Derrière Jésula qui continue lentement sa lessive, on peut déjà observer des murs qui ne manquent qu’un toit pour être habités. Aujourd’hui, Elie Toussaint se souvient encore de ce 5 juillet 2018, où un de ses employés a perdu la vie sous la mine, pioche en main, en quête d’un mieux-être.
Patrick Michel
Comments