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Une firme italienne a reçu des centaines de millions de gourdes de l’État haïtien pour zéro résultat

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Le consortium Federici Mera Munoz Fondeur devait construire le pont le plus long de la Caraïbe en Haïti, ainsi que le tronçon Saint-Marc – Gonaïves

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Le consortium Federici Mera Munoz Fondeur pouvait sabler le champagne après avoir été choisi en 2005 par le gouvernement de transition, conduit par Boniface Alexandre et Gérard Latortue, pour construire « le pont le plus long de la Caraïbe en Haïti ».

Le projet faisait partie des travaux de réhabilitation de la route nationale numéro 1.

Selon le livre blanc du gouvernement dont AyiboPost a obtenu une copie, un montant global de plus d’un milliard de gourdes a été payé directement au consortium Federici Mera Munoz Fondeur, la firme italienne en charge de la réalisation des travaux.

Le pont ne sera jamais construit. Et la route ne sera réhabilitée qu’en 2008, avec des fonds tirés du programme PetroCaribe.

Les paiements au consortium ont été faits par le Ministère de l’Économie et des Finances (MEF) sur requête du ministère des Travaux publics, Transports et Communications (MTPTC).

D’une part, un montant de 667 millions de gourdes a été décaissé du Trésor public pour la réhabilitation des 45 kilomètres du tronçon Saint-Marc – Gonaïves. Les travaux ne devaient pas dépasser douze mois, selon le contrat signé le 2 février 2005 entre l’État haïtien et la firme.

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D’autre part, un second accord est paraphé en novembre 2005 avec la même entité pour la construction en sept mois d’un pont de 1,5 kilomètre de long à l’entrée sud des Gonaïves à Savane Jonc. Le montant pour ce projet était fixé à 628 millions de gourdes.

« Les travaux de réhabilitation du tronçon Saint Marc-Gonaïves avaient commencé bien avant 2005 avec le consortium, se rappelle Fritz Adrien, ministre des Travaux publics à l’époque. Ces activités bénéficiaient alors d’un financement de la Banque mondiale. »

En 2000, la Banque s’était retirée du projet par suite des problèmes politiques qui embrasaient le pays, souligne Adrien.

« En 2005, le gouvernement de la transition prend la décision de réactiver le même contrat avec la firme, mais cette fois, avec un financement de l’État haïtien, à partir des fonds du Trésor public », précise l’ancien membre du gouvernement.

Fritz Adrien était personnellement au courant du versement d’une avance de 30 % à la Firme Federici Mera Munoz Fondeur pour le lancement de la construction du pont. Les fonds ont été dilapidés alors que ce projet visait à résoudre, en partie, le fréquent problème d’inondation de la ville des Gonaïves. Par exemple, la ville a été submergée en 2008 à cause des cyclones Ike et Hanna.

La firme italienne Federici Mera Munoz Fondeur n’existe plus en Haïti depuis l’arrêt de ce projet en 2006. Elle n’a pas de site internet ni de contact disponible sur le web. AyiboPost n’a pas pu rentrer en contact avec David Serrudo, le représentant de la firme de construction lors de la signature du contrat en 2005.

Enold Dorsainville est ingénieur résident dans la ville des Gonaïves. Il a participé à la supervision des travaux, mais n’a pas voulu donner d’interview à Ayibopost. « Déjà 17 ans, je ne me souviens pas de tout », réagit-il.

Pour l’ingénieur Bernard Chancy, directeur de la Société LGL SA, une entité haïtienne, sous-contractant local qui assurait la supervision des travaux, les fonds décaissés pour la route et la construction du pont n’ont pas réellement été investis dans le projet.

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La Cour supérieure des Comptes et du Contentieux administratif (CSC/CA) n’a pas communiqué à AyiboPost des données sur les dépenses allouées à l’exécution du projet.

Carla Francesca Erié, responsable de communication à la Cour Supérieure des comptes, n’a pas pu confirmer pour AyiboPost l’existence d’un quelconque rapport d’audit sur la gestion de ces fonds, même après plusieurs recherches.

« La Firme avait des difficultés pour démarrer à temps les travaux de construction du pont, explique l’ingénieur Fritz Adrien. Le projet a finalement démarré en janvier 2006 alors que cette même année, il y a eu des turbulences politiques ». Le consortium a uniquement pu faire la fondation et placer quelques poteaux, informe l’ancien ministre.

Le pont devait traverser Gonaïves en passant par Savane Jonc, zone régulièrement inondée lors des saisons pluvieuses. La route allait être surélevée et devait permettre la circulation des eaux saisonnières de la région de Savane Jonc, fait savoir Fritz Adrien, ministre d’alors des Travaux publics Transport et Communication (MTPTC).

Après les dégâts causés aux Gonaïves par les cyclones Ike et Hanna en 2008, l’administration du défunt président René Garcia Préval, a utilisé une partie des fonds PetroCaribe pour aménager la route des Gonaïves.

Selon l’ancien ministre du MTPTC, les travaux réalisés par le gouvernement de Préval ne peuvent pas durer dans le temps. « Le pont était la meilleure solution pour faire face à l’inondation dans la zone de Savane de Jonc. » Aussi, la menace d’inondation des Gonaïves est encore présente.

À noter que la dernière inondation des Gonaïves remonte à juin 2022. Selon le bilan officiel, la montée des eaux avoisinant 1,50 mètre a endommagé une quinzaine d’écoles et inondé 1 300 maisons. 3 000 familles ont été affectées.

Fenel Pélissier est avocat au Barreau de Petit-Goâve, professeur de langues vivantes et passionné de littérature.

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