Une affiche publicitaire géante pour la boisson énergisante « RED » focalise l’attention de certains et crée le malaise chez de nombreux citoyens de la ville des Cayes (Sud d’Haïti). Placé à l’entrée de la cité touristique, un des quatre « billboards » de la série a subi les foudres d’un mécontent qui a aspergé de peinture bleue la partie visible du bas ventre de la femme estimée en trop.
L’affiche incriminée représente une jeune femme en sueur, arborant une tenue légère, la peau huilée, les seins gonflés, le nombril creux, dans un cadre rouge s’apprêtant à se défaire de ce qui ressemble plus à une culotte qu’un mini-pantalon. Ses yeux, dissimulés sous la visière de sa casquette semblent se tourner vers la boisson RED en bas et à droite du cadre. Sa langue tirée sensuellement et ses mains agrippées à son « shorty » sexy, visiblement impatient de dévoiler son trésor, confèrent à l’affiche une touche sexuelle indéniable. Une impression que vient confirmer la mention « Pi rèd », inscrite en grandes lettres dans la partie supérieure de l’affiche.
Manifestement, cette publicité s’adresse aux hommes. La jeune femme lascive est ici utilisée comme appât par association. Une interprétation plausible voudrait que boire « RED » attire irrésistiblement la femme qui à la simple vue de la boisson serait prête à faire tomber la culotte. L’endurance sexuelle est aussi mise en avant comme une des qualités de la boisson notamment avec la mention « Pi rèd » ; une référence directe et non voilée à la rigidité du sexe masculin jouant subtilement sur la consonance avec le nom du breuvage. RED exploite stratégiquement pour cette campagne les clichés sociaux de l’obsession masculine pour l’endurance, leur passion supposée pour la porno et le culte de la femme haïtienne parfaite devant afficher des cheveux longs et lisses, la peau claire, le ventre plat, le postérieur plantureux et les jambes fortes.
Pour être honnête, les publicitaires ayant élaboré cette affiche jouent avec des stéréotypes très répandus mondialement et dont l’enracinement dans la société haïtienne est avéré. On se souviendra de la controverse qu’a suscitée en janvier 2005 la Brasserie Nationale d’Haïti (BRANA) avec une affiche géante montrant les fesses quasi nues d’une femme et sa bouteille de bière Prestige à la main sur une plage. À l’époque, selon le président de cette compagnie, Michael Madsen, l’indignation d’une partie de la société civile tenait de l’« émoi (…) chez des censeurs et des ligues féministes en mal d’occupation réelle ».
Et il a en partie raison : le rabaissement de la femme, devenue un simple et vulgaire objet sexuel, dénudée dans la publicité et les vidéoclips ne provoque pas l’horripilation ni de rejets véritables au sein de la majorité. À la limite, protesteront sans conviction ni conséquences certains religieux et quelques organisations de défense des droits humains. Pour autant, il n’est pas enfoui dans l’inconscient collectif aucun lien entre le rabaissement et l’infériorisation de la femme et l’inégalité entre les sexes, les violences conjugales, le viol, l’inquiétant chômage des femmes, l’idée de leur cantonnement à la sphère privée, leurs marginalisations des espaces de prise de décision, etc.
Alors, pourquoi autant de bruit autour de cette affiche « Pi rèd » ?
La meilleure hypothèse nous vient de son emplacement. Elle se situe juste à côté de l’église catholique Saint Michel à l’entrée de la ville. L’idée de placer devant la maison de Dieu la photo géante d’une jeune femme à moitié nue dans une pose suggestive limite concupiscente peut séduire quelques brebis égarés, mais ne recueille pas l’unanimité au sein de l’assemblée. Cette hypothèse est confortée par le fait que la même affiche, plantée à une centaine de mètres plus loin avec cette fois-ci son double masculin n’a pas été vandalisée.
Ainsi, ce n’est pas la dignité de la femme foulée au pied, ni l’exploitation de son corps, encore moins la transformation de celle-ci en objet de consommation sexuel qui fait débat et exaspère. L’on s’émeut principalement de la sensibilité des prêtres et des fidèles égratignées dans leur vertu. La perpétuation des clichés sexués et l’asservissement de la femme importent donc peu. Ce serait à en pleurer si nous ne savions pas tous que l’Église catholique restait encore au 21e siècle la championne incontestable de l’émancipation féminine.
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