POLITIQUE

Un projet de Constitution téléguidé par le Palais national

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La concentration du pouvoir entre les mains du président et « l’immunité éternelle » réservée aux anciens officiels, ouvrira la voie à des actes de corruptions, selon l’avocat pénaliste Guerby Blaise

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La nouvelle constitution dont rêve le président Jovenel Moïse impose un président omniprésent aux citoyens haïtiens. Il s’agit, selon l’avocat pénaliste Guerby Blaise, d’un empiétement de l’exécutif sur tous les autres pouvoirs qui sont censés être indépendants. L’avocat assure avoir recensé une cinquantaine d’articles concentrant le pouvoir aux mains de l’exécutif.

De plus, si officiellement c’est le comité consultatif indépendant (CCI) qui élabore la nouvelle charte, l’ombre du palais national plane au-dessus des constituants, en la personne de Guichard Dore, conseiller du président. C’est ce que dévoile une source proche de la structure dirigée officiellement par l’ancien président Boniface Alexandre, aux côtés de Mona Jean, Louis Naud Pierre, Hérard Abraham et Jean Emmanuel Éloi.

Pourtant, lors de l’installation du CCI, le 30 octobre 2020, Jovenel Moïse déclarait que « Le comité n’aurait d’ordre à recevoir de personne ». Selon notre source, Guichard Doré se rend fréquemment aux réunions du comité pour imposer la volonté du palais national. Le conseiller de Jovenel Moïse a même participé à la correction de la première version du document rendu public.

Seule Mona Jean se serait opposée à l’omniprésence de celui qui, en novembre 2020, lors d’une interview sur Magik 9, clamait que « le chef de l’État est le chef de tous les autres pouvoirs ». La travailleuse sociale arguait avoir une réputation à sauvegarder. Mais sa voix n’a pas trouvé écho favorable auprès de ses pairs.

La présence de Guichard Dore n’est pas la seule trace de l’implication du palais national dans le processus. L’intégration de la diaspora pour l’émergence d’une nouvelle Haïti (IDENH) milite pour la participation de la diaspora dans les affaires du pays. Mais, à la tête de cette organisation nouvellement créée, on retrouve Valérie Mazile, la fille de Yves Mazile, le chef de protocole du palais national.

Au mois de janvier 2021, sous l’auspice de cette organisation, le congrès de la diaspora s’est tenu à Port-au-Prince. Il a eu lieu dans le même espace où travaille le CCI à l’hôtel KINAM. La majorité des participants venaient de la République dominicaine et leur prise en charge en Haïti (transport, hôtel et per diem) a été assurée par l’État haïtien. En outre, cette délégation a été emmenée par le consul général d’Haïti à Santiago, James Jacques.

Dans la nouvelle constitution, le président joue à la fois le rôle de chef de l’État et de chef de gouvernement, selon l’article 133. Il est présent partout, au sein du système judiciaire, au Conseil constitutionnel, au conseil électoral provisoire, à l’Armée et à la Cour supérieure des comptes.

Il désigne le chef d’État-major des forces armées d’Haïti, le directeur général de la police, entre autres.

Ces choix ne sont soumis qu’à un examen de l’Assemblée nationale. Si dans un délai de quinze jours après la réception de la proposition de ces noms, l’assemblée ne les examine pas, ou ne les refuse pas à la majorité des 2/3 des suffrages exprimés, ces nominations sont automatiquement effectives.

Dans la Cour constitutionnelle, le président garde le privilège de désigner trois des neuf membres, et quatre des neuf juges de la Cour supérieure des comptes. Quant au Conseil électoral permanent, la Constitution de Jovenel Moïse prévoit onze membres, venant des dix départements et de la diaspora. Mais c’est le président qui choisit les conseillers, à partir d’une liste de trois noms qui lui est soumise.

Sous couvert d’anonymat, une dirigeante politique qui se connaît en constitution souligne qu’un président aussi omniprésent ne peut être autre qu’un dictateur ayant le contrôle de tout.

C’est ce que croit aussi le sociologue et professeur d’université, Ilionor Louis. Il voit « une menace de dictature » qui plane sur le pays. Comme Louis, l’avocat pénaliste Guerby Blaise parle d’une « constitution polluant la démocratie en Haïti » puisqu’elle consacre tous les pouvoirs entre les mains d’un seul homme.

Impunité, référendum…

La Constitution proposée par le président consacre l’impunité pour les dirigeants. Le président de la République, les ministres et les secrétaires d’État, ou un député ne pourra faire objet d’une poursuite judiciaire même après la fin de son mandat ou sa révocation. Or le président Jovenel Moïse est lui-même accusé de corruption, par la Cour supérieure des comptes.

Selon l’avocat pénaliste Guerby Blaise, le cocktail formé par la concentration du pouvoir entre les mains du président et « l’immunité éternelle » réservée aux anciens officiels, ouvrira la voie à des actes de corruptions, de trafics d’influence et d’achats de postes favorables à des criminels et des trafiquants de toute sorte, en quête d’échappatoire pour se soustraire à la justice.

Par ailleurs, si dans la Constitution de 1987 le mot référendum n’est écrit qu’une seule fois — pour l’interdire, dans la nouvelle il est une opportunité où le citoyen « exerce directement les prérogatives de la souveraineté ».

Cet attachement au référendum inquiète l’historien Georges Michel qui rappelle qu’en Haïti, le référendum a toujours été utilisé par des dirigeants ayant une velléité dictatoriale et qui souhaitent se maintenir au pouvoir.

Pour lui, accepter un retour à l’organisation de référendum dans le pays, c’est ouvrir la voie à ce que chaque président puisse changer la loi mère du pays à sa guise.

Le mardi 13 avril 2021, le bureau intégré des Nations-Unies en Haïti a exprimé sur Twitter quelques réserves concernant ce référendum.

« À ce stade, le processus n’est pas suffisamment inclusif, participatif ou transparent. L’appropriation nationale du projet de constitution exige l’engagement d’un éventail plus large des acteurs politiques, sociétaux y compris les groupes de femmes et religieux dans tout le pays », lisait-on dans un tweet du compte officiel du BINUH.

Cette absence d’inclusivité revient régulièrement dans la bouche de ceux qui critiquent le processus. Certains personnages de la société civile dénoncent également un projet concocté par les responsables politiques, sans réelle implication des différents secteurs de la vie nationale.

Nos tentatives pour interviewer Mona Jean et Louis Naud Pierre sur la question n’ont pas abouti.

Photo de couverture : Valérie Baeriswyl

Poète dans l'âme, journaliste par amour et travailleur social par besoin, Samuel Celiné s'intéresse aux enquêtes journalistiques.

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