L’arrêt du chantier à la fin du mois d’août s’explique par un manque de moyens financiers et des conflits entre membres du comité de gestion
Les inondations autour du canal de Ouanaminthe en octobre mettent en lumière les faiblesses techniques de l’ouvrage et ravivent le débat sur la nécessité d’achever les travaux relancés par la population après l’assassinat de Jovenel Moïse en 2021.
Des contributeurs haïtiens et étrangers ont déjà versé près d’un million de dollars américains et environ 43 millions de gourdes au comité de coordination de l’initiative, plus important mouvement de solidarité entre Haïtiens, après le tremblement de terre de 2010.
L’arrêt du chantier à la fin du mois d’août s’explique par un manque de moyens financiers et des conflits entre membres du comité de gestion, déclare à AyiboPost le coordonnateur du projet, Moïse Joseph.
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Des personnalités tentent de créer un nouveau comité de gestion pour finir la construction du canal sur la rivière Massacre, mais Joseph, un des bénéficiaires directs des fonds déjà collectés avec sa compagnie de construction, ne prend pas part aux négociations.
Si les travaux nécessaires ne se réalisent pas, « le canal de Ouanaminthe ne tardera pas à disparaître », a récemment révélé à AyiboPost Simon Mauclès, un des ingénieurs du projet.
Cinq sources impliquées dans le projet, dont un autre ingénieur et un représentant de l’État haïtien, insistent pour la réalisation d’une évaluation et l’implémentation de « corrections en profondeur ».
Le seuil permettant de réguler le débit et le niveau de l’eau du canal se retrouve sur une fondation inadaptée, selon un procès-verbal du ministère de l’Agriculture, des Ressources Naturelles et du Développement rural (MARNDR) obtenu par AyiboPost.
« En cas de lessivage sous la fondation, la parafouille, érigée pour protéger le seuil, peut s’effondrer », analyse à AyiboPost une source proche du MARNDR informée des travaux. Cette source demande l’anonymat parce qu’elle ne détient pas d’autorisation pour parler à la presse.
Le seuil permettant de réguler le débit et le niveau de l’eau du canal se retrouve sur une fondation inadaptée
La construction du seuil au passage habituel de la rivière (le lit mineur) en obstruant le lit majeur peut également entraîner une augmentation de l’eau en hauteur. Si cette eau se déverse en amont, elle peut engendrer des inondations.
Le bassin de décantation, qui empêche l’accumulation de boues et de déchets à l’intérieur du canal, doit être plus profond que l’intérieur du seuil.
À plusieurs niveaux, les parois externes du canal ne sont pas remblayées et peuvent entraîner une stagnation de l’eau, en cas de pluie ou de crue.
La République dominicaine exploite 3,22 mètres cubes d’eau par seconde du débit de la rivière Massacre, selon un document officiel du gouvernement dominicain, daté de mai 2021.
Cette quantité d’eau, qui « dépasse la moitié du débit moyen de la rivière évalué à 5,34 mètres cubes par seconde », est prélevée à travers une dizaine de prises, la plupart directes, sur la rivière.
Ces prises totalisent 38,10 kilomètres de canaux et affaiblissent le débit reçu par le canal de Ouanaminthe.
La République dominicaine exploite 3,22 mètres cubes d’eau par seconde du débit de la rivière Massacre
Ceci peut, éventuellement, conduire à une faiblesse de l’eau en aval du chantier dans certaines situations extrêmes.
Toute réduction drastique du débit va mettre en péril la biodiversité, selon le spécialiste en droit international de l’environnement Maismy-Mary Fleurant.
Le mur gauche en gabion sur les berges du canal est construit sans semelles et s’avère moins stable que requis – ce qui pose un risque en cas d’érosion de la fondation par l’eau de la rivière.
La source du MARNDR conseille la disposition de gabionnage sur 100 mètres des deux côtés de la rive afin d’empêcher l’érosion de la berge. Cependant, les techniciens n’envisagent pas ces renforcements, faute d’argent.
La hauteur de l’eau en amont du seuil de cet ouvrage hydraulique ne semble pas avoir été prise en considération lors de la construction.
Ce défaut peut provoquer l’inondation, car à mesure que le seuil retient l’eau, cette dernière peut contourner le gabion.
Faute de moyens financiers, les techniciens ont abandonné le projet d’érection d’un déversoir pour retenir l’eau en cas de remplissage du seuil.
Deux portes installées à l’entrée du canal permettent de contrôler l’accès à l’eau. Ces portes sont aujourd’hui défoncées à cause de la mauvaise qualité des matériaux.
La porte située sur la prise est trop loin et représente une « erreur technique », observe l’ingénieur Gilles, évoquant la nécessité d’une modification. Plusieurs sources remettent également en question la qualité de l’acier utilisé dans certaines parties du travail.
La construction du canal a démarré en 2018 sous le gouvernement de Jovenel Moïse.
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Les travaux vont s’arrêter à plusieurs reprises, soit pour manquements au contrat liant l’État haïtien aux firmes de construction, soit à cause des conflits diplomatiques engendrés avec la République voisine, formellement opposée à la construction.
À terme, le canal doit permettre l’irrigation de 3 000 hectares de terres dans la plaine de Maribahoux.
Ces travaux nécessitent une étude d’impact afin de mesurer leurs incidences et d’identifier les mesures d’atténuation adéquates aux problèmes environnementaux qui peuvent survenir.
Ni le pays voisin, ni Haïti n’ont mené d’étude de ce genre, selon Maismy-Mary Fleurant, un spécialiste ayant récemment sorti un livre sur le canal.
Cette étude d’impact reste importante, car Haïti a un devoir d’information vis-à-vis de la République dominicaine, d’un point de vue du droit international.
Si on ne peut pas prouver que le canal ne cause aucun dommage, cela peut amener à un arbitrage international et poser des problèmes à Haïti, prévient le professeur Fleurant.
Cette étude d’impact reste importante, car Haïti a un devoir d’information vis-à-vis de la République dominicaine, d’un point de vue du droit international.
Les travaux à réaliser s’accumulent dans un contexte d’indisponibilité de fonds et d’essoufflement des donations.
Le président du comité du canal, Moïse Joseph, affirme avoir fourni un « cahier de doléances » au Premier ministre par intérim, Gary Conille, contenant le devis et le coût des travaux restants lors de sa visite du chantier, le 23 août 2024.
« Si le comité est solide, l’État n’a aucun intérêt à l’écarter », pense la source qui espère une synergie entre la population et l’État en vue d’adresser les problèmes techniques.
Image de couverture : Image générée par © Freepik
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