La semaine dernière, le nouveau chancelier dominicain, Miguel Vargas, a rendu visite à Haïti. Il s’agit de tout son premier voyage à l’étranger depuis son installation comme ministre des affaires étrangères de son pays. Reçu au palais national par le chef de l’Etat Jocelerme Privert, les deux hommes ont discuté de beaucoup de sujets relatifs aux relations entre les deux pays, et particulièrement le commerce.
« Le moment est venu pour les deux nations de discuter sérieusement d’un traité pour dynamiser le flux commercial entre les deux pays, pour un commerce sans entrave, sans objection et au-delà des normes établis par le commerce international »[Le nouvelliste]. C’est par ces mots que M. Vargas en a profité pour proposer aux autorités haïtiennes un traité bilatéral régissant le commerce entre les deux pays partageant l’ile.
Quelle arrogance ! Le ministre dominicain est venu nous proposer une convention bilatérale, mais avant même la négociation, les discussions devant déboucher sur la conclusion de cet accord commercial, il entend fixer unilatéralement les règles du jeu. Haïti doit conclure un accord commercial bilatéral avec son voisin dominicain, oui ; mais « sans entrave, sans objection et au-delà des normes établis par le commerce international », non. Haïti n’est pas prêt à s’engager sur cette voie.
Un traité commercial n’est pas un traité d’amitié. Et d’ailleurs, même les accords de paix et d’amitié comportent des clauses dont leur violation entraine nécessairement la responsabilité internationale de la partie fautive. Bref, les traités commerciaux bilatéraux sont des engagements auxquels les Etats sont parties, ils sont tenus de respecter chaque clause. C’est en vertu des clauses des traités en question, du droit du commerce international et du droit international general que seront réglés les éventuels litiges qui peuvent surgir dans le cadre de l’opérationnalisation du commerce entre les deux Etats.
Donc comment conclure un traité commercial sans tenir compte de ces considérations ? Tout accord commercial qu’Haïti doit conclure avec d’autres pays doit nécessairement être établi selon les normes du commerce international et du droit international général, pas au-delà de ceux-là. Il ne faut pas interpréter le voyage du ministre dominicain en Haïti comme la preuve d’une amitié sincère de son pays. Loin de là. Il est venu pour le commerce et les intérêts de son pays. Le commerce n’a pas d’odeur. Haïti est le deuxième marché le plus important pour les produits et services dominicains. C’est normal que les autorités dominicaines essaient d’influencer ce marché.
Quand on est un Etat faible, on doit opter pour un droit fort. A remarquer que lors des débats au sein de l’Assemblée générale des Nations Unies portant sur la démocratisation du système international, les petits Etats en general plaident pour l’existence d’un « état de droit international », c’est-à-dire, un système où les interactions entre les sujets de droit (Etats et OI) sont guidées par la prééminence du droit ; un droit fort qui permet de juger les Etats en cas de manquement à leurs obligations internationales. Pourtant, de grands Etats comme les Etats-Unis ne sont pas toujours du même avis. Ils inventent inlassablement des acrobaties juridiques pour essayer de faire obstacles à l’idée d’un droit fort. Aujourd’hui, entre la République dominicaine et Haïti, il y a une différence importante dans nos rapports de force. La Republique Dominicaine dépasse Haïti sur plusieurs points essentiels : technologie, économie, armée etc. Haïti doit avoir le droit comme arme de combat.
Même si le droit international est considéré par certains comme un simple serviteur de la politique juridique extérieure des Etats ; même si le droit apparait de plus en plus sous son jour instrumental [Guy de la Charrière, 1983], le droit international existe et sa juridicité ne peut être contestée. Prenons un exemple: le droit a permis à la minuscule île de Nauru (population 9378) de se défendre contre l’Australie alors que ce dernier dispose d’un pouvoir économique et politique bien supérieur. Grace à l’égalité procédurale devant le tribunal, Nauru a pu remporter l’audience et avoir gain de cause [Affaire Certaines terres à phosphate à Nauru, CIJ, 1992]
Une autre affaire aussi intéressante de la primauté du droit qu’on peut prendre ici en exemple est celle relative aux Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua, [Nicaragua c. Etats-Unis, CIJ, 1986]. Dans cette affaire, la Cour a conclu que les Etats-Unis ont violé non seulement le droit international humanitaire et le droit international général, mais aussi plusieurs articles d’un Traité portant sur l’amitié, le commerce et la navigation signé à Managua le 21 janvier 1956 entre les deux Etats en question. La Cour reproche aux Etats-Unis d’avoir privé ce traité de son but et de son objet et de l’avoir vidé de sa substance même, en imposant notamment un embargo général sur le commerce en 1985. La Cour a condamné les Etats Unis à verser une indemnité de 370,2 millions de dollars au Nicaragua.
Ces deux affaires illustrent de manière claire l’importance du droit dans les relations internationales. Seul le droit aurait permis au Nicaragua d’avoir raison du géant nord-américain ; Nauru non plus n’aurait pu avoir gain de cause face à l’Australie en l’absence de l’application du principe de l’égalité procédurale.
Donc, Haïti doit être très prudent au moment de la négociation et de la conclusion des accords commerciaux avec ses partenaires. Il lui faut des juristes expérimentés et des négociateurs internationaux habiles pour bien analyser les textes avant de les signer afin d’éviter au pays déjà incapable de subvenir à ses besoins primaires le risque de se retrouver empêtré dans des complications et/ou contrait de payer des sommes faramineuses en cas de manquement (involontaire) à ses obligations.
Moise Jean, juriste internationaliste
Professeur au CEDI et à l’ANDC
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