SOCIÉTÉ

STOP à l’autodénigrement!

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Je vais vous faire un aveu. Je pourrais vous en faire plusieurs mais cet article ne parle pas de moi. Alors voilà: j’aime mon pays de tout mon cœur. L’odeur des embruns au bicentenaire, la luminosité des plages, l’accent chantant des habitants de mon Cap-Haïtien natal, la soupe jaune, le son des tambours qui me prend au ventre lorsqu’il surgit de la montagne… Pardon, je suis une fille de la province et je m’égare. Je disais donc que j’aime mon pays mais que parfois, je ne l’apprécie pas. Je vis mal notre sous-développement, notre pauvreté et par-dessus tout, notre résignation. Notre capacité en tant que peuple à nous accommoder de tout, à panser nos plaies sans avoir pris le temps de les nettoyer, notre incapacité à rêver d’un mieux collectif, tout ça me fait honte. Je ne pense pas être la seule à éprouver cela. Vous êtes libres de nier. Moi, j’aime bien discuter des vérités qui dérangent. Mettons cela sur le compte de mon éducation.

Je viens d’une famille où l’on a toujours discuté de l’ «État du pays » et du plus loin que je me souvienne, j’étais la petite parmi les granmoun. Dans le cocon que constituaient mes parents, grands-parents, oncles et tantes, la parole était libre. J’ai eu la chance de développer une conscience politique et l’idée que nous avions tous un rôle à jouer dans le développement de notre pays. À 7 ans, je me faisais apprendre les chants et les slogans des manifestations par la nounou de mon frère, je lisais tous les tracts et affiches sur lesquels j’arrivais à mettre la main. Et puis j’ai grandi. J’ai cédé aux sirènes de la finance, de l’étranger, de la belle vie et j’ai perdu de vue mon rêve d’être un artisan du changement. Je n’ai jamais cessé de souhaiter avoir un impact mais mon impact se limitait à discuter en long en large et en travers de tout ce qui n’allait pas, de comment tout était mal fait ici et comment nous n’irions jamais nulle part. Entre amis, cette discussion en vaut bien une autre. Elle occupe, et pour le temps qu’elle dure, elle nous donne l’impression que nous nous préoccupons de notre pays. Divertissement et bonne conscience, tout le monde y gagne ! Tout le monde sauf le fameux pays que nous disons tant aimer.

Il y a deux mois, j’ai été envoyée, pour le travail, à Abidjan en Côte d’Ivoire. J’étais folle de joie à l’idée de découvrir une nouvelle culture, un nouveau continent, de nouveaux clients mais aussi je veux bien l’admettre, j’étais contente de partir, d’aller respirer un peu. Ailleurs. Loin. Ni l’inconnu, ni l’inquiétude croissante autour de l’Ebola ne m’arrêteraient. J’étais sur le départ.

Beaucoup de mes compatriotes « troussent leur nez » quand on leur parle d’Afrique. Ceci fera l’objet d’un autre débat si vous voulez bien me lire à nouveau. Je me contenterai ici de dire que j’ai été très bien accueillie, comme une cousine qui vient de loin qu’on aime naturellement, même si on ne la connaît pas.

À titre de rappel historique, en 2010, la Côte d’Ivoire a traversé ce que les ivoiriens appellent pudiquement « La Crise ». En gros, une guerre civile suite aux élections présidentielles. Pour plus d’infos, c’est par ici. Quatre ans plus tard, les cadres de l’administration publique, les entrepreneurs et les simples citoyens (ça inclut mes chauffeurs de taxi) que j’ai eu l’occasion de rencontrer n’ont qu’un mot à la bouche : l’émergence. Vous me direz, c’est un concept à la mode. Tous les pays moins avancés se rêvent émergents à moyen terme. Ceci dit, là-bas, ils prennent ça très au sérieux et au-delà de toute considération politique, en arrivant en Côte d’Ivoire, j’ai été plongée dans un grand bain de positivité. Peut-être ai-je eu de la chance mais je ne crois pas que l’état d’esprit que j’ai rencontré soit propre à un certain environnement. J’ai eu des discussions qui m’ont inspirée. Plus que les paroles qui, après tout, ne sont que paroles, ce sont les comportements qui m’ont donné de véritables leçons. Première leçon : pas une seule fois je n’ai entendu un ivoirien dire du mal de son pays ! Ça vous en bouche un coin hein? À moi aussi. Je ne pense pas qu’ils soient naïfs. Loin de là. Les difficultés sont présentes au jour le jour et vécues par chacun à son niveau. Mais les ivoiriens que j’ai rencontrés ne se plaignent pas. Ils constatent avec un bon rire, ils consolent avec un Yaco ! et ils avancent.

Je pense que les expressions à la mode dans une communauté sont dans une certaine mesure le reflet de ses valeurs. Les Abidjanais que j’ai rencontrés s’arrangent pour qu’on ne « gâte pas [leur] nom ». Ils ne font pas n’importe quoi qui pourrait ternir leur réputation, ils ne laissent pas dire du mal de leurs amis et ils ne disent pas du mal de leur pays.

J’en suis venue à m’interroger sur l’autodénigrement que nous haïtiens pratiquons si allégrement et ses conséquences. Et si ces paroles négatives étaient l’une des raisons de notre immobilisme ? Et si nos critiques, nos plaintes continues (intempestives ?) constituaient le premier obstacle à notre progrès ? Et si nous cessions de cultiver en nous et autour de nous l’idée qu’Haïti « c’est comme ça », que « ça ne changera jamais » et que « les haïtiens » sont de telle ou telle manière ? Les haïtiens, c’est nous. Quel que soit le passeport que vous détenez, en attendant que votre ambassade vous évacue, nous sommes sur le même bateau. Un bateau que notre négativité contribue à couler chaque jour un peu plus. Nous pouvons faire le choix de ne plus alimenter le statu quo par nos paroles et nos pensées.

À toi qui me lis, je lance un défi, le même défi que je me suis lancé: Arrête de ternir le nom de ton pays! Faisons ensemble ce premier pas. À la place, nourris pour ton pays des rêves de progrès, aies des pensées transformatrices et partage-les autour de toi. À ton niveau, fais ce que tu peux pour contribuer à son avancement. Arrête d’« aimer ton pays, mais… », aime-le  tout court. Et agis. Ton action inspirera les autres autour de toi ou à défaut les poussera à réfléchir. Avant de demander à l’étranger de voir, de traiter et de parler de notre pays différemment, commençons nous-mêmes à changer notre mentalité et notre discours. Un jour à la fois, un citoyen à la fois.

Idéaliste, curieuse, fonceuse, j'ai pour devise: "Aie le courage de te servir de ta propre intelligence." J'aime lire, apprendre et manger. J'ai foi dans l'humain, je crois que chacun d'entre nous a le devoir de laisser son monde dans un état meilleur que celui où il l'a trouvé. Je rêve et travaille à une société où l'intégrité physique et morale de l'homme passe avant tout.

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