POLITIQUE

Sommes-nous vraiment prêts pour le tourisme ?

0

.

Depuis son arrivée au Ministère du tourisme, madame Stéphanie Villedrouin nous a remarquablement remis dans la tête qu’Haiti peut encore avoir sa place dans le marché du tourisme caraïbéen. Son dynamisme a charmé plus d’un. Elle promeut depuis maintenant 4 ans un grand comeback d’Haïti sur la carte touristique mondiale. Excitant! Du nouveau! Nouvelles approches! Vendons Haiti! Haiti is open for business!

À priori, toutes ces démarches me paraissent louables et prometteuses. Sur papier, ces projets font du sens et ces slogans à l’américaine « Haiti is open for business » ou « Haiti, experience it » nous caressent l’ouïe et font vibrer nos cœurs patriotes. Nous voulons tous (à peu près tous) que les choses changent, mais est-ce que nous sommes prêts à recevoir ces milliers de touristes européens et américains qui se font jusqu’à présent attendre?

Penser grand, selon moi, est nécessaire même pour moyennement réussir. Je ne critique donc pas ces grands et beaux rêves, je les partage. Je rêve que des milliers de touristes français oublieront, pendant une semaine, leur verre de vin rouge pour jouir jusqu’à l’ivresse du bon kafe du Swa de Furcy et se réveiller dans le comfort des chambres du Montcel. Je rêve de ces touristes britanniques qui visiteront le Nord du pays pour admirer la Citadelle Laferrière et le Palais Sans-Souci. Le lendemain, après avoir dégusté leur thé de citronelle, ils se reposeront sur la plage de Chouchou Bay tout en lisant la fascinante biographie d’Henri Christophe. Je rêve de ces touristes californiens qui passeront leur journée à affronter les vagues jacmeliennes de Kabik et de Ti Mouyaj sur leur surfboard pour ensuite se rafraîchir d’un bon Kokoye ole et reprendre force avec un homard boucané…. Ah, Jacmel !

Une ville qui s’efforce de garder son cachet d’antan. Il est vrai qu’on remarque de moins en moins ces constructions vieilles de plus de 100 années et que la surpopulation de motos-taxis dérrange un peu mais cette ville reste un patrimoine qui symbolise un bel héritage culturel. Selon plusieurs, son positionnement et sa configuration lui donnent un faux-air de Miami Beach à l’état brut. La Grand Rue traverse toute la ville pour se transformer en cette route communément appelée Baranquilla. Baranquilla vous amène à Ti Mouillaj, Raymond des Bains, Kay Jacmel, Kabik, etc. Presque paradisiaque! En tout cas son potentiel de grande ville touristique saute aux yeux. Les récentes campagnes pro-tourisme semblent d’ailleurs avoir un focus particulier sur Jacmel, et avec raison!

Il y a aujourd’hui 11 jours, j’ai visité ce potentiel touristique pour un weekend. J’ai été charmé par la belle côte jacmelienne et ses vagues redoutables. Quelques amis et moi étions à Kay Jacmel, aux environs de ce qui serait la frontière de Kay Jacmel et Ti Mouillaj. Après peut-être une trentaine de minutes passées à nager et à jouer avec les vagues comme un fou, je m’étais installé devant mon plat de lambi qui s’était fait attendre une ou deux bonnes heures pour me régaler. Nous étions une bonne dizaine d’amis et nous discutions de tout et surtout de rien, mais comme vous le savez sûrement le « 3 étoiles » et la meilleure bière de la Caraïbe peuvent rendre « rien » assez intéressant.

Après le repas j’ai été joué au foot sur la plage avec quelques jeunes de la zone, question d’accélérer le processus de digestion et d’augmenter mon capital de bonheur qui était déjà assez haut, je dois l’avouer. Après peut-être une dizaine de minutes de jeu, j’entends un ami crier mon nom. Il était à une quarantaine mètres de moi. Comme il avait l’air affolé, j’ai vite couru vers lui. Il m’affirme qu’une personne est en train de se noyer. Vite, je rentre dans l’eau. En me dirigeant vers cette personne que je peux à peine remarquer, je rencontre une dame qui essaie de toutes ces forces d’arriver au secours de celui qui semble se nommer Hannibal. Nous essayons de nager vers lui. À chaque quinze mètres couverts, les vagues nous repoussent dix en arrière. Un grand effort physique. En plus, à un moment il est du côté droit de ce rocher qui nous sert de repère, et puis quelques secondes après on l’aperçoit à gauche du rocher. Rapidement un étranger qui a surement été nageur et un jeune de la zone qui semblait maîtriser les vagues nous rejoignent avec une bouée. Men anpil chay pa lou… On retrouve Hannibal inconscient. Rapidement, nous nous dirigeons vers la plage. Après 10 mins de bouche à bouche et de tentatives de réanimation non-fructueuses, on le met dans une voiture pour le transporter à la clinique la plus proche, une clinique dirigée par des médecins cubains. Après une autre trentaine de minutes de tentatives de réanimation, Hannibal est déclaré mort. Il n’avait que trente-et-un ans et il avait l’avenir devant lui. Haïti avait perdu l’un de ses fils qui aurait surement aidé à son épanouissement.

Je vous raconte cette histoire parce que je pense que dans nos grands rêves il ne faut pas oublier les petits détails qui, dans ce cas-ci, peuvent décider de la vie et la mort. Si nous voulons promouvoir Haïti, dans ce cas ci Jacmel comme une destination touristique respectable on doit d’abord construire des bases solides. Comment inviter des touristes étrangers à visiter un endroit réputé pour sa mer agitée sans se préparer en conséquence? Pas de sauveteurs formés! Pas de clinique sur la plage ou même aux environs! Pas même de panneaux pour prévenir que la mer peut être dangereuse dans cette zone!

C’est bien de rêver grand. Je veux rêver grand aussi! Mais si nous oublions que ces petites initiatives sont primordiales, nous construirons ou sommes en train de construire un château de cartes. Ce jour-là, nous avons perdu un de nos fils, mais imaginez un moment que les touristes décideraient vraiment de venir et que ce garçon qui se noyait était le fils de l’éditeur en chef du New York Times. Lundi matin le grand titre en Front Page : “Haiti and Its Irresponsible Ways of Doing Things Killed My Son”…

Adieu, veau, vache, cochon, couvée, Hilton, avions remplis de touristes, investissements de 100 millions de dollars, « Jacmel is open for business », « Haiti, experience it »…

Directeur Général | Co-fondateur | J'aime me considérer rationnel et mesuré avec une vision semi-ouverte du monde. J'ai un baccalauréat en finance. Je m'intéresse au Barça, à la politique, à l'entrepreneuriat et à la philosophie.

Comments

Leave a reply

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *