POLITIQUE

Rumeurs de la rue, avant l’enterrement de Jovenel Moïse

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Beaucoup, en Haïti, se posent des questions sur l’avenir du pays, après l’assassinat du président

À part quelques démonstrations vraisemblablement planifiées en dehors de Port-au-Prince, l’assassinat du président Jovenel Moïse le 7 juillet dernier n’a pas occasionné un déluge de protestations nationales ni des scènes de deuil collectif.

« La majeure partie de la population voyait en Jovenel Moïse une menace pour le pays », déclare Hector Jean Louis, grand planteur de riz à Petite Rivière de l’Artibonite.

Ce sentiment se trouve partagé un peu partout en Haïti. Le président quitte un pays profondément en crise, déchiré par les guerres de gangs, avec des institutions démocratiques démantelées, en marge d’une crise humanitaire annoncée : 4,4 millions d’Haïtiens se trouvent en urgence humanitaire d’après l’ONU.

« J’ai appris que le président a perdu sa vie à cause d’un changement social qu’il souhaitait apporter au pays, dit Hector Jean Louis. Mais, je n’ai jamais vu ce changement dont parlent ces hommes. »

L’après « Nèg bannann nan »

Les obsèques de Moïse seront célébrées demain 23 juillet au Cap-Haïtien dans le département du Nord du pays. Les yeux sont désormais rivés sur l’après « Nèg bannann nan ».

Une première bataille pour le pouvoir semble avoir été résolue quand le Premier ministre démissionnaire, Claude Joseph, a cédé sa place à Ariel Henry, chef de Gouvernement nommé par Jovenel Moise deux jours avant sa mort, après un communiqué du Core Group, le 17 juillet dernier. Mais la crise persiste : le chef du Sénat, Joseph Lambert, réclame la Présidence et le nouveau Gouvernement largement composé de partisans du Parti Haïtien Tèt Kale se trouve contesté par la société civile.

« Je ne pense pas que la situation sociopolitique d’Haïti va mieux puisque l’international commence déjà à s’imposer dans l’orientation que doit prendre le pays après Jovenel Moïse, analyse Wenchel Jean Baptiste, sociologue. Malgré les efforts des acteurs politiques et la société civile pour parapher un accord politique pour tenter de résoudre la crise, la communauté internationale a déjà pris le pas en imposant un Premier ministre pour reproduire les mêmes pratiques du système ».

La société civile, à travers diverses structures, critique l’ingérence de la communauté internationale et appelle à une solution « haïtienne » à la crise actuelle.

 « Il est nécessaire d’avoir une transition de longue durée à travers laquelle on prendra du temps pour définir le destin de la nation avant de passer dans les joutes électorales, pense Wenchel Jean Baptiste, directeur de la Télé Caramel aux Cayes. S’embarquer vers les élections rapidement produira les mêmes effets des deux dernières élections du pays. »

Qui doit se trouver à la table de discussion, et comment, se trouve au menu des débats.

Bichard Bonnet est un grand cultivateur de Café à Thiotte, commune du département Sud’Est du pays. A son avis, « la classe politique et le secteur économique ne sont pas les seuls à avoir LA solution. Ils devraient aussi inviter les citoyens à prendre leurs engagements et responsabilités vis-à-vis du pays ».

Certains affichent clairement leur pessimisme. « Je ne m’attends pas à un réel changement après Jovenel Moïse, relate l’agronome Emmanuel Jean Louis. À mon avis, son mandat a pris fin le 7 février dernier. S’il était encore au pouvoir après cette date, c’est parce que la société civile, la classe politique et les institutions du pays n’avaient pas d’autres alternatives fiables ».

Pour Jean Louis, cadre du ministère de l’Agriculture, des Ressources naturelles et du Développement rural (MARNDR), ce manque d’alternatives persiste jusqu’à date.

Pouvoir sous contrôle

Un point cependant semble faire l’unanimité au sein d’une large portion de la population et des organisations de la société civile : l’équipe au pouvoir, en l’occurrence le PHTK, symbolise la criminalité, le kidnapping, l’insécurité, la corruption et la violation des droits de l’homme.

« Seule une concession politique pourrait atténuer la situation et éviter que le pays sombre davantage dans des situations chaotiques », explique Pierre Espérance, coordonnateur du Réseau national de la défense des droits humains (RNDDH).

Presque toutes les artères du pouvoir sont contrôlées par le pouvoir PHTK, malgré le décès d’un des leaders du parti.

Lire aussi: L’autre catastrophe dont on ne parle pas en Haïti

Didier Mike Joseph est un professionnel de la communication. Il se plaint du climat de terreur qui sévit dans le pays. Depuis juin dernier, près de 20 000 citoyens ont abandonné leurs logis dans différents quartiers du pays à cause de la violence des gangs.

« Ces jours-ci, les hommes armés en Haïti envahissent des quartiers réputés paisibles, dit-il. Je crains maintenant que ces [bandits] ne profitent pas de la situation pour envahir d’autres espaces. Avec le président la situation sécuritaire du pays n’était pas meilleure, sans lui c’est pire ».

La vague d’insécurité et la remontée des cas de kidnappings enclenchent une autre vague de départ de jeunes et des professionnels du pays vers d’autres cieux. Certains, comme Richard Bonnet, grand cultivateur de café dans la commune de Thiotte, exigent une amélioration de la situation sécuritaire. « Je n’imagine pas encore ma vie en dehors du pays ».

Journaliste à AyiboPost. Communicateur social. Je suis un passionnné de l'histoire, plus particulièrement celle d'Haïti. Ma plume reste à votre disposition puisque je pratique le journalisme pour le rendre utile à la communauté.

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