Durant une décennie, au moins six commissions se sont succédé dans la réforme pénale
Pourquoi entamer une réforme pénale en Haïti ?
Le Code pénal actuellement en vigueur en Haïti remonte à 1835. Depuis son adoption, la société haïtienne a beaucoup changé. C’est aussi pourquoi plusieurs gouvernements ont envisagé de mettre à jour ce document qui fixe les infractions pénales et détermine les peines pour les crimes et délits.
Durant une décennie, au moins six commissions se sont succédé dans la réforme pénale, de la présidence de René Préval en 2007, en passant par celle de Michel Joseph Martelly en 2012 pour arriver à la présidence de Jocelerme Privert en 2016.
La réforme du Code pénal vise principalement à protéger les personnes vulnérables, telles que les mineurs, les femmes enceintes et les personnes sujettes à des discriminations en raison de leur religion ou orientation sexuelle, analyse à AyiboPost Me Sibylle Théard Mevs, membre des deux dernières commissions.
Quelles sont les nouveautés du nouveau Code pénal ?
Des articles du nouveau Code pénal protègent les droits des minorités sexuelles, abordent les rapports sexuels avec des mineurs ou dépénalisent l’avortement pour la première fois en Haïti.
Jean Joseph Exumé, ancien ministre de la Justice et de la Sécurité publique sous la présidence de René Préval en 2009, souligne à AyiboPost que le nouveau Code introduit des infractions telles que le blanchiment d’argent, les crimes contre l’humanité, le terrorisme et les crimes cybernétiques, absentes du Code pénal de 1835.
Jean Joseph Exumé, président de la dernière commission constituée pour travailler sur les avant-projets, admet cependant que le travail des commissions demeure imparfait. « C’est un travail sujet à modifications », dit-il à AyiboPost.
Où en est le projet aujourd’hui ?
Le nouveau Code pénal a été initialement adopté par décret en 2020 sous l’administration du président Jovenel Moïse. Il comprend 1036 articles.
Sa mise en application vient d’être repoussée à juin 2025 par l’administration en place.
Ce report – le deuxième depuis l’adoption du Code – est dû aux préoccupations et critiques émises par différents secteurs de la société contre le contenu du texte.
Des réformes et formations sont aussi nécessaires pour accompagner l’entrée en vigueur du document juridique.
Sa mise en application vient d’être repoussée à juin 2025 par l’administration en place.
Contactée par AyiboPost le 3 juillet dernier, Claudie Marsan, avocate au Barreau de Port-au-Prince et spécialiste en passation des marchés publics, fait remarquer que la mise en œuvre des deux codes, le pénal et celui de la procédure pénale, restera impraticable dans les conditions actuelles.
Elle donne en exemple l’utilisation de bracelet électronique pour certains prisonniers, alors que le cadre juridique est inexistant et la technologie adéquate n’est pas disponible en Haïti, un pays où le problème d’énergie électrique et de signal internet reste constant.
En juin 2022, le gouvernement d’Ariel Henry avait déjà reporté la date d’entrée en vigueur du Code. À l’époque, les autorités avaient annoncé la création d’une commission pour retravailler le texte. Cette commission n’a jusqu’ici pas rendu son rapport public.
Est-ce un travail original ?
Les commissions demeurent très critiquées dans le milieu du droit pour avoir « plagié » le Code pénal français.
Un des membres d’une des commissions admet à AyiboPost des « références françaises ». « Le Code français, c’est notre base », souligne Me Théard Mevs. « On est dans une tradition de droit et on a continué avec cette même tradition », soutient l’avocate spécialisée en droit des affaires.
D’autres expertises ont aussi été sollicitées.
« Nous avons eu des travaux notamment avec des magistrats de la Cour en Côte d’Ivoire qui eux-mêmes ont repris un certain nombre de textes qui existaient déjà en France. On a analysé et vérifié ce qu’on pouvait utiliser dans notre droit à nous », indique l’avocate.
Le Code de procédure pénale doit faire partie de cette réforme, mais ce texte n’est pas encore publié.
Pourquoi ces accusations sont importantes ?
Les lois dictent les comportements dans une société. Une loi importée – même partiellement – de France peut ne pas cadrer avec les coutumes, mœurs et aspirations des Haïtiens. Elle peut également rencontrer de la résistance.
Le nouveau Code pénal rencontre-t-il de la résistance ?
Certains groupes religieux et une partie de la société civile rejettent la réforme.
L’ancien sénateur Jean Renel Sénatus représente la figure la plus emblématique de ces contestations.
Au nom de ce qu’il appelle des « valeurs familiales », Sénatus exprime des préoccupations concernant l’interprétation potentielle de certains articles sur des sujets tels que l’inceste, l’homosexualité, la prostitution infantile ou la zoophilie.
Le nouveau Code approuve-t-il l’inceste comme le disent certains médias ?
D’après l’article 305 du nouveau Code, commet un inceste « quiconque, sachant qu’une personne est, par les liens du sang ou par adoption, son père ou sa mère, son enfant, son frère ou son demi-frère, sa sœur ou sa demi-sœur, son grand-père, sa grand-mère, son petit-fils ou sa petite-fille », a des rapports sexuels avec cette personne.
Selon les interprétations de l’ex-Sénateur Jean Renel Sénatus, l’inceste n’est explicitement réprimé que pour les relations sexuelles avec des ascendants, descendants, frères ou sœurs, mais pas pour les cousins ou oncles et tantes. Il appelle à une révision du texte pour inclure ces relations.
En Haïti, l’inceste reste anecdotique et confiné dans certaines zones. Aucun rapport ne désigne l’inceste comme un fléau public.
Dans plusieurs pays, l’incrimination spécifique de l’inceste en dehors des lois plus générales liées aux agressions sexuelles est un phénomène récent.
Par exemple, en France, l’inceste sera explicitement mentionné dans le Code pénal seulement en 2010.
Les avocats interviewés par AyiboPost attirent l’attention sur le fait que l’inceste n’a jamais été sanctionné par le Code pénal haïtien, en vigueur depuis 1835 sous la présidence de Jean-Pierre Boyer.
Par exemple, en France, l’inceste sera explicitement mentionné dans le Code pénal seulement en 2010.
Il est cependant mentionné dans le Code civil. L’article 149 de ce document veut qu’en « ligne directe, le mariage [soit] prohibé entre tous les ascendants et descendants légitimes ou naturels, et les alliés dans la même ligne ».
La violation de cette prohibition de l’inceste entraînait des « sanctions purement civiles » sans peine de prison, indique Me Jean Joseph Exumé.
L’article 150 du même code, modifié par la Loi du 16 décembre 1929, prescrit qu’« en ligne collatérale, le mariage [soit] absolument prohibé entre le frère et la sœur légitimes ou naturels; le mariage est aussi prohibé entre le beau-frère et la belle-sœur, l’oncle et la nièce, la tante et le neveu ».
Ainsi, l’inceste peut empêcher le mariage en Haïti.
Dans le nouveau Code pénal, l’inceste est puni de dix à quinze ans de réclusion criminelle.
L’introduction de cette pratique comme infraction sanctionnée par le Code pénal représente une « avancée », soutient à AyiboPost l’avocat Jean Joseph Exumé.
Qu’en est-il de la zoophilie ?
La zoophilie, une pratique peu courante en Haïti, est abordée à l’article 301 du nouveau Code.
Le « fait de forcer une personne à commettre un acte sexuel avec un animal est passible d’un emprisonnement de cinq ans à dix ans et d’une amende de 50 000 gourdes à 100 000 gourdes », selon le texte.
D’après les contestataires, cet article autoriserait implicitement les relations sexuelles entre humains et animaux.
La bestialité est généralement illégale dans de nombreux pays du monde en raison de préoccupations concernant la protection des droits des animaux, la préservation des normes éthiques, la santé publique, et la prévention de comportements nuisibles et violents.
Pour l’avocat pénaliste Frantz Gabriel Nerette, l’interprétation permissive dirigée contre le nouveau Code est erronée.
« Le Code ne dit pas que la bestialité est permise, et le Code ne dit non plus que la bestialité est interdite », poursuit l’avocat.
Beaucoup d’observateurs appellent au bannissement pur et simple de la bestialité.
Que dit le Code sur les unions homosexuelles ?
Le Code ne traite pas des unions homosexuelles, ni n’établit de mariage entre les citoyen.ne.s de même sexe.
Cependant, des protections sont accordées aux minorités sexuelles contre les violences notamment.
Le terme « orientation sexuelle » figure dans au moins sept articles du Code.
Les six premiers articles sont placés dans le titre deuxième sur les atteintes à la personne humaine (atteintes volontaires à la vie : meurtre, assassinat) et les atteintes à l’intégrité physique ou psychique de la personne (tortures, actes de barbarie…).
Suivant le document conjoint de mise au point élaboré par les membres des deux dernières commissions, ces articles, loin de constituer une autorisation de l’homosexualité, prévoient plutôt une aggravation de la sanction lorsque l’infraction est commise sur les catégories de personnes visées par ces dispositions.
« Si une personne décide de coucher dans sa chambre avec une autre personne du même sexe, c’est quelque chose qui ne me regarde pas », commente pour sa part le magistrat Marthel Jean Claude. « Il y a certaines morales qu’on ne peut pas imposer dans la vie privée d’une personne », poursuit le juge.
Pour sa part, l’avocate Claudie Marsan précise que, contrairement à une interprétation erronée de certains, le Code pénal n’autorise pas le mariage homosexuel.
Le mariage étant un acte de l’État civil, c’est le Code civil qui traite des actes de mariage, précise-t-elle. De plus, poursuit l’avocate, le Code pénal haïtien reconnaît l’égalité de tous les citoyens, quelle que soit leur religion, leur orientation sexuelle ou leur affiliation politique.
Qu’en est-il des controverses sur la majorité sexuelle ?
Selon les contestataires, l’article 304 abaisse subtilement l’âge du consentement ou de la majorité sexuelle à quinze ans.
Cet article punit d’un an à trois ans d’emprisonnement toute personne ayant invité un.e mineur.e âgé de « quinze ans » au plus à la toucher, à se toucher ou à toucher un tiers directement ou indirectement à des fins sexuelles.
L’âge de quinze ans est mentionné dans les articles 275, 277, 304, 471.
« Le Code pénal ne fixe pas de manière précise l’âge sexuel », reconnaît l’ex-sénateur chrétien Sénatus. Cependant, poursuit le Recteur de l’Université Soleil d’Haïti, « le document fait référence à l’âge de quinze ans comme pour fixer la majorité sexuelle à quinze ans ».
L’avocat Frantz Gabriel Nerette conteste cette interprétation.
« Le texte ne dit pas que l’enfant qui a quinze ans est autorisé à avoir des relations sexuelles », tranche l’avocat pénaliste. « L’article n’a jamais mentionné quinze ans pour autoriser quoi que ce soit », poursuit-il à AyiboPost.
L’âge de quinze ans est mentionné dans les articles 275, 277, 304, 471.
Dans des pays comme l’Albanie, l’Autriche, le Portugal et l’Italie, l’âge de la majorité sexuelle est de quatorze ans.
Elle est fixée à quinze ans en Croatie et en France, et à dix-huit ans en République dominicaine.
La fixation de cet âge prend en compte un ensemble de facteurs comme l’éducation sexuelle, des mesures de protection juridiques et de sensibilisation.
« En matière pénale, tout étant de droit strict, l’analogie n’est pas admise. S’il n’est pas prescrit que la majorité sexuelle est fixée à quinze ans, cette majorité n’existe pas. La majorité sexuelle inexistante n’a pas pu être abaissée », conclut le document conjoint de mise au point élaboré par les membres des deux dernières commissions.
Il serait de bon ton de fixer formellement dans le nouveau Code l’âge de majorité sexuelle, répondent certains.
Le Code sera-t-il modifié ?
Le président de l’Association professionnelle des magistrats (APM), Marthel Jean Claude, estime que les critiques dirigées contre le nouveau Code pénal sont souvent basées sur des interprétations erronées.
« La majorité des propos rapportés dans la presse au sujet de ce nouveau Code n’ont rien à voir avec son contenu », commente le magistrat.
Dans un arrêté publié le jeudi 18 juillet 2024, le conseil présidentiel de transition institue une nouvelle commission de mise en œuvre de la réforme pénale, constituée de neuf membres, pour une période de dix mois.
L’arrêté mandate la commission d’évaluer les décrets du 11 mars 2020 sur le Code pénal et le Code de procédure pénale, et de proposer des recommandations pour leur mise en application, dans un délai de trois mois à partir de son installation.
Par Fenel Pélissier
Image de couverture : Cérémonie d’investiture des membres de la Commission de mise en œuvre de la réforme pénale, le 25 juillet 2024. | PrimatureHT /X
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