ÉCONOMIEPOLITIQUE

Réginald Boulos, Jean-Henry Céant et 65 millions de gourdes de l’ONA

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Depuis 2018, l’ONA a investi 65 millions de gourdes dans l’entreprise Real Business Investment pour la construction de logements sociaux. Le projet jusqu’à présent n’a toujours pas été exécuté

Une correspondance avec une offre de « placement rentable » de la société Real Business Investment (RBI), présidée par l’homme d’affaires Réginald Boulos, arrive à l’Office national d’Assurance-vieillesse (ONA) le 11 janvier 2018.

Dans sa lettre, la RBI demande à l’ONA 65 millions de gourdes, soit un million de dollars américains à l’époque, en échange de 22 % des actions dans l’entreprise qui se propose de construire des logements sociaux sur un vaste terrain qu’elle possède à Fermathe. 180 unités de logement devaient être bâties, et chaque résidence allait être vendue autour de dix millions de gourdes à des « professionnels et membres de l’administration publique »

L’ONA, dirigé alors par feu Chesnel Pierre, saute sur l’opportunité et verse à RBI la somme demandée. Mais plus de cinq ans après cette lettre, le projet n’a toujours pas démarré. De surcroit, son avenir semble incertain dans un contexte d’accusations de détournement de fonds soulevées contre le projet par l’Unité de lutte contre la corruption (ULCC).

La société RBI, présidée par l’homme d’affaires Réginald Boulos.

Maitre Samuel Madistin, avocat de l’entreprise, met ce long retard sur le compte du pays lock de 2018 et de l’insécurité : une bonne partie de la zone de Fermathe se trouve aujourd’hui sous le contrôle du puissant chef de gang Vitelhomme Innocent.

AyiboPost a obtenu et rend public, la grande majorité des documents liés à ce dossier. Certaines informations clés ne s’y trouvent pas, néanmoins.

Par exemple, l’ULCC en 2021 accuse de détournement de fonds publics le notaire de RBI, Jean Henry Céant, ex Premier ministre, fraîchement sanctionné par le Canada et les États-Unis pour ses liens avec les gangs armés et Pierre Réginald Boulos, ancien président du parti politique MTV AYITI, propriétaire de Delimart S.A et président de la société.

Le chef d’État assassiné en juillet 2021 supportait personnellement le projet RBI.

Ce que le rapport exécutif ne raconte pas, ce sont les liens étroits ayant existé entre Réginald Boulos et l’ancien président de la République, Jovenel Moïse bien avant les manifestations de juillet 2018. Auto Plaza S.A de Boulos était parmi les trois entreprises bénéficiaires du premier gros contrat passé sous l’ère Jovenel Moïse. L’entreprise a alors reçu plus de 53 millions de dollars américains pour l’achat d’équipements lourds en 2017.

Le chef d’État assassiné en juillet 2021 supportait personnellement le projet RBI. Il a même visité le terrain, un peu après l’implication de l’ONA, selon un témoin.

Lorsque la rupture entre les deux hommes fut consommée, l’ULCC a entamé un travail d’enquête. Bien vite, l’institution émet un mandat d’arrêt contre Boulos et demande aux institutions financières de bloquer 260 millions de gourdes de son compte et celui de ses associés. À l’époque, l’homme d’affaires qui s’est depuis retiré de la vie économique et politique avait dénoncé une « instrumentalisation » de l’ULCC par Jovenel Moïse « contre ses adversaires politiques ».

Un juge a annulé pour illégalité le mandat d’arrêt et le scellé posé sur les comptes. Juridiquement, l’ULCC ne peut que produire des rapports et les mettre à la disposition de l’institution judiciaire pour les suites légales.

Lire aussi : Que fait l’ULCC, l’organe de lutte contre la corruption en Haïti ?

Dans ses projections au lancement du projet, le RBI anticipait des dépenses de près de 30 millions de dollars américains pour construire les immeubles. La vente totale des maisons devait rapporter presque 38 millions de dollars, ce qui fait un profit de plus de huit millions à partager avec les actionnaires, dont l’ONA.

L’ULCC explique dans le résumé de son rapport que ses enquêteurs, après de nombreuses recherches effectuées auprès des banques commerciales et de certaines institutions publiques, ont constaté qu’à part les statuts, le matricule fiscal et la patente qui constituent les documents de création du RB Investment S.A, il n’existe aucune fiche signalétique permettant de connaître et de vérifier les informations clés concernant l’existence réelle de ladite société, particulièrement son domicile réel, la description de ses activités principales, son expertise et son expérience dans chaque domaine en particulier, le nombre de ses salariés et ses chiffres d’affaires.

L’ONA dans une note sortie en date du 2 juillet 2021, portant la signature de son directeur Jemley Jean-Baptiste, avait à l’époque appuyé les démarches de l’ULCC en invitant l’appareil judiciaire à se mettre en branle.

Le 30 juin 2021, Reginald Boulos fait cette déclaration sur son compte Facebook : « L’apport de l’ONA dans la société RBI n’est ni prêt ni placement. C’est un investissement dans une société anonyme. L’ONA détient 22 % de la société propriétaire d’une propriété de 62 454 m2. De quoi parlons-nous ? Un plan visant à m’assassiner politiquement !! Le MTV Ayiti fait peur !! ».

Me Samuel Madistin semble aujourd’hui s’éloigner des déclarations de Boulos. Il déclare à AyiboPost que l’argent versé par l’ONA était un « placement ». De plus, RBI et ses actionnaires sont prêts, dit-il, à racheter les parts de l’ONA au cas où l’institution aurait décidé de vendre ses actions.

« Même si nous décidons d’arrêter le projet aujourd’hui et de vendre le terrain, le placement de l’ONA ne sera pas perdu, affirme Me Samuel Madistin. L’ONA aura sa part et des bénéfices », avance l’homme de loi.

Contacté par AyiboPost pour des réactions sur ce dossier, le responsable de communication de l’ULCC, Daniel Jean, fait savoir que l’institution ne commente pas les rapports d’enquête après les avoir remis à la justice.

RBI et ses actionnaires sont prêts à racheter les parts de l’ONA au cas où l’institution aurait décidé de vendre ses actions.

– Me Samuel Madistin

Depuis 2006, l’ULCC a transmis à la justice haïtienne 69 rapports d’enquêtes. 29 de ces documents ont été envoyés par l’actuel directeur général Hans Jacques Ludwig Joseph. Une seule condamnation jusqu’à cette date a déjà été prononcée.

À Fermathe, le projet RBI se meurt. « Actuellement avec l’affluence des gangs c’est totalement impossible d’investir en Haïti », déclare l’économiste Frédéric Gérald Chéry, interviewé par AyiboPost.

Le cadre législatif actuel permet à l’ONA d’effectuer des placements dans des projets rentables. Cependant, régulièrement, des politiciens et hommes d’affaires prennent l’institution d’assaut pour siphonner des montants énormes à des conditions avantageuses. La plupart de ces placements obtenus de façon non transparente ne rapportent rien à l’institution, selon des rapports.

Lire aussi : Les marchés publics, paisible demeure des champions de la corruption en Haïti

En 2016, l’ONA a fait un placement de 700 millions de gourdes à la Auto Plaza de Réginald Boulos pour lui permettre de faire l’acquisition de la concession Nissan en Haïti. Ce placement est rentable, avait affirmé en 2018 le chef de l’entreprise.

Le 20 mars 2023, AyiboPost a reçu deux attestations de remboursement de l’Auto Plaza et de la Delimart certifiant des versements à l’ONA le 15 mars 2023, respectivement pour les sommes totales de 374 934 609,81 gourdes et 269 851 231,09 gourdes

L’ ONA n’a pas répondu aux demandes de commentaires d’AyiboPost.


Certificat de vente du terrain de Mme Prima Emilia Giordani à RBI


Rapport de mission d’évaluation immobilière


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Certificat d’Actions : ONA et RBI

Fenel Pélissier est avocat au Barreau de Petit-Goâve, professeur de langues vivantes et passionné de littérature.

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