S’agit-il d’une énième caricature d’Haïti ou d’une véritable exposition anthropologique ?
Il y a quelques jours, après avoir pris connaissance de l’annonce et découvert l’exposition « Zombis, la mort n’est pas une fin ? », qui se tient du 8 octobre 2024 au 16 février 2025 au Musée du Quai Branly, je restais dans l’expectative.
Je me demandais si j’allais ou non à l’exposition, et si cela en valait la peine malgré le prestige du musée qui l’héberge. Un ami, Michelet Michel, m’a envoyé quelques captures d’écran des tweet du commissaire principal de l’exposition, Philippe Charlier, médecin légiste, anthropologue , historien et archéologue.
Je l’ai remercié tout en l’informant que j’étais déjà au courant de l’exposition, mais que je ne savais pas encore si j’y allais. J’en ai profité pour lui faire remarquer que j’avais trouvé certains termes utilisés dans le tweet un peu caricaturaux.
Néanmoins, j’éprouvais un vif désir d’y faire un tour au fur et à mesure que les jours passaient, mais à condition de trouver quelqu’un suffisamment motivé pour m’entraîner. Si tel était le cas, j’irais avec plaisir.
Chose dite, chose faite. Le 23 octobre, David Charles, un ami qui officie à l’émission Kòn Lanbi sur Radio Paris Plurielle, m’a envoyé un petit message pour me demander si nous pouvions nous voir le lendemain. Nous nous sommes mis d’accord pour le soir, à 18h30, ai-je proposé, car, avec mes activités, je terminais tard.
Cependant, je pouvais toujours organiser mon emploi du temps et prendre un rendez-vous si je le jugeais suffisamment important. David m’a toutefois précisé qu’il serait à l’exposition « Zombis » à 14h et qu’on pourrait se voir après, sans savoir que j’étais intéressé, bien que dans l’hésitation. Voici donc la motivation que j’attendais.
David et moi aimons discuter de nombreux sujets comme la science, l’économie, la culture, l’histoire et la géopolitique. C’est ainsi que nous passions le temps lorsque nous avions la chance de parler au téléphone ou de nous voir.
Je lui ai immédiatement fait savoir que j’étais intéressé par l’exposition et que nous pourrions nous y retrouver, au Musée du Quai Branly, mais cela restait à confirmer.
Le jour J arrive, 24 octobre 2024.
J’étais à un colloque sur la trans-médiation, intitulé « Les empires trans-médiatiques, des années 1920 aux années 1960 : essor(s) et organisation(s) », dans le 5e arrondissement de Paris, au Quartier Latin. J’avais écrit à David pour lui faire savoir que je partirais du colloque dans 30 minutes à une heure afin que nous puissions nous retrouver.
Je suis arrivé au musée quelques minutes avant l’ouverture de l’exposition. Sur la façade extérieure du musée, faite exclusivement de verre, était inscrit en blanc le titre de l’exposition, accompagné d’une poupée en rouge foncé sur un fond de vèvè. J’ai longé le petit sillon bordé de chaque côté par des plantes dans la cour du musée, menant à l’entrée du bâtiment.
J’ai pris mon billet à la billetterie, et la dame m’a informé qu’il faudrait attendre deux ou trois minutes avant d’entrer, car l’exposition allait commencer à 15 heures. C’est à ce moment-là que David m’a rejoint.
Je lui ai fait signe qu’il y avait une file derrière lui, pensant qu’il n’avait pas encore pris son billet, mais il m’a assuré qu’il l’avait déjà pris et qu’il venait simplement me rejoindre.

© Photo prise par Ethson Otilien, le 24 octobre 2024
Nous avons quitté la billetterie en discutant. En nous dirigeant vers l’entrée du musée, il y avait quelques petites affiches, et à l’entrée, un panneau indiquant les trois expositions en cours, à côté de l’exposition permanente du musée.
Après avoir passé la sécurité et fait scanner nos billets, nous avons suivi le chemin en forme de lit de rivière qui menait à la partie consacrée à l’exposition « Zombis ».
Oui, vous avez bien lu : l’architecte – Jean Nouvel- qui a conçu ce musée a pris le temps de construire l’allée comme un sillon emprunté par une rivière de mots. Cette fois, nous n’avons pas eu besoin de retrousser nos pantalons.
Nous sommes enfin arrivés devant l’entrée du compartiment réservé à l’exposition « Zombis ». Un jeune homme, vêtu d’une veste rouge, d’un pantalon noir et d’une cravate noire, se tenait à l’entrée, probablement pour indiquer le passage aux visiteurs. Sur une petite étagère se trouvait une pile de livrets de l’exposition.
David et moi nous nous sommes servis avec grand plaisir, d’autant plus qu’il m’avait déjà demandé où l’on pouvait trouver le livret d’exposition. Je lui ai demandé de patienter, ce qu’il a fait volontiers.
Après avoir gravi les escaliers, nous avons découvert les premiers mots et les premières images de l’exposition.
En lettres capitales et parfaitement visibles (taille de caractère XXL), sur le mur face aux escaliers, le titre de l’exposition, « ZOMBIS », a attiré l’attention des visiteurs de manière percutante. Et sur le mur de droite figurait le premier texte expographique que le visiteur devait retenir comme apéritif avant d’entrer dans l’exposition :
LA MORT N’EST PAS UNE FIN ?

© Photo prise par Ethson Otilien, le 30 octobre 2024.
Affiches des trois expositions
FR [français] De quoi le mot « zombi » est-il le nom ?
Les zombis sont partout : sur les écrans de cinéma et de télévision, dans les bandes dessinées, sur les pavés à l’approche d’Halloween. Que nous disent-ils sur nous-mêmes, et surtout d’où viennent-ils ? Cette exposition part sur les traces originelles des zombis et propose de revisiter ce qui a été dit et écrit sur ces « non-morts ». Loin des zombis d’Hollywood, la figure du zombi correspond à un concept anthropologique précis, attaché à la culture vaudou d’Haïti. Il se nourrit de trois sources : les religions d’Afrique subsaharienne, les blessures encore ouvertes de l’esclavage et les savoirs des populations autochtones précolombiennes de la Caraïbe (Taïnos, Arawaks).
Le terme zombi recouvre une réalité sociologique complexe, entre savoir et fiction. On distingue en premier lieu le zombi « classique », à savoir un individu ayant commis des méfaits graves qui se voit jugé et condamné par des sociétés secrètes appliquant une justice magique parallèle à celle des hommes. On trouve aussi le zombi « criminel » et enfin le zombi dit « social » dans les cas d’usurpation d’identité.
Les zombis sont-ils le fruit d’un phénomène anthropologique ou ne s’agit-il pas majoritairement d’une crainte entretenue par les sociétés secrètes du vaudou haïtien ? Cette exposition donne à voir les réalités qui se cachent derrière la fiction et la peur de cet iconique « non-mort ».
Ce court texte recèle de nombreux éléments propices à un long débat. La deuxième phrase, formulée sous forme de question, est ce que l’on pourrait appeler en philosophie une question aporétique, difficile à surmonter. Autrement dit : au-delà de l’origine particulière des zombis, peuvent-ils nous en apprendre davantage sur la condition humaine en général ?
Bien que cette question n’ait pas été assez explorée au cours de l’exposition, elle a eu le mérite de susciter la réflexion chez le visiteur tout au long du parcours, qui s’est déroulé dans le sens inverse des aiguilles d’une montre.
D’emblée, l’exposition a établi une distinction entre le zombi haïtien, dont le « concept » était « attaché à la culture vaudou », et le zombi hollywoodien, produit de la fiction cinématographique étatsunienne. Cette distinction, bien que problématique, était essentielle pour comprendre le contexte spécifique dans lequel le phénomène du zombi a émergé en Haïti.
Étant curieux, j’ai eu envie d’aller visiter le site du Musée pour voir comment l’exposition et le thème du zombi en général étaient présentés, ainsi que la manière dont la communication autour de l’exposition abordait ce sujet. Étrangement, il y a eu une contradiction entre le contenu de l’exposition et ce qui a été dit sur le site. Voici ce qui y a été écrit et qui m’a conduit à m’interroger sur la cohérence des textes présentés pour l’exposition :
« En Haïti, la figure du zombi prend forme en marge de la culture vaudou, via les pratiques de ses sociétés secrètes – et notamment la société bizango – dont le rôle judiciaire lui confère le pouvoir de zombification. Jugé et condamné, le zombi est en réalité un criminel privé de liberté, rendu esclave et gardé dans un état d’hébétude au service d’un maître (bokor). »
Si l’on se tient à ce qui a été dit dans le premier extrait, on peut se demander : est-ce uniquement le concept qui est attaché au vodou ou tout le phénomène dans son ensemble ? Si la réponse est non, il faudrait alors préciser comment le concept a quitté le cadre du vodou pour se diffuser ailleurs. Si oui, une autre question se pose : la « figure du zombi » est-elle réellement « attachée » à la culture vodou ou s’est-elle plutôt formée « en marge de cette culture » ? Existe-t-il un lien entre le vodou et la zombification ? Si ce n’est pas le cas, pourquoi présenter les éléments du vodou pour contextualiser le phénomène du zombi ?
L’expression « en marge de », utilisée, signifie « à l’extérieur de », « en périphérie de » ou encore « en parallèle à ». Elle désigne quelque chose qui existe ou se développe en dehors du cadre principal, sans en faire partie intégrante, mais qui peut néanmoins être influencé par ou lié à ce cadre. En revanche, l’expression « attaché à » signifie qu’une chose est liée, associée ou connectée de manière étroite à une autre. Dans notre contexte, dire que la « figure du zombi » est « attaché[e]à la culture vaudou » signifie qu’elle y est fortement associée, qu’elle en fait partie intégrante ou s’y rapporte de manière significative.
« En Haïti, la figure du zombi prend forme en marge de la culture vaudou, via les pratiques de ses sociétés secrètes – et notamment la société bizango – dont le rôle judiciaire lui confère le pouvoir de zombification. Jugé et condamné, le zombi est en réalité un criminel privé de liberté, rendu esclave et gardé dans un état d’hébétude au service d’un maître (bokor). »
D’après mes constats, sur cette question, il n’y a pas de point de vue arrêté. Des adeptes du vodou interrogés affirment que cette pratique n’est pas liée au vodou, mais à d’autres types de rituels existant sur le territoire national. Selon l’un de mes informateurs,, de nombreux rituels et autres pratiques se déroulent en marge du vodou, mais sont souvent attribués à cette religion.
Il nous laisse entendre, par exemple, que les connaissances pour fabriquer des poudres magiques ne sont pas nécessairement liées au vaudou, bien qu’elles puissent être pratiquées par des adeptes de cette tradition.
Ces savoirs peuvent circuler d’une culture à une autre et se transmettent d’un pratiquant ou d’un connaisseur à un disciple, à quelqu’un que l’on estime être digne, ou même par achat (plus rare selon ce même informateur).
Pour cet informateur, la zombification est une pratique extérieure au vaudou. En revanche, des personnes extérieures au vodou interrogées pensent souvent que la zombification en fait partie intégrante. Certains vont même jusqu’à supposer que les adeptes du vodou tentent de blanchir leur pratique en cherchant à éliminer les aspects morbides. Qui dit vrai, dans ce cas-là ? Il est difficile de savoir si cela est dû à un manque d’investigation ou de distinction entre les divers rituels pratiqués en Haïti, comme un autre informateur a tenu à me l’expliquer, ou bien à une méconnaissance, voire à une certaine paresse intellectuelle.
Ce que l’on peut conclure, dans l’état actuel des recherches et des connaissances, c’est qu’il est compliqué de trancher.
Par ailleurs, les connaissances sur la zombification ne sont pas exclusives aux bòkò ni aux sociétés secrètes comme le bizango, selon ce qu’affirme un informateur. Elles ne se transmettent pas automatiquement aux personnes atteignant les fonctions de bòkò, d’ougan ou de manbo, ou faisant partie d’une société secrète. Ces connaissances peuvent même être transmises à une personne qui n’est pas nécessairement adepte du vodou ou d’une société secrète quelconque. Il arrive souvent que l’on sollicite les services d’un ougan pour défaire certains sorts.
En Haïti, les individus qui utilisent ces connaissances souvent qualifiées de « magiques », pour fabriquer toutes sortes de compositions à visée maléfique — comme des poudres ensorceleuses, des poisons ou d’autres types de maléfices destinés à nuire à autrui — sont appelés malfektè. Ce terme, quoique issu du français « malfaiteur », ne recouvre pas totalement toute la charge sémantique qu’il véhicule en créole haïtien.
Les bòkò sont souvent perçus comme des malfektè, tandis que les ougan reflètent généralement le bon côté du vodou, celui qui guérit les maladies ou neutralise les sorts jetés par un malfektè. Cependant, lorsqu’un ougan est également bòkò, on dit qu’il se sert de ses deux mains : le bien et le mal, et dans ce cas, il peut également être un malfektè.
L’affirmation selon laquelle « le zombi est en réalité un criminel privé de liberté » est inexacte, car le zombifié peut être victime d’une malveillance, que ce soit de la part d’un voisin, d’un membre de sa famille ou d’une connaissance. Une personne peut être zombifiée lorsqu’elle enfreint les règles d’un contrat ou qu’elle a commis une faute grave envers une autre personne.
On peut donc considérer qu’une personne zombifiée est condamnée par une certaine « justice », parfois sous de fausses accusations ou par vengeance. Le zombi n’est pas nécessairement au service du bòkò mais plutôt de celui ou celle qui a ordonné sa zombification.
Je ne comprends pas cette subdivision du zombi en plusieurs catégories « classique », « criminel », « social », qui me paraît suspecte, car la zombification a toujours une dimension sociale, puisque le zombifié est tenu en dehors du corps social, étant donné qu’on a réduit au maximum ses capacités à socialiser.
L’affirmation selon laquelle « le zombi est en réalité un criminel privé de liberté » est inexacte, car le zombifié peut être victime d’une malveillance, que ce soit de la part d’un voisin, d’un membre de sa famille ou d’une connaissance.
Par ailleurs, le mot zombi est parfois utilisé dans son sens métaphorique pour désigner un individu qui est très peu agile, inapte intellectuellement, un peu déconnecté de la réalité et interagit très peu avec le monde extérieur.
Un autre cas de figure concernant le zombi se retrouve dans l’expression « voye zonbi sou », qui signifie « envoyer un zombi sur » quelqu’un pour lui faire du mal. Une personne peut également chercher à mete zonbi sou li (« mettre des zombis sur soi ») dans le but de récupérer la force de ces personnes zombifiées, ce qui lui permettra d’exécuter des travaux bien plus importants que ceux des autres et en un temps réduit. Je ne connais pas le mécanisme qu’il serait pertinent d’étudier vu nos limites sur la question.
Après cette brève introduction servant de mise en bouche, le visiteur est accueilli par une reproduction quasi grandeur nature d’un peristil (péristyle).

© Photo prise par Ethson Otilien, le 24 octobre 2024.
Reproduction d’un peristil (péristyle)
Contrairement à ce qu’il représente dans l’architecture romaine, c’est-à-dire « une galerie de colonnes faisant le tour extérieur (entièrement ou partiellement, sous la forme d’un porche) ou intérieur d’un édifice », ce peristil représente un espace sacré, un lieu de culte vodou où se déroulent les cérémonies.
En son centre se dresse le poto mitan, ce que l’on peut appeler l’axe du monde (ou l’axi mondi) dans les différents mythes mondiaux, par lequel les esprits transitent et qui est l’élément central, symbolique du peristil.
L’espace est empli d’objets utilisés dans le culte vodou : des chaises en paille, des hochets, des chromolithographies accolées au mur, des tambours, des cruches, des alforts, des calebasses, des décorations de couleurs vives sous le plafond ainsi qu’un vèvè, dessin tracé au sol, représentant Baron Samedi, le Maître des morts et des cimetières, chargé d’assurer le lien entre les vivants et les morts. On trouve également des tableaux de Frantz Zéphirin en petit format.
Toutefois, il est assez surprenant qu’au moins un tableau de Zéphirin soit exposé dans le péristyle reconstitué, ce qui soulève certaines interrogations. En effet, les objets placés dans le péristyle sont présentés comme des objets cultuels.
Cela conduit à se demander si le tableau est également perçu comme un objet cultuel, voire sacré. Ce questionnement est d’autant plus pertinent qu’il existe une tendance à associer les peintures à sujet vodou à l’« art vodou », ces œuvres étant alors interprétées comme de « l’art religieux » ou même comme « sacré ».
Ce récit critique ne pouvant suivre une progression linéaire, je choisis ici une approche plus fragmentée. Revenons alors au panneau placé en début d’exposition, plus précisément à la dernière phrase du premier paragraphe qui aborde l’origine du zombi haïtien. Il est dommage que cette phrase ait été rédigée à la forme affirmative, car il ne me semble pas que cette question soit encore totalement élucidée par la recherche dans ce domaine.
Bien que l’on puisse affirmer avec certitude que la culture haïtienne s’est nourrie de trois sources principales — les premiers habitants de l’île (Taïnos, Arawaks, Caraïbes), des populations européennes (Français, Espagnols, Anglais, Polonais …) et surtout des populations africaines (Kongolais, Dahoméens, Yoruba …) —, la zombification, en tant que phénomène particulier, mérite un examen plus approfondi.
D’ailleurs, certains extraits de texte présentés ici affirment sans équivoque que le zombi est propre à Haïti, ce qui pourrait conduire à conclure que ce phénomène est né sur ce territoire. Mais comment prouver une telle affirmation, à savoir les trois sources d’où proviendrait la zombification mentionnée par le commissaire de l’exposition. Il est difficile d’établir un lien entre ce phénomène et les premiers habitants de l’île, qui ont totalement disparu aujourd’hui en laissant très peu de traces de leur civilisation, même si cela semble moins improbable pour les populations africaines.
Le site du musée évoque en ces terms l’origine du mot:
« Si le mot « zombi » (nzambi) est d’origine africaine et désigne un esprit ou le fantôme d’un mort, sa signification évolue considérablement en traversant l’Atlantique lors de la traite des esclaves, portée par la combinaison des croyances traditionnelles africaines, caribéennes et catholiques. »
L’origine du mot est présentée de manière vague et manque de rigueur.
On peut se demander ce que signifie précisément être « d’origine africaine » pour un mot, alors qu’au moins 1 500 langues sont parlées sur ce continent avec une superficie de 30.37 million km².
De plus, les chercheurs soulignent qu’il est difficile de déterminer une origine précise au terme. Les mots Zambie, Zumbi, Nzambi, mvumbi sont souvent évoqués dès qu’il s’agit de parler de l’origine du terme zombi. Pour Wade Davis, l’ethnobotaniste et anthropologue canadien, connu pour son livre The Serpent and the Rainbow : « Le mot vient probablement du mot kongo nzambi, qui signifie à peu près “esprit d’une personne décédée” ».
Patrick Sylvain, qui a soutenu une thèse sur la figure du zombi et le continuum plantationnaire, reprend les propos de Juliet Lauro, qui affirme que « le zombi a une histoire étymologique compliquée ».
Alors que le zombi haïtien est le plus souvent un être visible, sauf dans les cas où une personne envoie un zombi sur une autre ou lorsqu’une personne cherche à mettre des zombis sur elle-même, le « Nzambi » est « ’’un être invisible avec des origines dans les tribus bantoues et bankongo de la région de Nzambi Mpungu, dans la région inférieure du fleuve Congo, qui surveillait correctement les personnes de la région ; [cet usage du terme] pourrait être lié à la variante orthographique zambys ” ».
Des auteurs ont exploré la figure métaphorique du zombi comme un être non éveillé, un individu incapable de se révolter contre un système oppressif.
Selon Sylvain, « il existe une catégorie distincte de figures humaines dont la continuité et l’enchantement impliquent une personne organique hybride et une objectivité synthétique, d’une manière qui nécessite une reconceptualisation fondamentale de la notion d’ “ Être ” de Martin Heidegger en relation avec le devenir de cet être ».
La formule de René Depestre, déjà citée en note, décrit parfaitement l’état de cet être, ou plutôt de ce non-être, ou peut-être des deux à la fois : « l’homme à qui l’on a volé son esprit et sa raison en lui laissant sa seule force de travail ».
En effet, le zombi en tant qu’être individué, au-delà de cette dimension métaphorique évoquée, nécessite bien davantage de recherches empiriques.
L’expression « une justice magique parallèle à celle des hommes » est formulée avec une certaine légèreté. L’auteur fait-il référence au système judiciaire étatique ? De plus, les hommes interviennent également dans cette justice magique, ce qui complexifie l’idée d’une justice parallèle et remet en question l’opposition implicite avec la « justice des hommes ».
L’auteur a bien fait de souligner la complexité sociologique du terme « zombi », en utilisant les notions de « savoir » [ce qui est connu du sujet] et « fiction ». Il évoque ces êtres qu’il qualifie de « non-morts » et qui, pour de nombreux chercheurs, bien que vivants physiquement, sont en réalité des morts sociaux, car ils n’interagissent plus (ou très peu) avec le reste de la société.
Dans la tradition haïtienne, le zombi est souvent maintenu dans les plantations (ou dans d’autres espaces de travail ou de production) de celui ou celle qui a ordonné sa zombification, où il est réduit à un état d’esclave.
Il ne s’agit donc pas seulement d’un être privé de vie sociale, mais d’un individu asservi, détaché de tout lien avec la société. Quant à la question : « Les zombis sont-ils le fruit d’un phénomène anthropologique ou s’agit-il principalement d’une crainte entretenue par les sociétés secrètes du vaudou haïtien ? », son utilité peut être remise en question, dans la mesure où l’argumentation du texte tend précisément à démontrer que le zombi constitue à la fois une catégorie anthropologique et un phénomène profondément enraciné dans la culture haïtienne. Posée en introduction, cette question aurait sans doute été plus pertinente.
En poursuivant le parcours de l’exposition, on découvre d’autres objets en lien avec le vodou et l’esclavage, notamment le paquet magique, autrefois appelé « macandal ». Ce nom fait référence à l’individu du même nom, condamné à mort sous l’accusation de détournement d’objets religieux.
Il s’agit d’un paquet surmonté d’une croix, réputée pour posséder un certain pouvoir magique et qui était couramment utilisé à l’époque de l’esclavage.
Un panneau présente les noms de plusieurs lwa, accompagnés de leurs dessins représentatifs (vèvè) et d’un bref texte descriptif visant à introduire les visiteurs aux principaux esprits du vodou. Au-delà de la très belle présentation graphique de ce panneau, sur un fond rouge foncé – une couleur hautement symbolique dans le vodou, évoquant le sang et le sacrifice –, deux éléments prêtent cependant à confusion, à mon avis.
Le premier concerne l’appellation « Mami Wata » pour désigner la fameuse « Sirène » ou « la Baleine », esprit féminin des eaux et de la mer, ainsi que Simbi. Bien que ce terme corresponde à des figures similaires dans certaines cultures africaines, il n’est pas utilisé en Haïti pour nommer cet esprit.
Le second point concerne la représentation des aspects d’Ogou. Bien que le panneau mentionne ses différentes facettes (Chango, Badagri, Feray), un seul vèvè est présenté pour ce lwa, tandis que deux vèvè distincts sont affichés pour les aspects d’Èzili, à savoir Freda et Dantò. Cette différence de traitement pourrait induire les visiteurs en erreur, leur laissant croire que tous les aspects d’Ogou sont représentés par un seul dessin, alors que ce n’est pas le cas.
Une élégante garde-robe des serviteurs de lwa est exposée, mettant en avant une variété de styles : des robes à volants ou sans volants, des chemises, des redingotes de Baron Samedi, ainsi qu’une robe violette et noire de la Grande Brigitte qui ne pouvait manquer d’attirer l’attention. Cette diversité m’a immédiatement rappelé feu ma mère, qui cousait des habits pour les danses lwa.

© Photo prise par Ethson Otilien, le 24 octobre 2024.
Reproduction de costumes utilisés lors des cérémonies vodou
Un visiteur pressé pourrait ne pas remarquer que ces vêtements, décrits comme rituels, semblent pourtant entièrement neufs. Or, pour être considérés comme tels, ils auraient dû être préalablement utilisés lors d’une cérémonie, ce qui n’est manifestement pas le cas ici.
Il serait donc inapproprié de les présenter comme des vêtements rituels à proprement parler. Une mention précisant qu’il s’agit de reproductions inspirées de modèles authentiques aurait été plus juste.
Sans transition, l’exposition aborde ensuite les sociétés secrètes, en particulier la plus connue d’entre elles : la société Bizango. Les commissaires ont choisi d’exposer deux sculptures rembourrées de tissu, recouvertes de miroirs sur l’ensemble du corps, représentant des membres de cette société.

© Photo prise par Ethson Otilien, le 24 octobre 2024.
Reproduction d’une cérémonie bizango
L’un des personnages tient une paire de ciseaux et une canne, tandis que l’autre, légèrement basculé vers l’arrière, porte une machette. Ces sculptures font partie de la collection du musée.
Un peu plus loin, une reproduction d’une cérémonie bizango est présentée, avec des personnages entourés de bougies allumées. Pour ma part, bien que je n’aie jamais été en contact direct avec une société bizango, j’en ai entendu parler. Cela m’a conduit à m’interroger sur la fidélité de cette mise en scène par rapport à la réalité. Toutefois, les récits que j’ai pu entendre à ce sujet restent flous dans mon esprit, ce qui ne me permet pas d’émettre un avis éclairé sur la question.
De son côté, Célius évoque le bizango au conditionnel, ce qui laisse entendre que les recherches sur ces sociétés secrètes demeurent encore incomplètes :
« En Haïti, celles-ci auraient plusieurs noms selon les régions et leurs spécificités : elles s’appellent makanda, chanpwèl, vlengbendeng, zobop, soukouyan, bizango, etc. Elles auraient pris naissance au cours de la période coloniale et auraient été impliquées dans les luttes de libération, puis auraient gardé une fonction de défense et de maintien de l’ordre dans les campagnes. Mais le mot bizango serait lui-même commun à toutes ces sociétés, en ce qu’il renverrait à l’essence même de ces organisations, à savoir leurs lwa. »
L’exposition propose des reproductions grandeur nature de sépultures (je ne me suis pas attardé sur les matériaux utilisés), décorées de calebasses, de kwi – des calebasses coupées dont l’intérieur creux sert à contenir de la nourriture – et de cartes à jouer déchirées, évoquant une interpellation dans un cimetière ou un lakou.
Un arbre, orné de poupées attachées à ses branches, symbolise les victimes de sorts. Plus loin, plusieurs tableaux d’Hector Hyppolite, de Levoy Exil et de Frantz Zéphirin sont exposés. Tandis que Exil et Zéphirin représentent des lwa dans leurs œuvres, Hyppolite illustre quant à lui deux zombis, accompagnés, semble-t-il, par celui qui les aurait zombifiés. »
Un autre panneau présentait la reproduction des ingrédients supposément utilisés dans un processus de zombification.
Parmi eux figuraient des feuilles, des poupées et le fameux poisson-globe (appelé foufou en créole, fugu en français, ou encore poisson ballon), connu pour contenir de la tétrodotoxine, une substance toxique capable de ralentir les fonctions vitales d’une personne.
Un livre, ouvert à la page 32, exposait la recette « POUR RESSUSCITER UN MORT ET LE TRANSFORMER EN ZOMBIE ». Cet ouvrage, intitulé Les Derniers Secrets de la Science des Caraïbes (tome 2), est signé Ray Caloc. Sur l’un des cartels, on pouvait lire :
« Le tétrodotoxine (ou TTX) a été incriminée dans les années 1980 comme l’élément central de tout processus de zombification. Ce poison neurotoxique extrait de poissons des eaux chaudes provoque en effet, au bon dosage, un état de mort apparente. Les travaux les plus récents de chercheurs japonais ont clairement remis cette assertion en question, et l’on considère désormais le processus de zombification comme bien plus complexe qu’une simple intoxication en TTX, faisant intervenir d’autres toxiques mais aussi et surtout des facteurs psycho-sociaux. »
D’après un informateur qui va dans le même sens, il est difficile d’affirmer avec certitude que le poison utilisé pour la zombification provient exclusivement de ce poisson. En effet, certaines régions où cette pratique est courante, comme le Plateau Central, sont éloignées de la mer. Il précise qu’à Arnaud, dans les Nippes, où il est né et où la zombification est également pratiquée, ce poisson est peu connu.
Bien que sa position rejoint celle exprimée dans l’exposition, l’argument avancé reste toutefois fragile, car la poudre utilisée pourrait très bien être importée d’une autre région. Un autre informateur a suggéré que, dans le cas d’une opération censée être spéciale, complexe ou secrète, l’utilisation d’un poison méconnu du grand public pourrait renforcer l’aura de mystère et de secret entourant l’acte de zombification.
Un peu plus loin dans l’exposition, huit figures dont l’histoire a été véhiculée ou étudiée étaient présentées, parmi lesquelles le plus célèbre reste Clairvius Narcisse. Déclaré mort en 1962, il est réapparu chez lui des années plus tard avant de décéder à nouveau dans les années 1990. L’histoire de Michelet Dieu était également exposée.
Sur une page du journal Le Nouvelliste affichée au mur, datée de décembre 2014 et figurant dans la rubrique Idées et Opinions, on pouvait lire en titre : Michelet Dieu, un zombi de retour chez lui. Une question m’est alors venue à l’esprit : pourquoi cet article a-t-il été publié dans cette rubrique ? Cela signifierait-il que la zombification n’est pas encore prise au sérieux dans les médias haïtiens ? Ceux-ci considèrent-ils ce phénomène comme une simple croyance plutôt que comme une réalité anthropologique ?
Certes, il ne revient pas aux médias d’étudier ces phénomènes en profondeur, mais leur rôle ne devrait-il pas inclure une enquête et une documentation rigoureuses avant d’informer, surtout lorsqu’il s’agit d’un sujet aussi profondément ancré dans la culture haïtienne ? D’autant plus que plusieurs ouvrages sérieux ont déjà été publiés sur la question.
Des histoires de femmes zombies étaient également présentées, bien qu’une en particulier puisse prêter à confusion. Je fais référence à l’histoire de Croyance, cette femme qui, après avoir recouvré sa conscience, a fui et s’est dirigée vers un précipice où elle a trouvé la mortLes éléments factuels menant à cet événement tragique ont été exposés de manière trop schématique, rendant l’histoire caricaturale et empêchant ainsi de saisir toute sa portée.
Des questions se posent quant à la véracité de ces récits, notamment concernant la présentation des huit histoires : s’agit-il de véritables cas de zombification, de troubles psychiatriques, ou encore de situations où des personnes auraient été adoptées par des familles pour remplacer des membres décédés ?
Par ailleurs, l’exposition a également pris en compte la récupération politique des zombis. Sur un cartel, on pouvait lire :
LES TONTONS MACOUTES ET LES DUVALIER
« François Duvalier (Papa Doc) et son fils, Jean-Claude Duvalier (Baby Doc) ont su utiliser à leur avantage la crainte des sorciers capables de créer des zombis. Entre 1957 et 1986, en dirigeant le pays d’une main de fer, ils ont entretenu une faction mystique des Tontons Macoutes (cette police secrète dont le nom vient du méchant qui, dans les contes, enlève les enfants pour les dévorer), obéissant au doigt et à l’œil du chef d’État : l’armée des ténèbres. Des pratiques magiques ont toujours cours sur ce qu’il reste du mausolée de Papa Doc à Port-au-Prince. On y continue sacrifices et dévotions, espérant utiliser la force mystique du dictateur qui savait si bien jouer avec les forces occultes ».
Au fond du compartiment réservé à l’exposition, deux haut-parleurs diffusaient, d’un côté, une musique issue des confessions protestantes et, de l’autre, une musique catholique, soulignant ainsi l’aspect syncrétique du vodou haïtien.
Les commissaires de l’exposition ont également cherché à établir un lien entre Haïti et l’Afrique. Sur un écran, une cérémonie se déroulant au Congo-Brazzaville était diffusée. Un peu plus loin, de grandes sculptures en tissu rembourré et en d’autres matériaux étaient exposées. Cet aspect aurait gagné en pertinence si les liens entre Haïti et l’Afrique concernant le phénomène du « zombi » avaient été approfondis, notamment autour de la question des « morts-vivants » ou « living dead », évoqués dans l’un des articles de Maximilien Laroche. Des pièces relatant le voyage transatlantique des Africains vers les Amériques étaient également présentées, ainsi que des statuettes ou sculptures miniatures.
La dernière partie de l’exposition abordait la mondialisation des zombis. Des écrivains, artistes et cinéastes du monde entier se sont emparés de ce sujet, souvent en le transformant, en les exagérant, ou parfois en combinant les deux. Cela reflète, en tout cas, l’essence même de la fiction, qu’elle soit littéraire ou cinématographique. Plusieurs livres célèbres d’origines diverses étaient également exposés.
Le dernier élément de cette section portait sur le cinéma, qui a totalement déformé l’image du zombi, produisant un nouvel avatar de référence. Le cinéma hollywoodien, avec des films tels que L’Emprise des ténèbres (The Serpent and the Rainbow), a joué un rôle majeur en transformant la figure du zombi, en ne présentant qu’un aspect horrifique qui n’existe même pas en Haïti.
Dans ces films, le zombi est souvent confondu avec le vampire ou d’autres personnages effrayants issus de différentes cultures et croyances. Il est également possible de distinguer un film à caractère anthropologique ou ethnographique d’un film de fiction. Ce cinéma cherchait-il à reproduire un phénomène existant, même en exagérant les traits de l’entité de référence, en en faisant une caricature au sens classique du terme, ou s’en inspirait-il librement pour raconter une autre histoire ? Peut-on y percevoir des marques d’appropriation du phénomène zombi, avec l’injection d’éléments provenant des mythologies propres aux sociétés euro- étatsuniennes ?
Après cette première visite, David et moi avons pris le temps de faire le bilan de l’exposition. Était-ce une réussite ou non ? David semblait moins convaincu que moi, en particulier concernant le mélange entre vaudou et zombi. Il avait lui-même vu, bien que de loin, Clairvius Narcisse, le plus célèbre zombi du pays, originaire de l’Artibonite, tout comme lui. Sa famille avait même fréquenté celle de Clairvius Narcisse. Quand il était petit, cela lui faisait peur ; l’idée de voir ou de fréquenter cet ancien zombi de près ne lui venait pas à l’esprit.
Pour ma part, malgré les critiques que j’ai formulées à l’égard de cette exposition, je l’ai trouvée intéressante et digne d’intérêt, même si de nombreux éléments mériteraient d’être revus et corrigés. Ce récit ne vise pas à critiquer pour le simple plaisir de critiquer, surtout en tenant compte des nombreuses étapes nécessaires à la préparation d’une exposition de grande envergure.
Ce type de projet demande des mois, voire des années de travail, notamment lorsqu’il s’agit d’importer des pièces de l’étranger et d’obtenir les autorisations nécessaires. Cela est d’autant plus compliqué dans un pays comme la France, où la bureaucratie peut être très chronophage. Par ailleurs, on peut admettre que, dans ce cas précis, la question du point de vue — c’est-à-dire ce que l’on veut démontrer — est en cause.
Les points que je soulève ici reflètent des préoccupations tant personnelles que scientifiques. Ils visent à compléter le travail présenté, que je juge de bonne qualité et qui contribue au débat, tout en mettant en lumière la complexité des phénomènes exposés, les liens souvent difficiles à établir entre eux, ainsi que les obstacles à l’élaboration d’un point de vue stable.
David et moi avons terminé cette visite dans un restaurant coréen en plein cœur de Paris.
Un autre jour, en discutant de l’exposition avec une collègue française, Coline, elle s’est montrée très intéressée. Je lui ai proposé une visite guidée, ce qu’elle a accepté avec joie. Elle a immédiatement écrit à son amie Lara, qui souhaitait elle aussi venir. Ainsi, le 30 octobre, je me suis retrouvé avec deux collègues pour revisiter l’exposition. Nos discussions ont été très enrichissantes.
Lara s’est montrée très préoccupée et posait de nombreuses questions, mais le problème était qu’elle cherchait à comprendre le phénomène du point de vue d’une personne extérieure à la culture haïtienne et non initiée. Or, il faut faire l’inverse : adopter une perspective émique, se tourner vers l’Autre pour le comprendre, voir en lui un porteur potentiel d’alternatives, d’une vision différente de celle que l’on porte soi-même.
La transformation d’un individu en zombi lui paraissait inconcevable et difficile à imaginer. J’ai ressenti une très grande peur chez elle, probablement parce qu’elle n’arrivait pas à qu’elle n’arrivait pas à saisir pourquoi quelqu’un pourrait être transformé en zombi. Mais le sel, perçu comme un remède capable de défaire ce sort, la réconforta. Elle était intriguée par l’histoire du sel et ses effets potentiellement bénéfiques sur le zombi.
Je lui avais expliqué que, selon les croyances populaires, un zombi qui goûte du sel finit par reprendre conscience de lui-même et peut même retrouver le chemin de sa maison. Dans l’imaginaire collectif, c’est une vérité qui ne nécessite pas de démonstration. Elle imaginait que, si par hasard elle venait en Haïti, elle emporterait de grands paquets de sel et cacherait toujours un peu de sel dans ses vêtements ou dans un petit sac. Cette petite boutade détendit l’atmosphère, et nous avons ri, alors que les images présentées à l’exposition assombrissaient à la fois le vodou et Haïti.
Coline, quant à elle, interpréta le comportement de Lara différemment. Selon elle, la réaction de Lara face au sel s’expliquait par son incompréhension du rôle de ce dernier dans la dissipation du sort frappant les individus, ce qui l’a amenée à se concentrer sur le rôle du sel dans la dissipation du sort. Ce que j’avais perçu comme de la peur était, pour Coline, plutôt « une difficulté à comprendre qui pouvait, ou ne pouvait pas, être transformé en zombi, ce qui l’a conduite à se focaliser sur le rôle du sel dans la dissipation du sort ».
Dans l’ensemble, tout le monde a apprécié la visite, bien que quelques réserves aient été exprimées. Coline était très contente et se sentait enrichie par l’exposition et mes commentaires.
Elle m’a même encouragé à devenir guide dans les musées, bien que je ne sois pas certain de pouvoir exercer ce métier, qui exige une énergie plutôt jeune, car je ne suis plus capable de rester debout plusieurs heures d’affilée. Après la visite, nous avons pris la sortie ensemble, traversé le Pont de l’Alma pour prendre le bus 72, qui nous a déposés à Châtelet, puis chacun est parti de son côté.
Je ne peux pas terminer sans parler des visiteurs. Lors de ma première visite, la salle était déjà bien remplie à mon arrivée, et lors de la deuxième, c’était similaire, bien qu’il y ait eu un peu moins d’affluence que la première fois. La dame à la billetterie m’a même demandé d’attendre. Comme Coline et Lara m’attendaient à l’intérieur, je lui ai signalé cela, et elle m’a laissé entrer.
Je ne peux pas dire combien de personnes ont visité l’exposition, qui durera jusqu’en février 2025, mais d’après mes observations et mes estimations, plusieurs milliers de visiteurs ont déjà fait le déplacement. On peut se demander pourquoi un tel engouement pour cette exposition. Sans doute, c’est parce que la question du zombi suscite une fascination certaine et une crainte morbide chez beaucoup.
De plus, un imaginaire erroné ou façonné par les écrans a pu se développer chez des personnes qui n’ont pour sources d’information sur ce phénomène que le cinéma et les romans. L’exposition au Musée du Quai Branly à Paris offre ainsi l’occasion à certains curieux de satisfaire leur curiosité ou de confronter ce qu’ils ont lu et vu dans les livres et les films à des éléments plus « authentiques ». Lors d’un échange avec un de mes informateurs, il a souligné que, du point de vue d’un Haïtien, il serait souhaitable que tout phénomène lié à son pays soit présenté selon sa propre perspective.
La question qui se pose alors est de savoir si les usages qui en sont faits visent à dénigrer le pays ou s’il s’agit d’une source d’inspiration à partir de laquelle des créatrices et créateurs élaborent des représentations pour exprimer leurs désirs, leurs angoisses, leurs fantasmes… en écho à ceux de leurs publics cibles ou en lien avec l’effet qu’ils cherchent à produire auprès de leur audience.
Je ne peux m’empêcher de penser à toute la campagne de publicité que j’ai vue autour de cette exposition, avec de grandes affiches dans les gares et dans les rues. Le fond rouge a manifestement été choisi pour attirer l’attention des usagers, pressés certes, mais qui s’arrêtent lorsque le mot « zombis » les happe et que la couleur capte leur regard.

© Photo prise par Ethson Otilien, le 31 octobre 2024.
Affiche publicitaire, à côté du bâtiment du département de physique, chimie et géosciences de l’ENS, principalement situé au 24, rue Lhomond, dans le quartier latin de Paris
En ce qui concerne la question soulevée par le titre, à savoir si cette exposition constitue une nouvelle caricature d’Haïti sur la scène internationale, il convient de noter qu’elle a été réalisée de manière soignée, avec des ressources considérables.
Sur le plan formel, il est indéniable que celles et ceux qui ont contribué à la concrétisation de cet événement ne sont pas des amateurs, même si, du point de vue anthropologique et ethnographique, le travail mérite d’être questionné. La présentation a été, de bout en bout, d’un grand professionnalisme, sauf lorsqu’il s’agit d’aborder le fond du sujet. Les nombreuses négligences et incohérences relevées ont été une source de grande préoccupation pour moi. En reliant dès le départ le vodou à des pratiques telles que la zombification et le bizango, sans prendre en compte les opinions contraires, on présente une vision partielle et biaisée du phénomène, privant ainsi les visiteurs de l’ambiguïté qui entoure sa nature.
Il ne s’agit pas tant d’une tentative de « dédiaboliser » le vodou que d’une mesure de précaution scientifique visant à éviter toute interprétation simpliste et erronée. Il est également important de questionner l’authenticité des objets présentés comme étant liés à la société bizango. Sont-ils de véritables objets rituels utilisés par les membres de cette société, ou s’agit-il de reproductions ou d’œuvres d’art inspirées de cette culture ?
On peut légitimement s’interroger sur les motivations commerciales derrière cette exposition : la peur est-elle utilisée comme un outil de marketing ? De plus, on peut se demander si les commissaires ont réussi à transmettre fidèlement leur vision du phénomène ou la vision de ceux et celles qui le portent. Concernant le vodou, il aurait été intéressant d’explorer des aspects moins angoissants, comme les pratiques de guérison par les plantes ou les moments de communion lors des cérémonies.
Même si l’exposition ne se concentre pas spécifiquement sur le vodou, ces éléments auraient pu enrichir la présentation. Enfin, l’introduction de l’exposition, avec sa formule mémorable, marque indéniablement les esprits, mais un anthropologue pourrait contester certains aspects :
« Oubliez tout ce que vous croyez savoir sur les zombis … Loin des morts-vivants contagieux du cinéma et de la pop culture, l’exposition vous emmène en Haïti sur les traces d’un véritable mythe. »
Cette formule introductive me semble bien légère, voire même trompeuse.
En affirmant d’emblée que le zombi est un « véritable mythe », l’exposition risque de limiter l’exploration de la réalité historique et sociologique sous-jacente. Bien qu’elle propose une typologie des zombis, cette affirmation initiale ne rend pas justice à la complexité du sujet. Des ambiguïtés sont omniprésentes tout au long de l’exposition, laissant entendre qu’une révision systématique aurait été nécessaire pour garantir la cohérence globale et la pertinence de chaque élément, qu’il s’agisse des textes ou des objets présentés.
Comment oublier le titre, « Zombis, la mort n’est pas une fin ? » ! Le ton de la phrase est provocateur et réflexif. Formulée sous une forme interro-négative, elle invite les visiteurs à réfléchir sur le thème de la mort en l’intégrant dans le contexte des zombis. Elle suggère que la mort n’est pas une fin selon les croyances associées aux zombis et qu’il existe une continuité de l’existence.
Dans ce récit, je n’ai pas pu explorer tous les aspects. Certains ont simplement été évoqués sans être nécessairement conceptualisés, tels que l’espace-lieu, la scénographie des différents objets présentés dans cette exposition (textes et objets), ainsi que la relation entre les objets et la réception des œuvres. J’ai préféré me concentrer sur le texte présenté plutôt que sur les objets.
Il m’aurait été avantageux de comparer le livre publié par Charlier sur le sujet, la bande dessinée réalisée avec un dessinateur à partir de ce livre, le contenu du catalogue et les textes de l’exposition… Mais, faute de temps, je n’ai pas pu le faire.
Il est à noter que le commissaire principal de l’exposition est Philippe Charlier, directeur du Laboratoire anthropologie, archéologie, biologie (LAAB) à l’UFR Simone Veil – Santé (UVSQ / Paris-Saclay). Il est présenté parfois dans la presse, y compris haïtienne, comme anthropologue, chercheur, universitaire, commissaire d’exposition, ethno-scénographe… Les commissaires associés sont Lilas Desquiron, ethnologue, écrivaine, ancienne ministre de la Culture d’Haïti et ex-ministre conseillère, déléguée d’Haïti auprès de l’Unesco, ainsi que Erol Josué, directeur général du Bureau national d’ethnologie de Port-au-Prince, artiste et « prêtre vaudou ».
Par Ethson Otilien
Couverture | Façade du Musée du Quai Branly. Photo : Ethson Otilien – 30 octobre 2024
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