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Qui est l’inspectrice de la PNH arrêtée à Petit Bois ?

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Fervente catholique et défenseure des femmes au sein de la PNH, Marie Louise Gauthier se trouve en détention pour tentative de coup d’État

L’inspectrice générale de la Police nationale d’Haïti, Marie Louise Gautier, arborait encore son uniforme de police quand elle, ainsi qu’une vingtaine d’autres individus, a été appréhendée à Tabarre 7 février 2021. Deux autres membres de la famille, Dre Marie Antoinette Gautier et l’agronome Louis Buteau sont aussi arrêtés par le palais national pour « complot contre la sureté de l’État. »

Arrêtés tôt dans la matinée, les prévenus de « Petit Bois » sont restés affamés et sans se laver pendant plusieurs heures. Les proches de l’inspectrice pensent que les accusations de putsch à son encontre sont montées de toutes pièces. « C’est un complot pour crier au complot », dit la pédiatre Jacqueline Gautier, sœur de l’inspectrice.

Née le 21 juin 1958 à Léogâne dans une famille de sept enfants dont elle est la benjamine, Gautier est l’une des premières figures féminines de la PNH. Elle est aussi la première femme à occuper une haute fonction au sein de l’institution.

L’inspectrice n’avait pas encore un an quand son père Alexis Gautier dit Tassy est décédé. Sa mère, l’infirmière Andrée Lissade Gautier, surnommée madame Tassy, les a élevés seule. Andrée Lissade figurait parmi les premières infirmières de la ville de Léogâne.

C’est dans cette ville que Marie Louise Gautier a fait ses études primaires, à l’école des filles de la sagesse. Comme il n’y avait pas d’école secondaire dans la Cité d’Anacaona à l’époque, la famille Gautier est venue s’installer à Port-au-Prince. Marie Louise Gautier ainsi que ses sœurs ont bouclé leurs études classiques à l’école Sacré-Cœur de Turgeau.

Des sportifs passionnés

Les Gautier sont une famille de footballeurs. Les quatre sœurs, Rose, Jacqueline, Marie Antoinette et Marie Louise Gautier sont toutes internationales de football. Les frères Gautier ont aussi essayé le ballon rond. Lors du premier championnat interrégional le 14 avril 1975, Fernand Gautier avait marqué un but contre Petit-Goâve, au match retour Léogâne-Petit-Goâve (1-1). Daniel Gautier, un autre frère, était, lui, entraîneur de football.

Comme sa fratrie, Marie Louise Gautier est une ancienne star de football. Dans son adolescence, elle a été membre de l’équipe Tigresse. Elle a aussi joué dans l’équipe nationale de football. L’inspectrice générale était un milieu de terrain complet avec une carrière qui s’étend de 1975 à 1988.

Après le secondaire, Marie Louise Gautier a bénéficié d’une bourse de l’État haïtien en partenariat avec l’Université d’Abidjan à Côte d’Ivoire, où elle est sortie avec une certification pédagogique en éducation physique. Après cette étude, Gautier s’est rendu au Canada pour suivre une formation en Gendarmerie royale.

En 1995, la Police nationale vient tout juste d’être créée. Marie Louise Gautier a décidé d’intégrer l’institution. « Elle a franchi toutes les étapes avant d’arriver au grade où elle est aujourd’hui », explique Catherine Buteau, nièce et filleule de l’inspectrice générale.

Une chrétienne fervente

Buteau décrit sa tante comme une femme exceptionnelle, aimant son travail et très soucieuse de la cause des femmes. Marie Louise Gautier a été la coordonnatrice nationale des affaires féminines au sein de la Police nationale en 2017. C’était à l’époque le poste le plus élevé occupé par une femme à la PNH.

En dehors de son travail, Gautier est un fervent catholique qui aime lire des livres sur la spiritualité. « La dernière fois qu’on s’est parlé, c’était le 1er janvier 2020, se rappelle Catherine Buteau. Elle m’a appelé pour me demander si j’allais manger la soup joumou. Mais elle a surtout voulu savoir si j’avais acheté une bible. Elle ne veut pas entendre que je ne lis pas la bible ».

Pour Catherine Buteau, les vagues d’arrestation du 7 février 2021 restent un choc. « Dimanche, au réveil, j’ai appris que mes parents, et ma tante ont été arrêtés illégalement. Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit. »

Que risque Marie Louise Gautier?

Le Règlement de discipline générale (RDG) de la PNH interdit aux policiers l’implication dans des activités politiques. Mais, le document ne prévoit pas de sanction.

La loi ne prévoit pas de contrainte par corps pour un policier qui s’introduit dans la politique, selon Me Marc Maisonneuve, l’avocat qui se charge du dossier des personnes incarcérées le 7 février dernier. « La loi ne prévoit aucune peine, dit l’avocat. Dans de telles situations, on peut écarter l’individu de l’institution. Mais jamais on ne peut priver un policier de sa liberté parce qu’il s’est introduit dans la politique. »

Le Juge Yvickel Dabrésil a été libéré le 11 février dernier. Alors que Marie Louise Gautier et les autres personnes accusées comme elle sont encore en prison. Me Maisonneuve qualifie de discriminatoire l’ordonnance de la juge Grecia Norcéus, doyenne du Tribunal de Première instance de la Croix des Bouquets.

« Nous avions intenté une action en habeas corpus auprès de la Doyenne pour libérer toutes les personnes citées dans ce dossier parce qu’elles ont été arrêtées illégalement. Mais elle n’a tenu compte que du statut du juge Yvickel Dieujuste Dabrésil que le juge instructeur n’était compétent pour juger », explique Me Maisonneuve.

L’habeas corpus est un recours que le législateur met à la disposition de toute personne qui estime que sa liberté fondamentale a été violée. Selon Me Maisonneuve, quand l’arrestation est illégale, le Doyen est tenu de libérer les prévenus même si les accusations à leur encontre étaient vraies.

Un dossier au cabinet d’instruction

Les gens ont été arrêtés avant 3 h du matin. De 6 h à 6 h, aucune personne ne devrait être arrêtée, sauf en cas de flagrant délit, poursuit l’avocat qui croit que dans ce dossier, il n’y a pas lieu d’évoquer la flagrance parce que les individus se trouvaient chez eux. « En plus, ils étaient appréhendés par des policiers de l’Unité de sécurité générale du palais national (USGPN). Ces agents n’ont pas le droit d’arrêter qui que ce soit. Ils sont là pour protéger l’aire du palais national. »

Le dossier est encore au cabinet d’instruction du Tribunal de première Instance de la Croix-des-Bouquets. Me Maisonneuve informe qu’il va interjeter appel pour libérer toutes les personnes qui ont été arrêtées.

Jacqueline Gautier affirme pour sa part que sa famille travaille sans cesse avec des avocats, des représentants d’organisations de droits humains, pour que l’inspectrice Marie Louise Gautier ainsi que toutes les autres personnes qui ont été arrêtées dans ce dossier trouvent leur libération.

Quant à Catherine Buteau qui vit au Canada, elle pense que la situation a dégénéré en Haïti. Elle craint de ne pas pouvoir à l’avenir y élever ses enfants — si elle en aura. « Je suis les actualités en Haïti. Il semblerait que l’équipe en place ne respecte pas la constitution de 1987. C’est un signe que ce gouvernement s’enfonce de plus en plus dans la dictature. »

Laura Louis 

Laura Louis est journaliste à Ayibopost depuis 2018. Elle a été lauréate du Prix Jeune Journaliste en Haïti en 2019. Elle a remporté l'édition 2021 du Prix Philippe Chaffanjon. Actuellement, Laura Louis est étudiante finissante en Service social à La Faculté des Sciences Humaines de l'Université d'État d'Haïti.

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