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Quelle image donner d’Haïti sur internet ? Un débat stérile !

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La question de l’image est au cœur de notre siècle. Si bien qu’elle supplante parfois le réel. Un peu comme si cette génération vivait une double vie, une tangible et mortelle et l’autre souvent fabriquée de toute pièce sur les réseaux sociaux et sur internet.

Cette question dépasse aujourd’hui la sphère privée pour s’étendre aux groupes sociaux, aux régions et aux États. Internet étant devenu la porte d’entrée vers la réalité quand elle ne la substitue purement et simplement, citoyens et gouvernants en font leur chasse gardée. Ce que dit Internet de toi finit par avoir plus d’importance que ce que  tu es vraiment.

Conséquemment, un débat passionné met aux prises depuis quelques années, en Haïti deux conceptions de l’image qu’on devrait afficher du pays sur la toile.

La première tendance s’éructe que les médias occidentaux gavent complaisamment l’opinion publique des clichés simplistes brossant à l’épuisement le portrait d’une Haïti terre de catastrophe, de tremblement de terre et d’insécurité. On est certainement arrivé au point où on ne sait pas parler d’Haïti sans parler de désolation. Les tenants de ce courant postulent un renversement de la situation. Ils entendent présenter au monde cette perle que les méchants médias internationaux refuseraient de promouvoir.

L’autre courant y est radicalement opposé. Formés à l’école du réalisme, ses protagonistes récusent la schizophrénie qui causerait chez leurs compatriotes une perte aggravée de contact avec la réalité. Haïti ne serait jamais dépeinte en pays de calamités si tragédie, il n’y en avait pas. Mythomanie est donc cette frénésie de hashtag, les uns plus populaires que les autres invitants à associer Haïti sur Twitter et sur Instagram aux roses de l’aurore et à ses plages turquoise plutôt qu’aux décombres et à la malnutrition.

Cet affrontement est à mon sens doublement stérile et puéril. Non qu’il soit totalement inutile, mais parce que précisément il ne mène nulle part. C’est comme un athée aguerri discutant de résurrection avec un protestant intégriste. Chacun étant dépositaire de SA vérité, le débat se transforme en exposé de positions et au final personne n’en ressort édifié, et encore moins avec une position édulcorée.

Le grand danger est d’avoir ce que l’écrivaine nigériane Adichie Ngozi Chimamanda appelle littéralement « une histoire unique sur la réalité ». Quand cette dernière est relatée par des étrangers, souvent elle réduit, ensauvage et déforme l’autre. De ce fait, il est essentiel que nous, Haïtiens puissions nous raconter tel que nous nous voyons nous-mêmes. C’est une reconquête symbolique de souveraineté.

Par contre, le réel étant d’une complexité infinie, la limiter à un de ses aspects revient à s’amputer volontairement des possibilités de son amélioration. À trop penser Haïti comme la perle des Antilles alors qu’à côté des plages, des enfants crachent la poussière, on chausse les bottes de nos ennemis et pire, on fait par-là l’économie de nos responsabilités dans l’état de la situation.

Haïti ne changera pas avec quelques photos sur Instagram, mais ces photos sont nécessaires. Elles disent la diversité, elles racontent l’autre Haïti aussi vraie que celle vilipendée. Cependant, être bien-pensant n’est pas forcément bien penser. Ce n’est qu’en développant réellement le pays et en le rendant accueillant pour ses propres habitants que l’on arrivera à combattre efficacement le «haitian bashing».

Widlore Mérancourt

Widlore Mérancourt est éditeur en chef d’AyiboPost et contributeur régulier au Washington Post. Il détient une maîtrise en Management des médias de l’Université de Lille et une licence en sciences juridiques. Il a été Content Manager de LoopHaïti.

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