Opinions

Opinion | Quand la Faculté de droit de l’Université d’État d’Haïti viole les Droits Humains

0

Cette note doit être rentrée sans délai et l’effectivité du règlement intérieur dont elle est issue doit être suspendue, soit totalement ou partiellement en attendant sa révision en conformité aux règles de légistique

Touchée dans sa valeur épistémique, la Faculté de droit et des sciences économiques de Port-au-Prince se trouve donc, à travers la publication d’une note, au cœur d’un scandale pour le moins médiatisé. Ce 10 avril 2021, sur la plateforme Facebook, dès l’apparition de cet avis, la génération 2.0[1] s’est mise en branle pour exprimer tout son émoi.

Il s’agit pour plus d’un : avocats, étudiants, militants politiques, professeurs d’université, d’un acte simplement ridicule et d’une violation flagrante sapant ainsi les libertés individuelles.

De l’avis du Directeur du Collectif d’avocats spécialisés en litige stratégique des Droits Humains, Me Patrice Florvilus, cette note débile, consacrant une forme de discrimination et d’exclusion de manière institutionnalisée, mérite d’être attaquée en justice. Tout comme Me Florvilus, nous sommes de ceux qui croient que cette note doit être rentrée sans délai et l’effectivité du règlement intérieur dont elle est issue doit être suspendue, soit totalement ou partiellement en attendant sa révision en conformité aux règles de légistique.

Mais dans la foulée des critiques, se rangent évidemment des opinions contraires. Des personnalités du monde juridique qui, à la base d’une vision réductrice et hautement limitative des questions des Droits Humains, voient que la problématique de la violation des libertés fondamentales, telle qu’elle a été vigoureusement agitée et critiquée par des militants des droits humains, est un peu exagérée.

Vraisemblablement, la déduction à cette demi-mesure exprimée au discours laisse augurer une posture de violation d’un certain droit qui serait moins lourd, mois fondé et donc moins considérable dans les appréhensions. On aura donc raison de comprendre que même les plus ingénus, après qu’ils auront sereinement analysé la question, concluront à l’évidence pure et simple de cette violation. Pas à peu près. Pas d’exagération non plus. Pourquoi devrait-on aller à l’excès sur la nécessité de faire montre des cas de violation des Droits Humains ? Ceux qui sont enclins à dénoncer ces violations de droit se voient souvent taxer de façon péjorative et même caricaturale, pour emprunter le terme de l’avocate camerounaise, Me Alice Nkom, notre consœur engagée principalement dans la défense des droits LGBT[2], de «droit-de-l’hommiste» en excès.

Ce déni de droit ou de justice traduit la dangerosité de l’effet négatif de la privation d’un droit par rapport aux autres. Parce-que les Droits de l’Homme, d’autant qu’ils sont interdépendants sont aussi indivisibles dans leur caractère. Nous ajouterons que le respect de ces droits ne comporte aucune limitation spatio-temporelle et ne souffre aucunement de considération quant à leur application.

Signée de monsieur Blanchard M. Y. L. Jean-Baptiste, secrétaire général de la Faculté de droit et des sciences économiques de Port-au-Prince en date du 9 avril 2021, que dit cette fameuse note en débat ? En effet, elle rappelle aux étudiants de ladite Faculté les dispositions de l’article 5 des règlements intérieurs dont teneur suit :

«Article 5 : Pour être admis en salle de classe, l’étudiant doit avoir une tenue décente : pas de pantalon court, pas de chapeaux ni de képis pour les deux sexes; pas de sandales pour les hommes, pas de savates et de collant pour les filles. Les cheveux doivent être décemment soignés, bien peignés et couper court pour les hommes, pas de tresses pour eux non plus. Tout contrevenant sera sanctionné conformément aux règlements intérieurs de la faculté.»

Déjà, nous nous faisons l’économie de ne pas analyser la formulation de ce fameux article 5 qui, du moins, du point de vue lexical, laisse fortement à désirer. Ce ne serait pas de trop quand on sait que le document-cadre de référence de la NOTE est l’œuvre d’une Faculté de droit.

Notre démarche s’inscrit dans un retournement de la question en vue d’analyser un vaste chantier d’incompréhension sur lequel s’appuient plus d’un estimant correcte la note et en conséquence n’y voyant aucun acte de violation des Droits Humains.

À bien des égards, nous reconnaissons nuancée la question des droits humains, voire que l’État de droit est en pleine construction dans le pays. Ce cadre situationnel pourrait tout aussi nous servir de prétexte pour inviter à une réflexion mûrie autour de la nécessité du renforcement de la formation continue des acteurs étatiques, en particulier, ceux du système judiciaire et de la population en général.

Il est des situations d’autant pénibles que révoltantes de voir, constater, des hommes et des femmes de loi, sans la moindre gêne, se complaire à stigmatiser, déferler de propos discriminants à l’égard des étudiants en droit en les qualifiant de gueux et de marginaux.

« Sous couvert des Droits Humains, ces étudiants portent des haillons et sentent toujours mauvais », écrit une avocate en commentaire. D’autres ont parlé de la nécessité d’asseoir un conservatisme constant pour préserver les valeurs fondamentales eu égard au code vestimentaire des étudiants de la Faculté de droit. Une question hautement moralisante qui s’attache profondément à une éthique de noblesse.

Au-delà de la gravité de l’incompréhension des néophytes à ces questions qui s’avèrent cruciales, voire existentielles, se trouve aussi, dans la pensée de Bourdieu (1964) et de Passeron (1970) le poids d’un fardeau de l’arbitraire culturel, de l’action pédagogique où ceux-là qui se prennent pour des héritiers reproduisent par des codes sociaux des formes de violence symbolique pour ainsi mettre en évidence le capital culturel et la pratique des classes dominantes. De toute évidence, il s’agit plutôt, des déshérités qui promeuvent une culture bourgeoise très éloignée de la leur.

Quid des règlements intérieurs au regard de la hiérarchie des normes?

Les règlements intérieurs sont par nature un acte règlementaire. Ils jouent une fonction auxiliaire aux dispositions statutaires ou une loi mère antérieurement établie. S’ils doivent se rattacher à des valeurs propres d’une institution, il est aussi d’admettre qu’ils participent pleinement à l’affirmation identitaire de l’établissement dont ils régissent le fonctionnement.

Aussi, c’est à bon droit pour la Fdse de Port-au-Prince de s’être doté d’un cadre règlementaire à sa guise. Cependant, l’ensemble de ces valeurs dites propres ainsi que la marque identitaire de l’entité en cause ne peuvent et ne sauraient déroger en rien à l’ordre public. C’est pourquoi ils doivent impérativement se conformer au principe de la hiérarchie des normes et à juste titre, à la Constitution, aux textes internationaux signés et ratifiés par l’État haïtien. C’est une exigence minimale de la méthode moniste en droit international.

En tant que telles, les normes juridiques constituent la base sur laquelle est fondé l’État de droit. Il s’agit donc d’un ordre hiérarchisé. À travers cette hiérarchie, la théorie Kelsenienne établit clairement que chaque règle tire sa légitimité de sa conformité aux règles supérieures ; c’est le positivisme juridique.

Ce positivisme se défait de toute tentative moralisante ou moralisatrice du droit. Cette posture s’affranchit de toute forme de subjectivité et de passion se rapprochant au jusnaturalisme. Ainsi, elle se veut de garder une neutralité axiologique tout en priorisant le respect et l’intégrité des normes supérieures.

Selon la doctrine politique du Contrat social, la loi est souveraine et la législation est supposée constituer un tout cohérent. […] La loi constitutionnelle l’emporte sur les lois ordinaires, les lois elles-mêmes sur les décrets et les arrêtés ministériels. Le règlement intérieur est un texte dérivé qui doit nécessairement puiser sa source principale dans un corpus juridique plus grand. Car, l’idée de base est de répondre aux exigences de l’ordonnancement juridique. Cela dit, la validité juridique de celui de la Fdse, comme tout autre règlement d’ailleurs, n’est légitime que s’il est conforme à la loi. Interrogeons donc la loi et des instruments internationaux au regard du contenu de l’article 5 des règlements intérieurs de la Fdse de l’Université d’État d’Haïti.

Violation des droits humains et les libertés individuelles

Nous partons d’entrée de jeu du principe de l’intériorisation des accords, traités et conventions en droit national une fois signés et ratifiés par Haïti. Ce principe reste consacré par l’article 276.2 de la Constitution haïtienne de 1987. Cet éclairage en guise de rappel tait toutes formes de perceptions portant à croire qu’il s’agit des textes internationaux qui ne seraient donc, par leur nature, pas applicable sur le plan national. Bien au contraire, l’ensemble de ces dispositions font bel et bien partie intégrante du droit interne.

De manière claire et sans équivoque, la Faculté de droit de l’UEH à travers l’article 5 des règlements intérieurs publié dans la note du 9 avril 2021 viole systématiquement :

  • La Constitution haïtienne en ce qui a rapport aux droits à l’éducation et à l’enseignement supérieur en ses articles 32 et 32-6 ;
  • La Déclaration universelle des Droits de l’Homme (DUDH) en ce qui concerne les libertés individuelles[3] en ses articles 2 et 26 ;
  • Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels[4] en ses articles 13 et 15 ;
  • La Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale[5] en son article 1.

L’État par le biais de la Constitution de 1987 aux articles 32-3 et 32-6 dit garantit le droit à l’éducation, dispose que l’enseignement est libre à tous les degrés, que l’accès aux études est ouvert en pleine égalité à toutes/tous. Cet accès selon les règlements de la Faculté de droit de l’unique institution d’enseignement supérieur d’État du pays est tout bonnement limité pour certains jeunes par le seul fait qu’ils portent des tresses. Pure aberration ! Il s’agit par un seul acte de constater la violation de plusieurs droits fondamentaux. Ces mesures confortent une stigmatisation déjà présente et constante dans la société, elles témoignent sans ambages la privation des droits culturels et à l’identité culturelle et enfin sapent le droit à l’éducation et à l’enseignement supérieur.

Malgré cette belle bêtise humaine, constatée sans équivoque, il y a quand même de malhonnêtes gens qui défendent la note, qui pis est, sans même la comprendre. Ils disent pour la plupart qu’on n’a pas refusé (aux marginaux) l’accès à la Faculté. On a juste précisé qu’ils doivent s’habiller comme des « moun[6] ». C’est tout simplement révoltant.

En vérité, vous dites que l’accès à la salle de cours est conditionné par un ensemble de codes vestimentaires violant déjà toute une série de droits culturels. La nuance serait que ces dits marginaux pourraient fréquenter l’espace facultaire, mais pas la salle de cours ? Ce qui revient à dire que cette dernière ne fait pas partie de l’espace et l’espace ici est réduit uniquement à la cour, les couloirs et les toilettes toujours nauséabondes sapant toute dignité humaine.

Essayons donc de camper ce scénario : vous êtes intéressé au droit. Parallèlement, vous exercez pleinement votre droit à l’identité culturelle ; donc vous pouvez et comme de fait, vous portez des tresses. Vous vous inscrivez à la Fdse. Vous avez subi le concours d’entrée. Vous avez eu votre admission et le jour de votre premier cours ; désolé monsieur ! Car, suivant l’article 5 des règlements intérieurs de la Faculté, vous n’avez pas accès à la salle de cours en raison de ces tresses.

L’accès à la salle de cours est la dernière étape d’un processus d’intégration qui passe par l’inscription et un concours d’admission. Si le gueux portant des tresses peut se faire inscrire (parce que, c’est de droit) et être admis par la suite ; vouloir lui refuser l’accès à la salle de cours n’a absolument pas d’autre nom que la VIOLATION AUX DROITS À L’ÉDUCATION ET À L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR.

 La Déclaration universelle des droits de l’homme ne permet pas d’équivoque :

Article 2. Chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamées dans la présente Déclaration, sans distinction aucune, […]

S’il est de principe que là où la loi ne distingue pas, il n’y a pas lieu de distinguer « Ubi lex distinguit, nec nos distinguere debemus », le cas échéant est tout à fait différent pour la Faculté de droit de Port-au-Prince. Que malgré l’universalité des Droits de l’Homme, n’importe quel citoyen ne pourrait pas se prévaloir de tous ses droits, car, il doit se rappeler, qu’en face du temple où l’on s’initie aux notions de la loi et des Droits de l’Homme, il faut se restreindre à l’usage d’un certain nombre limité de droits. À la Fdse, on distingue formellement qui doit avoir accès ou non à quel type de droit. L’exercice du droit est carrément disproportionné, le droit à l’éducation par exemple.

Article 26

  1. […]; l’accès aux études supérieures doit être ouvert en pleine égalité à tous en fonction de leur mérite.
  2. L’éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et au renforcement du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Elle doit favoriser la compréhension, la tolérance […]

Malheureusement, à la Fdse, le mérite ne suffit pas. Le conditionnement (la discrimination) commence selon que vous soyez fille ou garçon, la considération est genrée à la base. Si l’éducation prônée doit viser le plein épanouissement de la personne humaine, tout prétendant ou étudiant à la Fdse prendront garde, car ils peuvent un jour à coup sûr à subir un contrôle sur leur indice de masse corporelle (IMC) qui deviendra facteur prééminent et déterminant à leur formation universitaire.

L’article 13 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels reconnait le droit de toute personne à l’éducation. Cette dernière doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et du sens de sa dignité et renforcer le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

L’article 15 quant à lui reconnait entre autres le droit de participer à la vie culturelle. Les droits culturels ont été longtemps perçus en marge des Droits Humains. Pourtant, ils puisent leurs sources dans la quête de l’idéal de l’être humain libre suivant la Déclaration universelle des droits de l’homme. Ces derniers, pour atteindre leur but, ne peuvent passer que par le truchement et la garantie des droits économiques, sociaux et culturels entre autres. Dans l’espèce en question, comment questionner la violation les droits culturels des étudiants ou prétendants de la Fdse ?

À cette interrogation, la déclaration de Fribourg apporte amplement d’éclairage susceptible de révéler, de la note du 9 avril, les droits culturels violés par l’article 5 des règlements intérieurs de la Fdse.

À noter que cette déclaration répond au besoin du respect de la dignité humaine parce qu’elle se rapporte essentiellement aux Droits de l’Homme et met en lumière les caractères d’indivisibilité et de l’interdépendance des droits culturels.

En effet, l’article 2 de cette déclaration entend par culture : toutes les valeurs, les croyances, les convictions, les langues, les savoirs et les arts, les traditions, institutions et modes de vie par lesquels une personne ou un groupe exprime son humanité et les significations qu’il donne à son existence et à son développement. En ces termes-là, une personne qui communique et entend être reconnue dans sa dignité, dégageant un ensemble de codes et de références culturelles jouit pleinement son identité culturelle.

En revanche, si par contrainte, face à l’obligation de nous restreindre la communication ou l’affirmation de ces valeurs, croyances, convictions comme nous entendions mener nos propres vies ou de nous en imposer d’autres, il y a là ; sans détour, une violation de nos droits culturels et par ricochet, notre identité culturelle.

L’article premier de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale met en exergue, l’expression « discrimination raciale » en précisant clairement qu’elle vise toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée sur la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique, qui a pour but ou pour effet de détruire ou de compromettre la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice, dans des conditions d’égalité, des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social et culturel ou dans tout autre domaine de la vie publique.

Ce qui gouverne et répond à l’essence même de la Déclaration universelle des droits de l’homme est la notion de liberté, égalité et la dignité. En ce sens, nous devons être capables de nous prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés qui y sont énoncés, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur ou d’origine nationale. Au moment qu’il subsiste, ne serait-ce qu’une forme de distinction traduit déjà une idée de discrimination.

À première vue sans intérêt, paraît-il ; il ne nous semble pas nécessaire d’être interpelés par une série de questions qui par la suite deviennent capitales. La note du 9 avril faisant référence au règlement intérieur dit clairement qu’il s’agit d’un rappel. Autrement dit, le texte existe depuis un certain temps. Pourquoi donc ce rappel ? Pourquoi maintenant ? Quels évènement ou flux de situations particulièrement motivantes sont responsables de cedit rappel ? En attendant que viennent toutes tentatives de réponses à ces questions, à la limite du raisonnement, il est plausible de réfléchir sur la montée de la tendance des dreadlocks et des coiffures afro dans le pays, surtout dans la capitale haïtienne. S’agit-il d’une posture identitaire ? Un effet de mode ou l’implosion d’une forme de rejet face au modèle culturel des puissances occidentales ? Une démarche consciente ? On l’ignore encore.

Avant toutes tentatives de réponses aux différentes questions posées, on doit se rappeler que violant catégoriquement la constitution ainsi que les instruments internationaux, ces règlements intérieurs, au nom de la hiérarchie des normes perd donc sa légitimité et en conséquence la note du 9 avril 2021 de la Faculté de droit de Port-au-Prince de l’Université d’État d’Haïti mérite d’être rentrée purement et simplement. À défaut, ce règlement doit faire l’objet d’un cartel judiciaire en vue de l’application et du respect de la loi et des Droits Humains.

Carlo Germain est Avocat et militant des Droits Humains

    Comments

    Leave a reply

    Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *