Si Port-au-Prince croule sous les eaux et les alluvions en saison pluvieuse, ce n’est pas à cause de la topographie ou la position géographique du pays. C’est en partie parce que certains travaux importants entrepris dans les années 1980 ont été abandonnés par l’Etat. Frantz Benoît, un ingénieur qui a travaillé dans les travaux de canalisation de Port-au-Prince depuis les années 1980 jusque vers 1990, nous explique ce qui s’est passé.
Au début des années 1980, l’État haïtien avait mis en place un projet de drainage des eaux pluviales de Port-au-Prince. Un projet qui prenait déjà en compte l’expansion de la ville. Pour diminuer le débit des eaux de ruissellement, plusieurs dispositions ont été prises. « Plus d’un million d’arbres ont été plantés au morne l’hôpital depuis les hauteurs de Mariani jusqu’à Frères. Des milliers de mètres cubes de murs secs ont été érigés. Des dizaines de dégraveurs ont été construits dans les lits des des ravines les plus importantes », explique l’ingénieur Frantz Benoït . Ces ouvrages devaient retenir, en amont des canaux souterrains, les alluvions arrachées des mornes qui empêchent généralement l’écoulement rapide des eaux de ruissellement vers leur exutoire naturel.
Des zones non aedificandi, c’est-à-dire des lieux interdits à la construction, ont été délimités par des bornes topographiques dites « bornes rouges ». Pour lutter contre l’abrasion des lits des ravines, des plots permettant de diminuer la vitesse des eaux pluviales ont été mis en place. Les murs secs et la couverture végétale ont facilité l’infiltration de l’eau de pluie, diminué l’érosion au niveau du morne l’Hôpital et contribué à recharger des nappes d’eau souterraines.
Après le départ de Jean-Claude Duvalier le 7 février 1986, le pays a connu une urbanisation intensive et désordonnée. Les arbres ont été abattus et les zones non aedificandi ont été envahies. Selon l’ingénieur Frantz Benoît, en matière d’hydrologie et d’hydraulique, plus une zone est construite plus il y a de chance que l’eau ruisselle. Généralement, les constructions, notamment celles en béton, empêchent au sol d’absorber les eaux pluviales. C’est ce qui explique en partie l’érosion des sols dans les villes, notamment dans l’aire métropolitaine. « Lorsqu’il pleut, les eaux de ruissellement qui contiennent des tonnes d’alluvions mélangées aux résidus solides provenant de Pétion-Ville, de Canapé-Vert et du morne l’hôpital, descendent automatiquement dans les parties basses de Port-au-Prince, de Delmas, de Tabarre et de Cité-Soleil. »
Le morne l’hôpital compte dix-neuf (19) sources qui approvisionnaient toute la zone métropolitaine en eau. Aujourd’hui, plusieurs de ces sources sont séchés et et celles qui ne le sont pas, connaissent une importante diminution de débit dans certaines périodes.
L’Etat a failli à sa mission
Les mairies qui ont pour mission d’aménager les villes n’ont pas été vigilantes. « Si vous demandez à un maire de la zone métropolitaine où se trouve les zones non aedificandi dans sa ville, il ne pourra pas vous répondre. Pourtant, ce sont les mairies qui octroient les permis de construire », se plaint l’ingénieur.
Puisque les gens se sont installés et ont construits dans des zones non destinées à cet effet, ils s’exposent automatiquement aux catastrophes naturelles. Le pire, c’est que, une bonne partie de la population ignore l’importance de l’aménagement du territoire. « On dit souvent que les espaces non aedificandi sont envahis parce que les gens sont pauvres. Mais les propriétés bâties dans ces zones valent des milliers de dollars américains. De quelle pauvreté parle-t-on ? », raisonne l’ingénieur. Au fil du temps, la population s’est habituée à utiliser les égouts comme des décharges publiques. Il s’agit d’une situation très alarmante d’après Frantz Benoit, car les égouts et les ravines existent pour faciliter le passage de l’eau.
L’ingénieur croit que le séisme du 12 janvier 2010 a sapé les travaux de drainage de la région métropolitaine qui remontent aux années 1980. Il déplore qu’aucune évaluation des dégâts du séisme sur les ouvrages de drainage n’ait été effectuée.
Limiter les dégâts
Selon l’ingénieur Benoît, les spécialistes de la santé et de l’environnement en Haïti connaissent assez bien le problème et les solutions. Malheureusement, le système actuel ne valorise et ne privilégie pas l’avis des spécialistes. « A ce stade, nous ne pouvons que limiter les dégâts. L’État doit prendre des mesures pour qu’il n’y ait aucune maison supplémentaire dans les ravines et dans les zones qui ne sont pas destinées à la construction. Avant d’effectuer quelque soit l’ouvrage dans une ville, il faut faire des études pour savoir si cela n’aura pas d’impact négatif sur l’environnement. »
Les mairies doivent selon lui, demander l’aide de l’État central pour aménager les villes. « S’il faut démolir les constructions anarchiques, il faut d’abord commencer par des études des spécialistes en ingénierie sociale et en urbanisation pour savoir les meilleures façons de procéder. Et, cela nécessiterait plus d’une année», conclut Frantz Benoît.
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