Le permis de construction est une autorisation délivrée par la mairie avant le démarrage des travaux. Ce document nécessaire et important pour l’aménagement des villes, paraît inefficace sans un plan d’urbanisation.
À Pétion-ville, à la rue Faubert un chantier est ouvert. Des matériaux remplissent l’espace pour la construction d’un édifice.
Des ouvriers de la construction s’accrochent à leurs activités malgré les turbulences sociopolitiques en cours dans le pays. « Mortier », s’écrie le contremaître en vue d’accélérer les travaux de construction.
Selon l’un des ouvriers, l’ancien immeuble qui logeait cet emplacement est parti en feu lors des émeutes du 6 et 7 juillet 2018. Peu de temps après, son propriétaire avait décidé de le reconstruire sans l’autorisation de la mairie de cette ville. « En décembre 2018, la mairie de Pétion-Ville a fermé le chantier et obligeait le propriétaire d’obtenir un permis de construction avant le redémarrage des travaux », dit l’ouvrier.
Un document essentiel
Avoir la permission de construire est un devoir que la plupart des gens dans les quartiers défavorisés ignorent. Nicole Charles, une quadragénaire, habite à Martissant. Elle dit avoir construit sa maisonnette sans l’autorisation de la mairie. « Je ne savais pas s’il y avait une procédure avant la construction d’une maison », lâche la dame qui vit actuellement avec son fils âgé de 17 ans.
Les données de l’Institut haïtien de statistique et d’informatique (IHSI) révèlent qu’en 2015, le nombre de ménages pour la ville de Port-au-Prince était de 210 782.
De 2015 à 2019, les chantiers se sont multipliés. La mairie de la capitale ne dispose d’aucun chiffre sur les nouvelles maisons construites ou sur la quantité de permis délivrés durant ces quatre dernières années. Pourtant, le permis de construire est destiné à combattre les constructions anarchiques mettant en péril la vie des citoyens.
Un outil d’aménagement
Le permis de construire est une autorisation administrative délivrée préalablement à la construction de tout édifice. La loi sur l’urbanisme interdit à quiconque d’entreprendre une construction sans avoir au préalable ce papier.
Pourtant, Claudy Dorcélus, un contremaître qui travaille dans le domaine de la construction depuis 12 ans, raconte que la majorité des chantiers sur lesquels il a déjà travaillé n’ont pas de permis de construire. « La plupart des édifices où j’ai travaillé qui ont ce document se trouvent dans les quartiers résidentiels ou au cœur des grandes villes », fait savoir ce professionnel de la construction.
La loi du 29 mai 1963, paru le 6 juin 1963 dans le journal le moniteur, établit les règles relatives à l’habitation, à l’aménagement des villes et des campagnes. Selon cette loi, toutes constructions ou modifications qui devraient être réalisées nécessitent un permis de construire.
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L’article 30 stipule qu’« aucune construction nouvelle, aucune modification de construction existante ne pourront être entreprises sans une demande d’autorisation adressée à l’administration locale […] ». « Cette sollicitation est aussi transmise au service compétent de la direction des travaux publics dans le cas où les pièces soumises, par exemple le plan d’arpentage, doivent être modifiées ou révisées », précise l’ingénieur Jocelyn Jeudy qui travaille à la section génie municipale de la mairie de Port-au-Prince.
Le plan d’arpentage de la propriété soumis doit être signé par le constructeur, précisant la localisation de la construction projetée. Normalement, le permis ne peut être délivré que si les travaux envisagés sont conformes aux dispositions du plan d’aménagement de la commune.
Le plan d’arpentage soumis à la mairie est étudié et le prix du permis est évalué en fonction de la quantité de mètre carré trouvé dans le plan du bâtiment.
L’ingénieur Joubert Serville, directeur de planification à la mairie de Cité Soleil, précise que le coût du mètre carré pour cette commune est de 200 gourdes. Celui de Port-au-Prince est fixé à 150 gourdes.
Absence du plan d’urbanisation
Le caractère informel des constructions dans la région métropolitaine s’en va grandissant. Cette même pratique persiste après le séisme de 2010.
Du coup, pour pallier cette situation les ministères de l’Intérieur et des Collectivités territoriales et des Travaux publics ont élaboré en 2010 un « Guide de bonnes pratiques pour la construction de petits bâtiments en maçonnerie chaînée en Haïti. »
Aussi en 2012, le Ministère des Travaux publics transport et communication (TPTC) a élaboré le code national du bâtiment d’Haïti. La réalisation du code se fait autour de deux objectifs. Le premier doit satisfaire les usagers (sécurité ; santé ; bien-être général). Le second pour le bâtiment (accessibilité ; résistance structurale et la stabilité indépendamment des sollicitations et aléas considérés ; la salubrité ; l’éclairage ; la ventilation ; l’efficacité énergétique et la protection incendie). Ces documents demeurent peu connus dans le secteur de la construction.
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Dans les autres pays, c’est la collectivité en charge des documents d’urbanisme qui accorde le permis de construire. L’ingénieur Jocelyn Jeudy avoue qu’il n’existe pas de plan d’urbanisation pour la ville de Port-au-Prince.
« S’il devait y avoir un plan d’urbanisation pour le centre-ville de Port-au-Prince, je devrais être le premier à l’avoir. Cela m’éviterait à livrer des permis pour des types de constructions non conformes au plan d’urbanisation de la ville ou dans certains quartiers résidentiels », dit-il.
«Les travaux ayant un type de propriété conforme et qui suit les normes de construction (parasismique) obtiennent un permis de construire», poursuit Jeudy.
Plus loin, l’ingénieur fait savoir que dans la réalité la plupart des propriétaires ne respectent pas le plan soumis. « Les propriétaires fournissent les documents conformes afin d’obtenir l’autorisation de construction. Arrivé au chantier, la construction diffère totalement du plan », regrette-t-il.
De la convocation à la fermeture du chantier
Les gens veulent échapper aux exigences que fait la loi pour l’obtention du permis. Selon le directeur de planification à la mairie de Cité soleil, cette commune n’est pas exempte de cette réalité. « Certains propriétaires résistent même après convocation à la mairie pour absence d’autorisation de construction », dit-il.
« Sans l’autorisation, la mairie peut procéder à la fermeture du chantier ou à la saisie des matériels », dit l’ingénieur Joubert Serville. Le propriétaire est donc soumis à une amende en fonction de la quantité de mètres carrés que vaut la construction.
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« Les gens en rébellion préfèrent construire durant les weekends pour échapper au service d’inspection et de contrôle des mairies », révèle l’ingénieur Jocelyn Jeudy qui souhaite que les citoyens prennent la voie légale. Il les invite à éviter des constructions anarchiques, car ils seront peut-être les premières victimes en cas de tremblement de terre par exemple.
Les deux ingénieurs reconnaissent que le service de permis de construire au niveau des mairies est peu efficace et le document n’est pas applicable à certains endroits de ces villes.
Interdiction de construire près des cimetières
En Haïti, la loi du 29 mai 1963 interdit la construction des maisons d’habitation à moins de 100 mètres des cimetières (Art 62). Cette disposition n’est pas respectée.
L’évolution des constructions dans le pays depuis plusieurs années prouve que le pays se trouve en dehors des normes d’urbanisme pouvant assurer le développement harmonieux et rationnel de l’espace urbain haïtien.
Haïti est donc le quatrième pays le plus urbanisé de la Caraïbe selon un rapport de la Banque mondiale.
Ce même rapport explique que Haïti est le seul pays de la Caraïbe n’ayant pas profité de l’urbanisation. « Lorsque les densités [de la population] sont mal gérées, des externalités comme les encombrements, la pollution et les taux de criminalité élevés peuvent assombrir les bénéfices de l’urbanisation », lit-on dans ce document.
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