À mesure qu’on prend le chemin inverse des quelques rares hôtels de luxe construits après le tremblement de terre du 12 janvier 2010, les motifs de joie s’amenuisent. Le panorama de la misère est glauque et effrayant. Les tentes et habitats de fortunes plantés en plein cœur de la capitale dissimulent mal une grave crise de logement dont les prémisses dépassent l’administration Martelly. À l’intérieur de ces taudis déprimants, des enfants végètent dans l’insalubrité, la fièvre Zika et son cortège d’encéphalie et de dysfonctionnements cérébral sont à l’affût, la sous-alimentation assèche les tripes et le fléau de la drogue encore mal documenté anesthésie les consciences. Michel Martelly n’a ni résolu ni ébauché un début de solution au problème de l’habitat. Encore une crise qu’il passera « sans regret, sans envie et sans attaches » au gouvernement qui le succédera.
Aujourd’hui, environ 60 % des Haïtiens sont au chômage. Une inflation vertigineuse comprime l’économie nationale moribonde qui supporte avec peine les délires carnavalesques et la corruption endémique rongeant affreusement les miettes du trésor national et les dons conditionnés de la communauté internationale. Il faut en février 2016 plus de 60 gourdes pour acheter un dollar américain. Ce sprint du dollar va de pair avec une spéculation supplémentaire sur le prix de la plupart des produits de première nécessité massivement importés. Situation qui désespère plus de 75 % de la population qui râle plus qu’elle ne respire, qui vivote plus qu’elle ne vit en dessous du seuil de pauvreté.
Cette administration qui exècre la légalité et a remplacé des élus locaux par ses « attachés » laisse le pays embourbé dans une grave crise électorale. Des députés et sénateurs procédant d’une élection à la légitimité suspecte sont en charge de l’avenir du pays. La crainte de poursuites judiciaires et l’envie de se perpétuer au pouvoir par le truchement d’une « politique de doublure » bananière ont conduit le pays vers le fiasco. Le « mal élu » a « mal quitté » le pouvoir.
Après ces 5 années maudites, nous refaisons « encore » la une des médias internationaux. Haïti n’est certes pas « open for business », mais les frasques ineptes de notre cher président nous ont ouvert la porte des tabloïds les plus lus à travers le monde. Il ne lui a pas suffi de créer un gouvernement non paritaire, d’être président d’une société où être femme est un désavantage, où le sexisme rétrograde et le machisme sont piteusement célébré jusque dans les plus grands temples. Pour notre honte, le génie présidentiel a ajouté de la promotion à son échec, de la bêtise à son incapacité et avant son départ, il s’est assuré que ceux d’ici et d’ailleurs n’aient aucun doute sur sa pleine capacité à injurier, dénigrer ou à se dévêtir en public. Des talents exceptionnels qu’il n’a pas abandonné durant son passage à la tête de l’état et sur lesquels il se précipite sitôt son mandat terminé.
« La propagande est aux démocraties ce que la violence est aux dictatures » disait déjà Noam Chomsky. Et en la matière, le dos du contribuable n’a jamais été aussi doux. Spots radio et télés, campagnes payées en dollar sur les réseaux sociaux, billboards à tous les coins de rue, achat pur et simple de médias ou de leurs rédactions entre autres ont assuré jusqu’à aujourd’hui au président une popularité artificielle créée non sur la base de réalisations concrètes, mais à la faveur d’une intoxication agressive et permanente de l’opinion nationale et même internationale. À entendre ingénument des citoyens déclarer qu’« il n’a pas été un président de rêve, mais il a fait mieux que ces prédécesseurs malgré le blocage de l’opposition », je ne serais pas étonné de les voir l’acclamer dans les années à venir.
Celui qui jamais ne cacha son infaillible admiration pour les Duvaliers laisse Haïti avec une cigarette allumée dans les deux bouts. Un malfrat recherché internationalement pour trafic de stupéfiants menace de scinder le pays, des individus paradent armés dans les rues (en passant, personne ne s’est demandé pourquoi l’administration Martelly a réveillé l’armée à la fin de son mandat), l’insécurité reprend son droit de cité, les caisses de l’état sont vides depuis longtemps et la population est plus pauvre que jamais.
C’est dur de l’admettre, mais le seul motif de joie du pays est que le président Michel Martelly a pris sa place dans le placard des modernités anciennes le 7 février 2016.
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