Avec la promulgation de la constitution de 1987, la période dite de transition démocratique, nous a apporté deux grands changements : la liberté d’expression, garantie par l’article 28 du chapitre II des droits fondamentaux de la constitution de 1987 et le semi-présidentialisme (ou semi-parlementarisme). Ce régime politique combine, d’une part, un régime présidentiel avec l’élection d’un chef de l’Etat et, d’autre part, un régime parlementaire comprenant des parlementaires, élus tous au suffrage universel, et un gouvernement dont la responsabilité peut être mise en cause par le parlement. Le Président élu de la République devient automatiquement le chef de l’Etat, selon la constitution, mais se retrouve obligé de négocier sa fonction exécutive avec le parlement qui vote le Premier Ministre.
Cet élan dit démocratique a accouché 12 chefs d’Etat, dont Aristide et Préval, chacun ayant effectué deux mandats respectifs. Entre le mirage de balbutiements démocratiques et les années Duvalier, il y a une constante : les conditions de vie de la majorité de la population n’ont guère changé. Au-delà des gains en droits humains, la régression socio-économique saute aux yeux. En 2017, les données statistiques témoignent de cette chute alarmante : plus d’un million de gens en situation d’extrême pauvreté et moins de 70% de la population vit toujours avec moins de 2 dollars par jour. Au regard de ces chiffres, et en considérant les statistiques macro-économiques tout aussi au rouge, il importe d’en déduire que nos différents chefs d’Etats, par le biais de leurs gouvernements, se sont pris un râteau. Est-ce que cet état de fait expliquerait l’antipathie ou l’impassibilité remarquées chez certains haïtiens envers les dépouilles de nos anciens chefs d’Etats ? Les haïtiens qui, de coutume, vénèrent leurs morts.
Parmi ces 12 chefs d’Etats, cinq (5) d’entre eux ont rendu l’âme, dont Leslie F. Manigat, Jean-Claude Duvalier, René Préval, pour citer les plus récents. De Manigat, qui a été président pour une courte durée en 1988, que quatre mois au pouvoir, on retiendra surtout la mauvaise façon dont il avait pris le pouvoir à travers des élections controversées. Cependant, beaucoup de gens ont tout de même admis que les quatre mois de la présidence de Manigat, ont été « de loin » les meilleurs de cette tranche d’histoire. Il semblerait qu’en plus de sa prise de pouvoir douteuse en 1988, le peuple haïtien n’a jamais pardonné à Manigat son incongruité lors de la victoire de son adversaire, René Préval en 2006. Rappelons La fameuse phrase qui l’a discrédité aux yeux du peuple : « le chien retourne à son vomi ». Le fait que sa femme ait abandonné la course aux sénatoriales de cette même élection, n’a pas non plus aidé. Ce goût amer de ce qui a été interprété comme une arrogance intellectuelle est resté collé à la bouche du peuple haïtien jusqu’à sa mort. La preuve : en 2011, Mirlande Manigat, sa femme, candidat à la présidence, avait reçu une gifle face au chanteur-candidat Michel Martelly. Mort le 27 juin 2014, Leslie Manigat a recu uniquement des funérailles nationales, comme le recommande le protocole d’Etat. A part l’INAGHEI, une institution qu’il a lui-même créé et certaines institutions qui lui étaient proches, dont son parti politique, le RDNP, il n y avait pas d’autres institutions connues qui lui ont rendu un hommage digne. Leslie Manigat était non seulement un chef d’Etat mais surtout un intellectuel confirmé, autant en Haïti qu’ailleurs. Trois ans après, il est pratiquement passé aux oubliettes.
Quant à Jean-Claude Duvalier, mort trois mois après Manigat, soit le 4 octobre 2014, même son retour en 2011 a été vu comme un affront par une grande partie du peuple haïtien, particulièrement les victimes de son régime (Père et fils). Il y a donc eu très peu de sympathie envers sa dépouille. Sa mort a beaucoup plus servi de tremplin pour parler des horreurs du duvaliérisme : assassinats politiques, répressions sur les adversaires du Duvaliérisme, exil, du bâillonnement de la presse et de la censure. Sa mort a été accueillie dans une grande indifférence par la majorité de la population. Cependant pour certains d’autres c’était la fête: le diable venait de laisser sa peau. Il n’a reçu ni de funérailles nationales ni officielles.
René Préval, notre dernier président défunt en date, dont la nouvelle de sa mort survenu le 03 mars 2017, a surpris plus d’un. Préval le taciturne, le cynique pour certains, le joueur d’échec qui savait quand déplacer ses pions, célèbre « jemenfoutiste », un amoureux des bons moments autour d’un verre pour ses amis intimes, le sage, l’introverti, présente lui un bilan mitigé. Une décennie de gouvernance à son compteur, Préval, le seul chef d’Etat à avoir terminé deux mandats au cours de ces 30 dernières années, représente la domination néolibérale en Haïti pour plus d’un. Préval, c’est une obsession pour la construction et la réhabilitation des infrastructures routières. Préval c’est aussi les élections contestées, l’émeute de la faim en 2008, une stabilité politique en apparence, une certaine intégration des partis politiques lors de son deuxième quinquennat, le maitre en la création des plateformes politiques, à chaque élection il en a créé une nouvelle depuis 2006. On peut citer : Lespwa, Inite, Verite. Préval, c’est aussi une tentative d’amendement constitutionnel bâclé qui jusqu’à présent laisse un flou sur le vrai régime constitutionnel en vigueur.
Sa mort n’éveille même pas le côté fair-play ou la conscience même hypocrite de son « poulain-marasa », Jean Bertrand Aristide. Jude Célestin tarde aussi à se prononcer ouvertement sur la mort de celui qui fut son mentor. Il est cependant peut-être trop tôt pour juger leur non-réaction. Très peu de notes de sympathie venant des partis politiques, particulièrement ceux avec lesquels le fils de Marmelade a eu une relation de travail. Malgré les six jours de deuil national, on sent que comme la mort de Leslie Manigat et de Jean-Claude Duvaier, la population reste presque impassible.
Qu’est ce qui explique ce manque d’empathie finalement ?
Kerns Lareche
Comments