ÉCONOMIEPOLITIQUESOCIÉTÉ

Pour une culture managériale et politique fondée sur l’éthique

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Alors que les indices de perception de la corruption s’accumulent de plus en plus et témoignent de lourdes vulnérabilités et de graves insuffisances dans la lutte contre la corruption en Haïti, la société haïtienne semble se complaire dans une inquiétante indifférence par rapport à des pratiques occultes qui se multiplient, se généralisent et tendent à se banaliser dans les entreprises privées, dans les ONG, dans les agences internationales, dans l’administration publique et jusqu’au sommet des instances étatiques.

Tandis que la position d’Haïti se dégrade de plus en plus dans le classement mondial de Transparency International, tandis que les services qui sont offerts aux consommateurs par les entreprises tant publiques que privées sont de plus en plus de mauvaise qualité et, pour dire vrai, exécrables, tandis que la culture de l’impunité nous pousse sans cesse vers des territoires peuplés par des pratiques de mauvais arrangements, nous constatons pourtant une tentation récurrente, mais non moins indécente et insidieuse, du management économique, social et politique haïtien, de toujours jouer le « consensus à la carte » au détriment des valeurs éthiques, des prescrits constitutionnels et des intérêts supérieurs de la nation.

En ces temps troublés où l’incompétence professionnelle et/ou éthique, sublimée par l’indécence et l’arrogance, mais combien forte de ses réseaux d’accointance, distille ses relents et ses senteurs, il est vital que les forces sociales porteuses d’énergie positive s’impliquent et s’engagent pour proposer des stratégies de résolution de problèmes qui priorisent des valeurs jugées légitimes et fondamentales pour toute la société.

Ainsi dans cette conjoncture déliquescente, il nous parait que les médias aient un rôle particulier à jouer. Ils doivent se constituer comme les derniers remparts des valeurs considérées comme fondamentales pour la société. À ce titre, le journaliste ne peut pas être un simple relayeur d’information. Le directeur d’opinion ne peut pas se cantonner en un rôle d’arbitre des conflits pas plus qu’il ne peut continuer de revendiquer le monopole d’une pensée simpliste. Il est des intérêts supérieurs qui ne peuvent faire l’économie d’une certaine objectivité. Du reste, l’objectivité n’interdit pas de critiquer l’information officielle pour permettre à la population de mieux saisir les enjeux des alliances malsaines et des ententes porteuses de menaces pour la société.

Les journalistes ne sont pas des entrepreneurs médiatiques qui doivent ménager leur commerce en refusant, par peur, par lâcheté ou par opportunisme, de prendre parti pour la vérité, la justice et l’éthique. Ils ont un rôle éducatif et social à jouer. Ils ont un engagement envers la justice, l’éthique et la vérité. C’est d’ailleurs pourquoi l’opinion publique dans un pays est l’exact reflet de la compétence éthique et du courage de ses médias et de ses élites. Sachant que d’élites, Haïti n’en ait point, il revient alors aux médias d’assumer le relais pour donner le ton et nous aider à trouver les voies pour sortir de cette auberge d’indécence et de folie. Si le journalisme doit être une entreprise médiatique qui fructifie des stratégies de réussite personnelle à travers des émissions d’enfumage, ce métier est à réinventer. Car il faut lui redonner plus de noblesse, d’intelligence, d’éthique et de dignité. Il ne s’agit pas d’engagement calqué sur l’imposture de quelques luttes militantes. Il s’agit plutôt d’une exigence éthique vis-à-vis de la société.

C’est là une exigence vitale pour l’avenir de notre pays. Nos institutions sont de plus en plus vulnérables et dysfonctionnelles. Notre économie est de plus en plus tributaire de l’argent provenant de la criminalité. Pourtant, les secteurs d’affaires haïtiens semblent de plus en plus confortables dans cet environnement social et politique si porteur d’incertitudes. À force de consensus et de mauvais arrangements, l’état de droit est devenu en Haïti un état de passe-droit où chaque élection accouche d’une législature propulsant en « leaders autoproclamés » d’anciens et de nouveaux caïds qui viennent peupler l’armée de ceux qui ne vivent que par les compromissions, que par les huis clos et les marchandages.

«Si vous ne composez pas, nous vous décomposerons», voici le cri de ralliement murmuré dans les huis clos par les chefs de file de la nouvelle alliance relayée par les médias, sans aucune dénonciation, comme une entente démocratique. C’est là de toute évidence un cri infâme et un chant odieux qui rallient les entités délinquantes et qui doivent être rejetés par les parties prenantes de la société qui misent sur l’état de droit comme seul tremplin pour le progrès social et économique. Notre résilience par rapport à tant de précarités et de vulnérabilités a fini par nous détourner du sens de l’intérêt public. L’irresponsabilité collective et le désengagement citoyen sont si consumés qu’ils sont devenus les seules fonctionnalités du logiciel managérial, social et politique haïtien.

Pourtant, nous savons tous qu’aucune stabilité n’est possible dans un environnement où le consensus détrône sans cesse la loi et les règles éthiques. Nous savons tous qu’aucune institution ne peut se renforcer sur des bases humainement et éthiquement chancelantes. Ainsi, nous devons à tout prix inverser la courbe de la tolérance vis-à-vis des pratiques de corruption. Nous devons renoncer à cette culture tolérante vis-à-vis des pratiques de corruption. D’où qu’elle vienne, la corruption est un crime et il faut la considérer comme telle. Qu’elle soit le fait de trafiquants notoires, de parlementaires déguisés en entrepreneurs politiques ou d’hommes d’affaires faisant la promotion des mauvais arrangements, elle doit être décriée.

Nous devons nous engager sur la voie d’une nouvelle culture managériale. Nous devons responsabiliser socialement nos institutions à travers une culture d’entreprise basée sur «un ensemble d’attitudes positives favorisant un comportement et des pratiques professionnelles honnêtes et conformes à la déontologie». Nous devons miser sur les valeurs éthiques pour promouvoir la transparence, l’intégrité et la «redevabilité».

Il est de plus en plus certain que si les organes de la gouvernance publique et le management des entreprises privées parviennent à s’engager autour d’une culture éthique, cela pourra certainement inspirer les grandes orientations stratégiques et économiques voire même les décisions politiques de notre pays. À coup sûr cela constituera un avantage compétitif durable pour tous les secteurs du pays. Il est temps pour les médias de laisser retentir davantage de refrains qui parlent de conformité aux normes professionnelles, qui célèbrent la qualité de la justice, qui revendiquent une certaine appropriation nationale au nom de l’éthique.

Le bug du logiciel haïtien est dans son système d’exploitation. Le déficit qui mine nos institutions et assombrit notre avenir est avant tout humain et managérial. C’est là que la pensée informatique peut aussi nous être utile. Car elle nous apprend que si c’est le système d’exploitation qui est défaillant, qu’importent l’habileté et le talent du programmeur qui opère, qu’importent la robustesse et la beauté des interfaces des applications qui sont disponibles, ils ne permettront pas de maitriser la machine. À moins de changer de système d’exploitation. Et c’est ce dont nous avons urgemment besoin.

Osons donc nous engager pour promouvoir en Haïti une nouvelle culture managériale et politique à travers une intelligente éthique. Osons changer le logiciel d’exploitation. Il y va de la crédibilité de nos institutions. Il y va de notre avenir en tant que peuple. Il y va de notre place au sein des nations. Il y va même de notre humanité.

L’engagement vis-à-vis de l’éthique et de la vérité a un prix.

Il est de la responsabilité de la génération actuelle composée d’hommes et de femmes de plus quarante ans de le payer pour offrir aux générations futures un souffle d’où elles pourront puiser l’énergie pour mener d’autres combats plus glorieux et plus épiques que le marchandage d’un poste politique, que la course indécente vers la réussite individuelle.

Erno Renoncourt

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