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Photos | Le choléra envahit des camps de Port-au-Prince

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La résurgence de la maladie diarrhéique survient dans un contexte où l’État et ses partenaires échouent à ralentir l’avancée des gangs

Déplacées par la violence des gangs à Port-au-Prince, des familles font face à une recrudescence des cas de choléra dans les camps.

Un nourrisson repose à même le sol, allongé sur quelques draps disposés comme couche. Photo : Jean Feguens Regala pour AyiboPost

Lorsque sa fille de six ans a commencé à vomir sans cesse et souffrait de diarrhée, Mona a vite comrpis qu’elle devait agir.

Tous les symptômes lui faisaient penser à la redoutable infection diarrhéique aiguë, le choléra – introduit en Haïti par des officiers des Nations unies après le tremblement de terre du 12 janvier 2010.

« L’enfant ne mangeait pas. Il vomissait et avait de la diarrhée à plusieurs reprises », relate la mère de 36 ans, qui vit sur le site d’hébergement de l’Office de la protection du citoyen (OPC) à Bourdon.

Le sérum oral administré pendant deux jours n’aura pas suffi à stabiliser l’état de santé de l’enfant, toujours hospitalisé quatre jours plus tard à l’hôpital Fontaine, à la Plaine du Cul-de-Sac.

Une femme tient un sachet de sérum oral, utilisé pour prévenir la déshydratation. Photo : Jean Feguens Regala pour AyiboPost

Selon le responsable de la logistique du site de l’OPC, Chéry Claude, « des cas de choléra ont été signalés sur le site il y a environ une semaine ».

Du lundi 15 au samedi 19 avril 2025, Claude affirme avoir recensé près d’une vingtaine de cas suspects sur le site.

D’autres cas potentiels d’infection sont signalés dans cinq autres sites hébergeant des personnes déplacées dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince, selon des interviews menées par AyiboPost.

Ces cas de choléra surviennent dans un contexte marqué par la violence des gangs, ayant poussé plus d’un million d’Haïtiens à fuir leur domicile, selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM).

Au camp d’hébergement de Bois Verna, qui abrite 1 095 personnes, la situation touche aussi les enfants, dont au moins quatre ont été hospitalisés.

Unne femme patiente pour accéder à une toilette mobile dans le camp. Photo : Jean Feguens Regala pour AyiboPost

Une femme se lave les mains après avoir utilisé les toilettes, dans un récipient à robinet, au camp de déplacés. Photo : Jean Feguens Regala pour AyiboPost

« Nous avons suspecté plusieurs cas de choléra sur le site, notamment chez des enfants souffrant de diarrhée et de vomissements. Nous n’avons toujours reçu aucune assistance », déclare Johnny Elysé, président du centre d’hébergement de Bois Verna.

Au moins quatre personnes, dont deux enfants, ont été hospitalisées à cause de la diarrhée, explique le président du centre.

À ce jour, une dizaine de cas suspects de choléra sont signalés dans trois sites d’hébergement de personnes déplacées à Port-au-Prince, informe Jules Riclais, responsable de la Protection civile de Port-au-Prince.

« Nous avons recensé trois cas à l’OPC, deux dans les locaux du parti politique KID et un autre sur le site du parti Fusion », indique le responsable contacté par AyiboPost.

Nous avons suspecté plusieurs cas de choléra sur le site, notamment chez des enfants souffrant de diarrhée et de vomissements. Nous n’avons toujours reçu aucune assistance

-Johnny Elysé

Un espace servant de cuisine le jour et de chambre à coucher la nuit. Photo : Jean Feguens Regala pour AyiboPost

Fuyant la violence des gangs à Solino, en novembre 2024, Olivia s’est réfugiée au site de l’OPC à Bourdon. Elle a observé chez son fils Davidson, 22 ans, des épisodes de vomissements irréguliers.

Cela a poussé cette mère de famille de quatre enfants à accompagner le jeune homme à l’hôpital universitaire La Paix, à Delmas 33.

Des enfants jouent dans une pièce exiguë, entouré de sacs de vêtements et de récipients. Photo : Jean Feguens Regala pour AyiboPost

Dans le camp de l’OPC, la sexagénaire explique avoir constaté que « chaque jour, des personnes, enfants comme adultes, soupçonnées d’avoir le choléra sont emmenées à l’hôpital ».

Des centres hospitaliers de la capitale alertent également sur une éventuelle flambée des cas de choléra.

Contacté par AyiboPost, un responsable de l’hôpital universitaire La Paix affirme que l’établissement « a reçu plusieurs cas de choléra ».

Les conditions sanitaires dans les camps se détériorent, aggravées par la saison des pluies.

Dans le camp de l’OPC, la sexagénaire explique avoir constaté que « chaque jour, des personnes, enfants comme adultes, soupçonnées d’avoir le choléra sont emmenées à l’hôpital ».

Les sites d’hébergement abritent parfois des tas d’immondices en décomposition, et le service de vidange ne s’effectue pas régulièrement dans les blocs sanitaires mobiles, explique Jules Riclais, responsable de la Protection civile de Port-au-Prince.

Des gens dorment à même le sol avec des nouveau-nés dans la promiscuité, parfois dans des salles servant de toilettes, surchargées de sacs remplis de vêtements et d’autres objets.

Il est également possible d’observer des ustensiles de cuisine, voire des denrées alimentaires, dans les lavabos des blocs sanitaires de certains sites.

Ustensiles de cuisine, gobelets et vaisselle sont rangés dans le lavabo d’un bloc sanitaire du camp. Photo : Jean Feguens Regala pour AyiboPost

Des denrées alimentaires, dans les lavabos des blocs sanitaires. Photo : Jean Feguens Regala pour AyiboPost

Si l’aire métropolitaine dispose de 102 abris provisoires, la capitale Port-au-Prince à elle seule en compte 58.

Dans certains sites hébergeant des personnes déplacées à cause de la violence des gangs, les occupants utilisent des bâches usagées pour se protéger du soleil.

Lors des récentes averses, certains de ces espaces en terre battue se sont transformés en véritables terrains boueux.

Angeline Berette, 52 ans, vit avec ses six enfants sous une tente dans les anciens locaux du parti politique KID, après avoir fui Solino en 2024.

« Ce qui me fait mal, c’est que je suis avec les enfants et, quand il pleut, je n’ai nulle part où dormir avec eux », confie-t-elle à AyiboPost, la gorge nouée et les yeux ruisselants de larmes.

Une déplacée dans le camp de l’OPC, les bras ouverts. Photo : Jean Feguens Regala pour AyiboPost

La situation est semblable pour Johnson, qui a fui son domicile à Nazon avec sa femme et ses deux enfants en novembre 2024. Il est désormais logé dans le camp installé dans les locaux du parti Fusion.

Le site abrite 6 775 personnes déplacées provenant de Solino, Delmas 30, Christ-Roi, entre autres.

« Depuis que nous sommes ici, nous vivons dans des conditions misérables. Les bâches sont trouées, laissant l’eau de pluie s’infiltrer sous la tente », raconte-t-il, confiant avoir parfois des idées suicidaires.

Apparue en Haïti en octobre 2010, l’épidémie de choléra avait connu une forte baisse en 2019.

Mais après trois ans sans signalement de cas, la maladie réapparaît en octobre 2022.

Depuis que nous sommes ici, nous vivons dans des conditions misérables. Les bâches sont trouées, laissant l’eau de pluie s’infiltrer sous la tente.

-Johnson

Des données compilées par la Direction d’épidémiologie, des laboratoires et de la recherche (DELR), rattachée au ministère de la Santé publique et de la Population (MSPP), recensent, en avril 2025, plus de 88 000 cas suspects de choléra dans le pays, dont plus de 4 900 testés positifs au cours des trois dernières années.

La situation sanitaire et humanitaire devient de plus en plus préoccupante dans les camps de personnes déplacées par la violence des gangs, nécessitant des interventions urgentes.

Dans le site du lycée Anténor Firmin, des cas de personnes atteintes du VIH/Sida, de tuberculose et des enfants en état de malnutrition sont également signalés.

Une partie de l’espace du camp OPC servant aux déplacés pour se doucher et faire leur lessive. Jean Feguens Regala pour AyiboPost

Parmi les besoins les plus urgents figurent l’installation de bâches pour éviter que les gens soient mouillés lors des pluies, la distribution de kits hygiéniques et alimentaires, ainsi que le renforcement de la sécurité dans certains sites, rapporte Jules Riclais, responsable de la Protection civile de Port-au-Prince.

Par & Jérôme Wendy Norestyl

Couverture | Une femme sortant d’une toillette sur le site de l’Office de la Protection du citoyen (OPC). Photo : pour AyiboPost

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Photojournaliste freelance à AyiboPost de mars 2023 à septembre 2024.

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