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Photos | Des Haïtiens tatoués sous la menace constante du «Bwa Kale»

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Plusieurs témoignages illustrent ce problème, marqué par des contrôles au faciès qui, dans les cas extrêmes, aboutissent à des tragédies

Les gens se tatouent de moins en moins. James Zachari (Zaak) Jean Pierre, artiste dans le domaine depuis huit ans à Carrefour-Feuilles, dit avoir fait ce constat en marge du lancement du mouvement «Bwa Kale» à la fin du mois d’avril 2023.

Le tatoueur Zaak présente son équipement, mettant en avant sa machine à aiguille.| © David Lorens Mentor/AyiboPost

«Plusieurs clients qui avaient payé leur réservation ont fini par annuler», se plaint Zaak.

La crise économique et l’important flux migratoire vers des pays comme les États-Unis et le Canada peuvent expliquer en partie la diminution des clients.

Mais Zaak insiste : les gens, dit-il, associent certains tatouages aux gangs.

James Zachari (Zaak) Jean Pierre, artiste tatoueur établi à Carrefour-Feuilles. | © David Lorens Mentor/AyiboPost

Pour preuve, Zaak évoque le cas du frère d’un de ses collègues tatoueurs qui aurait été tué «parce qu’il était tatoué et portait des dreadlocks, alors qu’il souffrait de troubles mentaux.» AyiboPost n’a pas vérifié cette anecdote de façon indépendante.

Les rares clients qui viennent refusent de porter certains motifs comme les armes ou des expressions comme «thug life», témoigne le tatoueur. «Ce genre de tatouage est exclu parce que selon les citoyens, ils reflètent une affiliation aux gangs armés», dit l’homme.

Outils et équipements professionnels utilisés par Zaak dans son travail de tatoueur. | © David Lorens Mentor/AyiboPost

Ricardo Hyppolite a surmonté les préjugés pour devenir l’un des tatoueurs les plus talentueux de sa génération. Mais ces derniers mois, le professionnel de Canapé-Vert voit le nombre de ses clients diminuer.

Ricardo Hyppolite, tatoueur émérite de Canapé-Vert, en pleine création sur la peau d’une cliente en juillet 2023. | © David Lorens Mentor/AyiboPost

«Auparavant, je devais me rendre dans les quartiers défavorisés pour tatouer mes clients, mais à la condition de ne pas être filmé», explique Hyppolite. «Il y a eu des moments où je n’ai même pas le temps de prendre des photos des tatouages que j’avais réalisés», dit-il.

Ricardo Hyppolite déclare connaître l’histoire d’un jeune tatoueur qui a été appréhendé par la Direction centrale de la Police judiciaire (DCPJ) par suite de la découverte d’une vidéo sur le téléphone d’un des criminels abattus à Canapé-vert. Cette vidéo montrait l’artiste en train de réaliser un tatouage pour un membre de gang.

«Je peux être victime en exercant ce metier, c’est pourquoi j’ai choisi de ne pas tatouer tout le monde. Je suis prêt à tatouer une personne seulement si son comportement et son langage sont en accord. Si quelque chose me met en garde, je préfère reculer », déclare Hyppolite.

L’artiste tatoueur Ricardo Hyppolite est plongé dans la création d’une œuvre en encre, façonnant ainsi le tatouage désiré par sa cliente. | © David Lorens Mentor/AyiboPost

Beaucoup de citoyens disent être confrontés à des situations préjudiciables en raison de leurs tatouages, en marge du mouvement «Bwa Kale», selon des témoignages recueillis par AyiboPost.

Le cas de Saint Juste illustre ce problème, marqué par des contrôles au faciès qui, dans les cas extrêmes, aboutissent à des tragédies.

Le 29 juillet 2023, Saint Juste et cinq de ses amis ont été stoppés par des policiers non loin de «Kafou Tifou», à l’Avenue de Lamartinière. 

«Les policiers nous ont intimé l’ordre de nous ranger sur le côté, puis ils ont entrepris une fouille de la voiture à la recherche, disaient-ils, d’armes à feu et de drogue», témoigne Saint Juste.

Trois des occupants du véhicule étaient tatoués, et Saint Juste reste convaincu que ce détail compte. «Ils nous ont interrogés au sujet de nos tatouages par la suite», déclare le jeune homme de 25 ans. «Après avoir constaté qu’aucun signe ne se rapportait à une quelconque affiliation à un gang, ils nous ont dit de faire attention et nous ont autorisés à reprendre la route», raconte-t-il.

Aiguilles et machine à tatouer de l’artiste Zaak. | © David Lorens Mentor/AyiboPost

Plusieurs membres et sympathisants des gangs arborent des tatouages explicites, raison pour laquelle les porteurs d’encre semblent attirer l’attention des forces de l’ordre et des jeunes, abrités derrière les barricades. 

Shednaïkal raconte avoir été interpellée par une patrouille de police le 25 avril 2023, un jour après l’événement du massacre des Bandits à Canapé-vert.

L’interrogation portait sur son tatouage, un papillon, qu’elle considère comme ayant une signification personnelle importante.

L’artiste Ricardo Hyppolite procède à l’application finale de l’encre pour compléter le tatouage de sa cliente. | © David Lorens Mentor/AyiboPost

Selon le sociologue Chéry Joseph, il n’existe pas d’étude scientifique spécifique et convaincante concernant les cas de discrimination envers les personnes ayant des dreadlocks ou des tatouages pendant le mouvement «Bwa Kale».

Lire aussi : Par crainte des gangs, des propriétaires à P-au-P refusent de louer leurs maisons

Cependant, Joseph suggère que nous pouvons supposer que les pratiques telles que les dreadlocks et les tatouages ne font pas encore partie de nos normes sociales, expliquant ainsi que « ces pratiques ne sont pas encore considérées comme des éléments intégrés à notre société.»

Selon lui, ces pratiques, considérées comme des « phénomènes sociaux », prendront du temps à devenir des éléments sociaux acceptables.

Le professeur pense que bien que les personnes tatouées soient souvent sujettes à la discrimination, il n’y a pas encore de forces contraignantes pour limiter ces conséquences. « Lorsqu’un comportement ou une attitude n’est pas accepté par une société, on peut en être victime jusqu’à ce que la société le considère comme normal », explique Chéry Joseph.

Le tatouage réalisé par Ricardo en cours d’exposition à l’air pour le processus final de l’encre. | © David Lorens Mentor/AyiboPost

Par conséquent, le professeur Chéry Joseph est d’avis qu’il faut du courage, de la résilience et des stratégies de survie pour les personnes avec des dreadlocks ou des tatouages.

Pourtant, au milieu de ce climat tendu, certaines personnes rapportent une réalité professionnelle épanouissante. Alexandra Mizelin, une ancienne employée d’une ONG et du groupe Sogebank affirme ne subir aucun préjugé de la part de ses collègues ou de ses employeurs en raison de ses tatouages.

«Toutefois, dit Mizelin, les gens de mon entourage se sont inquiétés pour moi durant la période liée au Bwa Kale…» 

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Par David Lorens Mentor/AyiboPost

Jérôme Wendy Norestyl a participé à ce reportage. 


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Photographe à AyiboPost depuis mars 2023.

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