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Peu connu en Haïti, le groupe Lakou Mizik s’impose à l’extérieur

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C’est parce qu’en général, les médias ne diffusent pas la tendance Rasin

Il est 13 heures ce jeudi 21 janvier. Ayibopost prend la direction de Delmas 31 pour rencontrer Steeve Valcourt. Il est l’un des fondateurs du groupe Lakou mizik. Il nous reçoit à la Fondation Boulo Valcourt, au domicile privé de la famille.

Le bureau de feu Henriot Valcourt, dit Boulo, se trouvait dans la première pièce de la maison. On peut voir les tableaux préférés de l’artiste et les nombreuses plaques d’honneur qu’il avait reçues de son vivant.

À deux pas de ce bureau, nous nous retrouvons dans un studio d’enregistrement. Dans cette grande salle, Steve Valcourt n’est pas seul. Il est accompagné d’amis, et de la sœur de son père, Nicole Valcourt.

Cette dame âgée est heureuse que son neveu puisse continuer à faire de la musique même après le décès de Boulo Valcourt. C’est grâce à Lakou Mizik que Steve Valcourt a trouvé de la force après la mort de son père, son premier modèle, en 2017. « Lakou mizik est une grande cour qui rassemble des amis musiciens », explique Steeve Valcourt.

Aujourd’hui, Lakou Mizik enchaîne les tournées à succès à l’étranger, alors qu’en Haïti, il est à peine connu.

Premiers pas

Steve Valcourt compte Jonas Attis parmi ses amis les plus proches. En 2010, après le tremblement de terre, les compères ne pouvaient offrir ni abri ni argent aux rescapés. Ils pouvaient seulement aller chanter dans les camps, pour aider les victimes à vaincre le découragement.

Les musiciens passaient de camp en camp comme des missionnaires qui annoncent la bonne nouvelle. Mais en guise de bible, ils tenaient une guitare. « C’était difficile de se produire sous certaines tentes parce qu’il y avait des gens de toutes les religions. On ne savait pas quel style musical il fallait jouer pour mettre tout le monde dans l’ambiance », se rappelle Steve Valcourt en souriant.

Ils ont quand même trouvé une manière pour ranimer leur public. Avant de se rencontrer, Valcourt et Attis avaient chacun leur parcours dans la musique. Ils ont tous les deux participé au concours « chante nwèl » de Telemax et menaient chacun leur carrière solo. Les deux stars ont trouvé une synergie dans leur collaboration qui, plus tard, donnera naissance au groupe Lakou mizik.

C’est grâce à un étranger, Zack Niles, que l’idée a vraiment pris chair. Lors d’une visite en Haïti, cet ancien manager de musique américain voulait rencontrer de célèbres musiciens. Niles avait déjà l’habitude de venir dans le pays. Il écoutait Eddy François, Koupe Kloue et aussi Boulo Valcourt. En 2010, l’ancien manager s’est rendu chez la famille Valcourt.

Quand il a vu chanter Jonas Attis et Steve Valcourt, dans le studio de Boulo, Niles s’est dit que quelque chose de magique pourrait sortir de ce duo. Ils ont alors fait appel à d’autres artistes dont Samba Zao, tambourineur et professeur de musique, et des musiciens de rara comme Peterson Joseph et James Carrier. Tous ces styles allaient s’ajouter au groupe. « L’intention était de créer une structure atypique avec des talents diversifiés », déclare Steeve Valcourt.

Mais ils étaient tous des hommes. Nadine Remy apportera le timbre féminin qui manquait. Cette jeune fille qui chantait à l’église a accepté de rejoindre Lakou Mizik, qui allait s’adonner à la tendance Rasin.

Le premier fruit de Lakou mizik a été une réadaptation de la chanson traditionnelle « Peze Kafe ». Boulo Valcourt a collaboré sur ce projet. À partir de là, les musiciens ont voulu aller plus loin. Zack Niles qui n’administrait aucun groupe depuis un bon bout de temps y a pris goût à nouveau, et s’est relancé dans le métier.

Album inaugural

Pour financer leur premier album, « Wa di yo », le groupe a lancé une levée de fonds. Le disque comprend dix titres. Lakou Mizik les a joués dans des tournées internationales. Sur la chaîne YouTube du groupe, on peut vivre des moments forts lors de festivals à New Orleans, Miami, Montréal, etc.

Une fois, ils ont été coincés dans un avion. Il pleuvait beaucoup et l’avion ne pouvait pas voler. Pour chasser la peur, ces musiciens conduits par Louis Lesly Marcelin dit Samba Zao, avec son tchatcha, ont animé l’avion par des chansons « rasin ».

Sur leur chaîne YouTube, la vidéo est titrée prayers for our fellow delayed passengers! Amwalaye! « On avait peur, dit Jonas Attis. On a dû prier pour nous et les autres passagers qui étaient à bord. »

« Samba yo pran pale », « Ki macha dosou », « Parenn Legba » sont entre autres les titres que Samba Zao a interprétés ce jour-là. « Les gens étaient très contents. Ils nous ont filmés avec leur téléphone et la vidéo a été très vue sur les réseaux sociaux », se réjouit Samba Zao.

En 2017, le groupe a sorti un carnaval titré « Gaya » avec Michael Brun et J Perry. Deux ans plus tard, ils ont présenté leur deuxième album titré « HaitianNola » (Haïti et New Orleans) pour décrire les rapports culturels qui existent entre Haïti et La Nouvelle-Orléans.

La chanteuse canadienne Régine Alexandra Chassagne a collaboré sur ce projet. « Nous avons enregistré dans les plus prestigieux studios du monde. Nous avons fait la rencontre de très grands artistes » se vante Attis. À cause du coronavirus, les Lakou musiciens ont raté les contrats de l’année 2020. Ils sont en train de se rattraper en produisant des sessions live pour les organisateurs des festivals internationaux.

Ce jeudi 28 janvier 2021, le groupe a répété dans un studio à Pétion-Ville pour préparer les prestations en direct des festivals. Junior Lamarre était à la basse. Peterson Joseph grattait son « graj ». James Carrier le Percussionniste, Frédéric Jean Bastien, keyboardiste, Davires Vil, batteur, Samba Zao au tambour, complétaient le groupe. Sans compter Steeve Valcourt à la guitare. Jonas Attis, lui, restait les mains libres. C’est lui qui anime le groupe. Presque tous les membres étaient présents, sauf Nadine Remy qui est maintenant à l’étranger. Johanne Louis, une autre chanteuse, l’a remplacée.

Star impopulaire

En dépit de son grand succès à l’échelle internationale, Lakou Mizik demeure peu connu en Haïti. Selon Zack Niles, l’administrateur du groupe, c’est parce qu’en général, les médias ne diffusent pas la tendance Rasin. « Pourtant, cette culture ne devrait pas être une question de religion. Pour moi, la musique racine est d’abord la culture des Haïtiens, leur tradition, de quelque religion que l’on se réclame ».

L’objectif du groupe est de passer l’héritage de la musique Rasin aux générations futures. Ils essayent de réadapter les musiques traditionnelles au style des jeunes. « Je ne vais pas présenter aux jeunes la chanson “Panama m tonbe” telle que mon père la connaissait. Je peux ajouter un peu de dancehall et là ils s’y retrouveront », ajoute Steeve Valcourt.

Mais cet objectif est encore loin d’être atteint. Zack Niles envisage que les artistes chantent en anglais, mais ce sont eux qui décideront. En attendant, le manager annonce que le prochain album du groupe titré Leave the bones, littéralement kite zo a, sortira en mai 2021. Cet opus comprendra des contributions du célèbre DJ Joseph Ray.

Laura Louis

Cet article a été modifié pour préciser que le nouvel album de Lakou Mizik sortira en 2021, et non en 2020. 30.01.2021 17.52

Laura Louis est journaliste à Ayibopost depuis 2018. Elle a été lauréate du Prix Jeune Journaliste en Haïti en 2019. Elle a remporté l'édition 2021 du Prix Philippe Chaffanjon. Actuellement, Laura Louis est étudiante finissante en Service social à La Faculté des Sciences Humaines de l'Université d'État d'Haïti.

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