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Perspective | Liminasyon, un projet de vie !

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Un son. Une vibration, telle un envoutement. Voix de guitare qui porte en décadence l’arrivée d’un cri. Un mélange d’énergies. Une alliance bienveillante de musicalités et de symphonies psalmodiant une incantation ; celle de Legba. Ce passage, une exhortation où chaque mot est élu. Chacune des paroles est porteuse d’accomplissement et témoigne d’un acte de délivrance.

Cette illustration n’est pas uniquement un choix idoine vis-à-vis d’une quelconque accoutumance cérémonielle des activités de vodou. Elle se veut de plus, pour Liminasyon, de rendre grâce aux loas par l’entremise de Legba (Papa Legba). Et comme pour se rappeler que depuis Dahomey, Legba joue un rôle d’interprète au regard des loas. Sans lui, les esprits ne se communiquent pas.  Parce que sans son agrément, les serviteurs, eux aussi, sont incapables d’invoquer, de contenir et convertir leurs demandes aux divinités spécifiquement désirées.

De ce point de départ énigmatique, Liminasyon est aussi dangereusement un espace transitionnel des liens mystérieux et vénérables. Un espace de transmission, de fécondation et de création artistique. Si dans le rite petro, Legba assure la protection et est maître des grands chemins (Kafou), lieu sacré où il reçoit des offrandes et des louanges ; ce projet quant à lui porte, avec force d’intrépidité, la responsabilité gardienne des valeurs sociales, des droits sacrés des humains et des libertés individuelles. Sans ménager une fragrance d’éclectisme, c’est d’abord mais surtout un lieu de tendresse encryptée d’une fidélité à l’optimisme, à la force de vaincre et de lutter malgré les turpitudes de la vie.  Loin cette volonté de se complaire dans un silence mortel ou de rester cloitrer dans un passé victimaire, Liminasyon fait le procès de l’espoir et cette possibilité ou la nécessité de rester invincible ou invaincu comme le poète anglais William Ernest Henley (1849-1903), à travers son poème écrit en 1875, dont teneur suit :

  • Invictus (invincible ou invaincu) | court poème du poète anglais William Ernest Henley

« Dans les ténèbres qui m’enserrent,
Noires comme un puits où l’on se noie,
Je rends grâce aux dieux quels qu’ils soient,
Pour mon âme invincible et fière,
Dans de cruelles circonstances,
Je n’ai ni gémi ni pleuré,
Meurtri par cette existence,
Je suis debout bien que blessé,
En ce lieu de colère et de pleurs,|
Se profile l’ombre de la mort,
Et je ne sais ce que me réserve le sort,
Mais je suis et je resterai sans peur,
Aussi étroit soit le chemin,
Nombreux les châtiments infâmes,
Je suis le maître de mon destin,
Je suis le capitaine de mon âme »

La vie, noble qu’elle soit, doit fondamentalement sa constitution à la dignité, au courage de lutter dans la persévérance et à la foi inébranlable en un avenir meilleur. Le poète anglais William Ernest Henley ne l’a pas seulement cru ; cette foi, il l’a ensuite imprégnée alors qu’il était à l’hôpital en traitement pour une tuberculose osseuse, également appelée maladie de Pott. En raison de lourdes complications liées à sa maladie, il a dû subir une amputation de sa jambe gauche et de multiples interventions dans sa jambe droite. Qu’au silence de sa rémission, « Invictus » est née et est devenue selon plus d’un et pour l’esprit du projet Liminasyon – Projet de recherche et de création autour du « Vodou et droits humains » porté par la compagnie Bazou (Cie Bazou) – une évocation mémorable du stoïcisme victorien.

Malgré les décrépitudes, les blessures émotionnelles, la maladie et même face à la mort ; William a fait naitre, à travers Invictus, un message universel.  Il expose « l’immense force de l’esprit humain au plus profond de l’adversité et a montré comment, même dans les moments les plus sombres, et même lorsque votre destin est contre vous, l’esprit humain est suffisamment fort pour résister à la douleur, à la lutte et à la traverser. »

« Nous sommes toujours les maîtres de notre destin. Nous sommes toujours les capitaines de notre âme »

Alors qu’il était incarcéré à la prison de Robben Island, Nelson Mandela a lui-même repris et récité ce poème aux autres détenus en vue de renforcer leurs forces à vaincre la peur, leurs déterminations dans sa lutte et à la maîtrise de soi face aux adversités de la vie. Une autre figure historique et emblématique de la résistance et la révolution pris en exemple dans ce travail est bel et bien Patrice Lumumba[2], en témoigne sa lettre testamentaire, où de sa prison, écrite à sa compagne Pauline.  De cet acte de résistance politique, le héros africain, premier dirigeant de la République Démocratique du Congo, témoigne l’exigence de la souveraineté, le besoin de la liberté et le rêve de construire un Congo avec ses propres repères et sa propre histoire.

Conscient que le vodou ne peut se définir en dehors du cadre révolutionnaire, Liminasyon vise aussi la continuité d’un combat interminable, l’exercice d’une foi inébranlable vers la libération et le droit à l’autodétermination des peuples. Que cette foi, cette force de vaincre puise fondamentalement sa source et tire son foisonnement dans certains esprits du panthéon vodou. Ce dernier, parce que trop longtemps galvaudé aux pratiques infâmes et ignobles, ce projet veut, à contrario, souffrir à une double perspective. Dans une alliance presqu’immuable, il sera non seulement question de dire le vodou mais surtout de le concilier à un certain nombre d’enjeux d’ordre sociétal.

Et croyant que de manière inéluctable, le vodou nous rattrapera un jour ou l’autre ; Liminasyon, au support de cette assertion, veut rendre grâce, sanctifier et éclairer le dessous de sa trajectoire qui est aussi complexe que méconnue. En ce sens, pour répondre à sa propre exigence ; il peint à flot, d’une charge exorbitante mais non excessive, l’anthropologie culturelle et sociale du pays à travers : Legba, Brav, Pinga (premye pas dlo), Liminasyon, Jouk mwen, Jijman grankay et Lantouray.

Dans une démarche imminemment politique, il prend position et dénonce les inégalités sociales, le respect de l’héritage de nos ancêtres sacrifiés pour la libération des peuples noirs des jougs de l’esclavage en osant les titres, tels que : Congo, Yon kadejakè nan lakou a, Kite yo non et Sanite Bélaire.

Ce projet campe aussi un élan d’universalité, d’éclectique, le respect des droits fondamentaux des droits humains et des libertés individuelles. Il offre aussi en perspective, la possibilité de poser les problématiques des Droits Humains à travers le vodou et voir comment ce dernier tente de les traiter. Il s’agit là du point central du contenu global du projet. Toutefois, quand il vous sera donné le temps de votre liminasyon, vous comprendrez mieux l’ensemble de ces thématiques dans les morceaux : Gade lorizon, Revè lannwit, Refren doulè, Yon kadejakè nan lakou a[3], Ti bout souf et Koulè lanmou.

Ces morceaux écrits, dits, arrangés, composés, joués et chantés résultent d’une combinaison de voix, de talents et d’esprits ; mais d’abord et surtout d’une histoire de résistance et d’engagement politique de Kestia Vaïnadine Alphonse, de Jimmy Kerby Toussaint, de Hadler Chery, de Olivier Eddin, de Vanessa Jeudi, de Marc-Harold Pierre, de Staloff Trofort, de Nehemie Bastien, de Jemps Philias, de Clyde Duverné, de Johnson St-Cyr, de Ralph  Valerie, de Joe Alfred, de Joseph Derilon Fils Derilus, de Charline Jean-Gilles, de Jean Damerique  et de Miracson Saint-Val.

Ainsi fièrement repris sur les lèvres de Carl Marcel Casseus : aux noms de ces âmes bénis, nous vous disons Ewa ! Et aux noms des divinités assurant la transition protectrice vers d’autres sentiers jusqu’aux esprits : bon passage à vous et bienvenue sur l’album LIMINASYON. An nou liminen !

Carlo Germain est Avocat et militant des Droits Humains

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