CULTURE

Le peintre haïtien Schneider Hilaire invoque les loas à Paris

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Réussir à exposer ses œuvres dans la galerie reconnue d’un quartier réputé pour son ébullition n’est pas seulement un beau succès personnel, mais également, dans ce contexte d’inculture et de lobotomie à grande échelle, un véritable acte politique

Plongées dans un monde d’acrylique et de Mystères : trois séries sont réunies dans une grande galerie parisienne du 11e arrondissement : «Nuits haïtiennes», «Le tréfonds des rêves» et «Nou ak sa n pa wè yo» (qui donne son nom à l’exhibition).

Les Invisibles se manifestent souvent sous la forme d’animaux peints en blanc sur de grandes toiles qui privilégient les teintes clair-obscur, utilisation minimaliste des couleurs vives (sinon le rouge passion des Petro).

Des entités vaporeuses présentes partout au quotidien, à l’écoute d’un enfant posé dans la forêt (« Regard de l’avenir»), d’un homme à la croisée des chemins prêt à présent à suivre Legba (« Débarase»). Mais aussi sous celle de végétaux : herbes hautes comme conscientes, spectatrices de la connexion d’un initié avec le monde caché (« Chevauchement»), arbres engagés semblant s’avancer vers un garçonnet assis (« Dialogue innocent »). Peut-être lui murmurent-ils les dégâts irréparables que provoquerait dans les deux univers liés une déforestation totale, tandis qu’un sage Mystère (ici représenté sous la forme d’un hibou attentif) lui suggère la route à suivre.

Schneider Hilaire Art.

L’enfance amère | © galerie Magnin-A

Les liens entre les éléments naturels, faune et flore, et l’esprit des hommes. La présence des disparus dans le monde des vivants.

Le vitalisme et les passages s’incarnent ainsi dans la galerie Magnin-A. Proposant des pistes de réflexion sur des sujets qui sont désormais (devraient être) de portée universelle par temps de saccage écologique.

À défaut de saisir déjà l’héritage culturel venu de la terre africaine originelle, entretenu et enrichi par les esclaves pour supporter la déportation et l’asservissement, peut-être les visiteurs français seront-ils sensibles à cet autre aspect, plus discret, mais essentiel, du vodou haïtien.

Point d’yeux révulsés, donc, ni de transes spectaculaires dans la dernière exposition (mais première en Europe !) du peintre Port-au-princien Shneider Léon Hilaire.

Le peintre haïtien Schneider Léon Hilaire

Ce qui devrait rassurer certains puristes toujours prompts — au lieu de se réjouir du succès des enfants prodiges d’Haïti hors frontières — à jouer les contempteurs. À hurler à la trahison de l’essence certes orale du vaudou, voire à l’entretien d’un goût douteux pour l’exotisme et le théâtral côté tricolore.

Il est vrai que les séries et films américains qui ont inondé le Vieux Continent (et donc façonné les esprits) n’y sont pas allés de main morte. Poupées transpercées d’aiguilles et Papa Legba psychopathe à tout-va, superposition de clichés carnavalesques et de fantasmes ont contribué à diaboliser et rabaisser la religion animiste.

Schneider Hilaire

Dialogue innocent | © galerie Magnin-A

Certes Jean Price-Mars et l’indigénisme, Hector Hyppolite et Robert Saint-Brice. Oui Jacques-Stephen Alexis, la communauté Saint-Soleil, Levoy Exil, le spiralisme de Franketienne. Évidemment Marie Vieux-Chauvet, Dany Laferrière, Yanick Lahens, Gary Victor, Lyonel Trouillot et Makenzy Orcel.

Une manbo dompte depuis les braises la douleur, traductrice des volontés des loas.

Qui d’autre traversera avec elle le rideau de feu qui sépare le sacré du monde profane? (« Eclat petro I»)

Les évolutions, les ponts ou chemins parallèles entre peinture et littérature haïtiennes pour sortir le vodou de la case dans laquelle l’Histoire l’avait laissé (Croix et fouet sous la colonisation puis campagnes dites « anti-superstitieuses » — instrumentalisation par les Duvalier — mépris des classes urbaines pour des « croyances paysannes ») sont connus.

Des Haïtiens.

Des passionnés et des collectionneurs.

Mais des Français dans leur globalité ?

L’intelligentsia tricolore — Malraux, Breton, Sartre etc — ne représentait qu’elle-même et, que pouvaient bien changer leurs prises de position d’alors depuis Saint-Germain-des-Prés face à la puissance de feu d’Hollywood et face aux pudeurs de gazelle d’une école dite républicaine dès qu’il s’agissait de traiter de la(les) période(s) coloniale(s) (l’étude de l’esclavage et des colonies dites d’outre-mer ne représentent toujours qu’un chapitre dans l’année en classe d’Histoire de 4e au collège français. Quelques lignes…)

Lire aussi : Shneider Léon Hilaire voulait être médecin, la peinture a eu raison de lui

Peu.

Même aujourd’hui, un épisode débile rediffusé de la série « Magnum» présentant un initié maquillé jouant du couteau pèsera toujours plus qu’un discours réfléchi publié dans une revue pointue destinée à quelques lettrés. Ou aux investisseurs surveillant les côtes du marché de l’Art.

Pour un Jimi Hendrix chantant la résilience et le pouvoir de la volonté (« Voodoo Child»), combien de potions humiliantes inoculées via les télécommandes (maîtresses de l’époque en Europe) ?

possesion d'amour

Possession d’amour | © galerie Magnin-A

Il est évident que le public français a longtemps sans résistance accepté cette bouillie (arme culturelle et donc politique, ne nous y trompons pas !), sans doute rendue plus digeste par un inconscient collectif toujours pas remis de la cérémonie du Bois-Caïman (que presque aucun Français ne connaît, soyons clairs : d’où la notion essentielle d’inconscient collectif. Historique), de ses conséquences pour l’ancienne puissance esclavagiste.

«Le vaudou est l’un des éléments constitutifs de l’imaginaire des Haïtiens. Il aura été leur première réponse, de nature mystique, à la traite atlantique et aux autres grands malheurs de l’esclavage et du fait colonial. […] Le vaudou est un psychodrame, un théâtre, un opéra, une école de danse, une chaudière à vapeur érotique, le générateur du réel merveilleux haïtien sous toutes ses formes existentielles », écrivait René Depestre lors de la sortie de « Popa Singer ».

L’esprit d’un défunt s’échappe de nuit du caveau. Son fidèle compagnon canin est venu lui rappeler « L’Au-Delà des liens ».

Il est donc peu de dire que les Français le connaissent mal, le vodou (tant mieux, diront certains. De bonne guerre). S’emmêlent vite les pinceaux, dès que projetés hors de leur zone de confort.

Ils le renvoient toujours paresseusement (sans l’avouer) à une forme de sorcellerie tropicale qui réveille leurs peurs ancestrales, le feu des initiations évoquant confusément celui des bûchers inquisitoriaux et les transes des chevauchés les possessions diaboliques canonnées par Rome.

Pas davantage Vertières, Dessalines ou même Toussaint Louverture n’évoquent grand-chose chez eux. Les Français ne connaissent pas les Haïtiens. Ont oublié, oblitéré de leur logiciel, Haïti. Ignorant non seulement sa féroce actualité, mais même la dette, son emplacement géographique, l’esclavagisme et la colonie Saint-Domingue.

Hop! Sous le tapis mémoriel, le passé trop honteux! Ardoise magique!

Et tout un pays — sans même se passer le mot ! Là est sans doute le plus incompréhensible — de freiner des quatre fers à chaque tentative d’évocation.

Cette résistance relève-t-elle de la théorie freudienne appliquée à grande échelle ? Du refus obstiné d’accepter le reflet trop laid en son beau miroir ? Insupportable ?

Elle n’est en tout cas guère glorieuse, mais demeure une réalité.

Sans doute, lorsqu’on est haïtien, faut-il avoir une fois voyagé en Europe pour réaliser avec stupéfaction le degré de refoulement collectif, d’ignorance et d’inculture atteint ici.

Le constat est cruel, insensé même tant les histoires des deux nations sont liées : et pourtant.

Réussir à exposer ses œuvres dans la galerie reconnue d’un quartier réputé pour son ébullition, œuvres basées sur l’interprétation des contes oraux récoltés patiemment tel un ethnologue (Schneider Léon Hilaire s’est beaucoup intéressé aux chuchotements et paraboles venus de la région de Côtes-de-Fer), n’est pas seulement un beau succès personnel, mais également, dans ce contexte d’inculture et de lobotomie à grande échelle, un véritable acte politique. Dans le sens le plus noble du terme. 

possesion d'amour

Possession d’amour | © galerie Magnin-A

La politique, d’ailleurs, s’invite plus frontalement encore au sous-sol de la galerie. Les chats-usurpateurs se prélassent dans le cimetière. Vêtus du rouge signifiant.

« Le tableau “Conseil des ministres’ est une critique pour dénoncer la mauvaise gestion du pays par des ministres désinvoltes. Les personnages habillés de rouge ont des têtes de chat, animal qui symbolise le voleur, et ils se trouvent dans un cimetière, car si l’on porte du rouge lors d’un enterrement on est perçu aux yeux de tous comme celui qui a causé la mort », d’expliciter le jeune peintre de 33 ans.

Ni Sirène ni Erzulie, une fidèle s’unit avec Agouet, maître des flots. Des esprits marins représentés en poissons tout en transparence lancent une ronde protectrice, invisible pour certains (« Mariage avec Agouet »).

Plus loin Damballa sous sa forme reptilienne siffle ses conseils à l’oreille d’une adepte. Ayida aussi d’apparaître en songe. Et un lougarou grimé en dindon de feu (symbole de la pensée vaudou ?) retient un enfant somnambule, l’empêchant de sortir de nuit seul dans la pénombre. Seul au milieu des dangers d’une époque infernale, sans plus foi ni loi (« Rêve éveillé»).

Espérons que le brillant travail de l’artiste Port-au-princien rencontrera son public à Paris, avec ces subtils ponts lancés. Et décillera enfin là-bas les trop nombreux ignorants des puissances créatrices, fiertés insulaires et trésors culturels haïtiens. Si les loas le veulent.

Exposition « Nou ak sa n pa wè yo » (« Nous et les Invisibles ») de Shneider Léon Hilaire — du 13 janvier au 16 mars — à la galerie Magnin-A, Paris 11.

Par Frédéric L’Helgoualch

Image de couverture : Conseil des ministres   | © galerie Magnin-A


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Frédéric L’Helgoualch vit à Paris. Il écrit des critiques littéraires et a découvert la riche histoire et la foisonnante littérature d’Haïti à partir d’un livre de Makenzy Orcel, ‘Maître Minuit’. Depuis il tire le fil sans fin des œuvres haïtiennes. Il a publié un recueil de nouvelles, ‘Deci-Delà, puisque rien ne se passe comme prévu’ et un ebook érotique photos-textes, ‘Pierre Guerot & I’ avec Pierre Guerot.

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