Avant 2007, si un paysan voyait un pin dans son jardin, il l’abattait tout de suite. Il aurait préféré laisser de mauvaises herbes pousser que de laisser l’arbre, selon Jean Robert Sultan
Jean Robert Sultan n’est pas agronome comme il l’aurait voulu, mais il connaît bien la terre. Ce fils de paysan qui a grandi dans la commune de Fonds-Verrettes, tout près de la Forêt des pins, assure qu’il a une dette envers cette terre, et qu’il doit tout faire pour ne pas la déshabiller de ses arbres.
C’est pour cela qu’il a créé la Fondation Reboisement par l’éducation, il y a presque vingt ans. Il s’attèle à rendre à l’environnement ce que les machettes et les feux lui ont enlevé. À 56 ans, Jean Robert Sultan accompagne les paysans de Fonds-Verrettes, Gros-Cheval, Boukan Chat, etc., qui veulent planter des arbres sur leurs terres, et ainsi protéger la Forêt des pins.
AyiboPost s’est entretenu avec lui. L’entrevue a été éditée pour en améliorer la lecture.
Depuis quand vous êtes-vous lancé dans la protection de l’environnement ?
Cela fait très longtemps maintenant ! C’est dans les années 1987 que j’ai commencé. J’étais jeune, je vivais à Port-au-Prince, et j’allais en vacances à Fonds-Verrettes tous les ans. À la fin de l’année 1986, alors que je rentrais de la capitale, j’ai vu des gens qui coupaient des arbres dans la forêt [des pins]. J’étais avec mon petit frère et on s’est dit que dans très peu de temps on pourrait perdre toute la forêt s’ils continuaient ainsi. Alors on a commencé à réfléchir à ce qu’on pourrait faire pour changer cette dynamique. Nous avons décidé de planter des arbres. Mais la plupart ont été coupés par les paysans. Puis, j’ai quitté le pays pendant quelque temps. Quand je suis revenu, j’ai décidé de recommencer.
Quand avez-vous recommencé avec le reboisement ? Les choses ont-elles été différentes cette fois ?
C’est après la grande inondation de 2004 qu’on a vraiment commencé avec nos projets. La ville de Fonds-Verrettes a été détruite complètement. D’abord, on a commencé à aider dans la reconstruction des maisons. Puis on s’est demandé si bâtir des maisons allait suffir pour empêcher une nouvelle catastrophe. C’est là qu’on a pensé à reboiser, ainsi il y aurait plus d’eau qui s’infiltre dans le sol, et moins de grosses inondations.
Après la mauvaise expérience de 1987, il fallait trouver d’autres manières de procéder. J’ai pensé à payer les paysans pour chaque arbre planté, mais cela ne veut pas dire qu’ils auraient vraiment conscience de l’importance des arbres. Et si un jour il n’y avait plus d’argent, tous nos efforts seraient vains.
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Alors on a cherché à connaître les problèmes auxquels les paysans faisaient face au quotidien. Et on a vu qu’il y avait beaucoup d’enfants non scolarisés, bien que leurs parents voulaient qu’ils aillent à l’école. On a donc proposé de payer la scolarité des enfants dont les parents accepteraient de planter plus d’arbres.
Le projet a été mis en marche à la fin de l’année 2006, avec une association de planteurs locaux. On avait obtenu un financement de 32 000 dollars américains de l’ONG Objectif Tiers Monde. On a décidé de planter des Pins [Pinus occidentalis] parce que c’est une espèce menacée dans le pays.
Vous avez compris que sans l’implication des paysans, le programme serait encore un échec ?
Oui, justement. Avant 2007, si un paysan voyait un pin dans son jardin, il l’abattrait tout de suite. Il aurait préféré laisser de mauvaises herbes pousser que de laisser l’arbre. Dans sa tête, l’État allait venir l’exproprier parce qu’on leur avait toujours dit que les forêts [de pins] appartenaient à l’État. Donc, la terre où poussait le pin était aussi à l’État. Mais on a su changer les mentalités. Maintenant, le paysan ne pense pas qu’avoir des pins sur sa terre lui fait courir le risque de l’expropriation.
Cela signifie-t-il que la peur de l’État pourrait être l’une des causes du déboisement ?
Je crois que c’est la principale raison en fait. Il est vrai que dans certains endroits, les gens coupent des arbres surtout parce qu’ils sont démunis. Mais dans le Plateau central, à Mont Organisé, à Carisse, le plus souvent ils les éliminent parce qu’ils symbolisent l’État. Nous poursuivons avec la sensibilisation. Il y a de plus en plus de paysans qui décident de planter des arbres sans qu’on les y ait poussés. Et c’est ainsi que nous évaluons notre travail.
Nous n’avons plus vraiment de financement, mais nous avons toute une communauté qui est motivée par le reboisement. Nous sommes actifs dans une vingtaine d’endroits. Les paysans plantent le pinus occidentalis sur leurs terres. On appelle ces espaces « Forè pa m ». Ils peuvent bien sûr les couper pour en tirer des revenus, parce que ce sont leurs arbres. Mais avant, ils doivent demander l’accord du bureau [du FRE]. En réalité, un arbre peut être coupé. Mais ce qui est important, c’est le pourquoi. Et il faut aussi qu’ils pensent à planter d’autres arbres pour remplacer ceux qu’ils coupent.
Si quelqu’un n’est pas de [Fonds Verrettes], il trouvera qu’il y a beaucoup d’arbres dans le coin. Mais pour quelqu’un qui a grandi ici, la situation est encore catastrophique et il y a du travail à faire. Beaucoup de personnes parlent de dix mille arbres qu’on a plantés, avec les paysans, à Gros-Cheval. Mais en réalité, nous en avons déjà planté bien plus grâce à cette collaboration.
Dans la pratique, comment faites-vous pour inciter les paysans à reboiser ?
La méthode est simple. Chaque année, les parents doivent planter des arbres, en échange de la scolarité de leurs enfants. S’ils ont un espace, ils planteront le pin dessus. Sinon, on leur dit où planter. Ce programme aide à préserver la forêt des pins, parce que le paysan a son propre espace, boisé avec des pins. Cela diminue la pression sur la forêt. Jusqu’à présent, des paysans viennent signer leur contrat parce qu’ils veulent payer l’écolage de leurs petits.
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Mais même si nous faisons un grand travail de sensibilisation, il y a encore des personnes qui coupent des arbres anarchiquement. Dans la forêt des pins, il y a encore des incendies [criminels]. Mais maintenant quand il y a le feu, il y a beaucoup de personnes qui se mobilisent pour aider parce qu’ils ont compris l’importance de cette forêt. C’est là qu’ils vont aller chercher de jeunes pousses, pour les planter sur leurs terres. Donc chaque incendie leur fait perdre de l’argent.
Pensez-vous que c’est un programme qui peut être repris ailleurs ?
Oui, c’est un programme qui peut être répliqué partout dans le pays. Il faut seulement voir quelle espèce l’on va planter, surtout parmi celles qui sont déjà présentes dans l’environnement concerné. D’autres espèces peuvent être plantées, mais je crois que ce n’est pas une bonne chose de remplacer celles qui étaient déjà là.
Jusqu’à présent, des paysans viennent signer leur contrat parce qu’ils veulent payer l’écolage de leurs petits.
Sinon, pour répliquer le projet, c’est une question purement mathématique. Disons qu’il y a 100 000 candidats au bac tous les ans. On peut leur demander de rendre service à l’État pendant une année, après leur réussite à ces examens. Ils peuvent alphabétiser des gens par exemple. Si chaque candidat apprend à lire à 50 personnes, qui doivent en retour planter 50 arbres, cela fait déjà une grande quantité. C’est la responsabilité de tout le monde de travailler au bien-être de son pays. Nous avons tenté à plusieurs reprises de passer ce projet au ministère de l’Environnement, sans succès. C’est plus politique qu’autre chose.
Photo de couverture: Valerie Baeriswyl
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