En septembre 2017, une rencontre a eu lieu au Palais national avec les dirigeants des partis politiques. Lors de cette rencontre, le président de la République, Jovenel Moïse, avait parlé de sa volonté de mettre à disposition des partis le financement public, selon le vœu de la loi de janvier 2014. Ces fonds devraient faciliter et promouvoir l’institutionnalisation des structures politiques en Haïti. Qu’en est-il de ce projet ?
Les partis politiques ont fait apparition en Haïti pendant le XIXe avec la création du parti libéral et du parti national. Durant les années 1980, leur développement n’avait pas connu un essor significatif. Ce fut à partir des années 2000 que leur pullulement prend une ampleur considérable sur la scène politique en Haïti.
En 2016, le conseil électoral provisoire (CEP) avait certifié 166 partis politiques. De ce nombre, 107 partis ont été agréés dans les joutes électorales de 2016. À la publication des résultats, seulement 58 partis avaient eu des représentants élus.
En 2017, Jovenel Moïse avait suggéré la mise en place d’une commission de facilitation et de communication des structures politiques. C’était manifestement, une volonté d’appliquer la loi de janvier 2014 portant sur la formation, le fonctionnement et le financement des partis politiques.
Selon Mathias Pierre, représentant du Comité de suivi pour le financement et pour l’institutionnalisation des partis politiques (CSFIPP), ce comité devrait faire des propositions pour faciliter le financement des partis et produire un rapport sur les partis financés tout en faisant des propositions pour leur institutionnalisation. Neuf membres formèrent ce comité : Mathias Pierre (LAPEH) ; Enold Joseph et Ronald D’Mezar (KID) ; Gertrude Bien-Aimé (VERITE) ; Marie France Claude (PDCH) ; Raoul Pierre-Louis (UNIR-Haïti) ; Roudy Choute et Liné Balthazar (PHTK) ; Irvelt Chéry (OPL).
Financement des partis politiques
Selon l’article 38 de la loi de janvier 2014, « L’État consacre chaque année budgétaire, un montant équivalent à un (1 %) pour cent des ressources internes du budget national en appui au fonctionnement des partis politiques légalement reconnus ». L’article suivant définit les modalités habilitant un parti à recevoir les financements prévus.
Ainsi, « 58 partis étaient déclarés éligibles par le CSFIPP pour recevoir le financement de la part de l’État », dit Matthias Pierre. Il explique que 250 millions de gourdes étaient disponibles sur les 571 millions prévus pour l’année fiscale 2016-1017. Néanmoins, les partis politiques ont reçu une partie de la subvention évaluée à 142 millions de gourdes. Les premières structures politiques à tirer leur chèque le 22 janvier 2018 étaient : Bouclier, Renmen Ayiti, le Mouvement de Solidarité pour l’Avancement du Nord-Ouest d’Haïti (MOSANOH) et le parti Conscience patriotique.
Une considération spéciale a été faite pour 49 autres partis non éligibles, mais sélectionnés sur les 107 qui prirent part aux élections. Le CSFIPP leur a accordé quinze pour cent de la valeur de 250 millions de gourdes disposés pour le premier versement du financement. Ce montant devrait leur servir pour les frais de loyer. Des partis politiques dont Fanmi Lavalas ont refusé cette subvention.
Que faire du financement ?
Selon la Loi, le financement public devrait être utilisé pour payer les dépenses courantes, diffuser leur projet politique, coordonner l’action politique de leurs membres et assurer la formation des membres. Ce texte de loi contraint les structures politiques bénéficiaires à fournir leurs rapports de dépenses trimestriels au ministère des Finances afin de procéder à leur financement mensuel. « En moyenne, les partis politiques devraient recevoir 46 millions de gourdes par mois », explique le représentant du CSFIPP.
Selon le rapport soumis par le CSFIPP en 2018, le financement public devrait favoriser l’institutionnalisation des partis politiques, c’est-à-dire, des entités sociales ou institutions organisationnelles ayant une administration réelle (locale, enseigne, adresse). Matthias Pierre qui était à la tête du CSFIPP dit ignorer si les partis politiques ont remis des rapports au ministère des Finances. Car, dit-il, le mandat du comité devrait se terminer avec la production d’un rapport soumis au cabinet présidentiel et au ministère de la Justice et de la Sécurité (MJSP). Mathias Pierre ne cache pas son hostilité aux nouveaux décaissements sans que les partis politiques n’aient soumis un rapport sur l’utilisation du premier versement du financement public.
Contactés à ce sujet, les coordonnateurs des partis VERITE et LAPEH, Jean Gué et Jean Hector Anacasis, ont fait savoir qu’ils n’ont pas encore remis de rapport sur les dépenses faites avec la subvention reçue. « Au sein du parti VERITE, nous réclamons un deuxième versement avant de produire un quelconque rapport », insiste Jean Gué. « Aucune structure n’a jamais existé au ministère des Finances pour recevoir des rapports sur les dépenses », a fait savoir Jean Hector Anacasis. Ils disent avoir utilisé l’argent pour les dépenses liées aux bureaux de leurs partis.
Un projet non réussi
Le projet d’institutionnaliser les structures politiques n’a pas été réalisé comme prévu. « Les propositions faites par le CSFIPP dans son rapport n’ont eu aucun suivi jusqu’à date », confie Matthias Pierre. Le rapport avait proposé la création du Centre de renforcement et d’institutionnalisation des partis politiques (CRIPP) pour renforcer et éviter la prolifération massive des partis politiques. Cette structure autonome à caractère administratif, lit-on dans le rapport, devrait être sous la tutelle du Ministère de la Justice et de la Sécurité publique (MJSP).
Les recommandations du rapport voulaient renforcer la reconnaissance légale des partis pour leur institutionnalisation. Et, « les résultats obtenus ont émané des ateliers de travail avec les partis politiques », affirme le représentant du CSFIPP.
« Un parti politique doit avoir 4344 dirigeants en moyenne pour avoir la reconnaissance légale c’est-à-dire, si nous considérons le nombre minimal (5), ils seront 3620 dirigeants et pour le maximum (7) soit 5068 dirigeants. Ces dirigeants seront répartis dans les régions selon la disposition suivante : au minimum 3 par département (10), 5 par arrondissement (42), 5 par commune (142) et 5 par section communale (572) ; au maximum 7 par département, 7 par arrondissement, 7 par commune et 7 par section communale », lit-on dans le rapport.
Notons qu’en Haïti, les partis politiques se montrent toujours actifs à la veille des élections. L’idée de les institutionnaliser est au ralenti et ni le président de la République ni les partis politiques n’ont, pour l’instant, manifesté aucune velléité de poursuivre avec ce projet. Si rien n’est fait, la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif (CSC/CA) aura, à l’avenir, à enquêter sur ce décaissement public. Car, la loi exige que les partis politiques doivent procéder à la fin de chaque exercice budgétaire à une reddition de compte à la CSC/CA aux fins de contrôle.
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