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Opinion | Pourquoi la CAN 2024 est-elle la meilleure de l’histoire ?

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La majorité des spectateurs sur place ou ayant véritablement suivi cette Coupe d’Afrique ont vanté la qualité de l’organisation ivoirienne

Elle devait se tenir à l’été 2023, mais, elle s’est finalement tenue – comme c’est en général le cas en Afrique – du 13 janvier au 11 février 2024.

Cinq villes, six stades ont accueilli la 34e Coupe d’Afrique des Nations.

Les rideaux sont tombés, les lampions se sont éteints, le dimanche 11 février, avec le couronnement de la Côte d’Ivoire face au Nigéria.

Mais, la plus belle victoire des Ivoiriens, c’est d’avoir organisé la plus belle des CAN.

D’abord, la qualité de l’organisation…

Bien avant le début de la compétition, tous les voyants étaient au vert pour cette Coupe d’Afrique, tant le pays hôte avait mis le paquet pour rehausser l’éclat de l’événement, pour réaliser la CAN de l’hospitalité.

La Côte d’Ivoire a investi massivement, soit près de € 1.6 milliards dont une large partie dans les infrastructures. Des dépenses estimées à 60,7% du PIB du pays selon, le Ministère Français de l’Economie.

Un enjeu majeur pour ce pays de près de 30 millions d’habitants (27,48 millions selon la Banque Mondiale en 2021).

La plus belle victoire des Ivoiriens, c’est d’avoir organisé la plus belle des CAN.

L’État ivoirien avait fait le pari de montrer qu’il était capable d’organiser de grands événements, en respectant les meilleurs standards internationaux. Une façon de montrer à la face du monde que le drame politique, économique, social et humain vécu il y a douze ans (3 000 morts), n’était qu’un lointain souvenir et que désormais, il était devenu un hub sportif, économique et politiquement stable.

C’est ce qu’on a pu voir pendant toute cette CAN, l’ambiance dans les stades, dans les Fans zones, sur les réseaux sociaux… La majorité des personnes présentes sur place ou qui ont suivi véritablement cette Coupe d’Afrique ont vanté la qualité de l’organisation ivoirienne.

Il y a eu évidemment, les problèmes de billetterie, notamment pour la cérémonie inaugurale et les premiers matchs de la compétition, mais une fois que cette question était résolue, les organisateurs ont quasiment fait un sans-faute jusqu’à la belle et sobre cérémonie de clôture mettant en vedette la légende Alpha Blondy et le fameux «Coup du Marteau», devenu l’hymne de cette Coupe d’Afrique.

Ensuite, la qualité du spectacle…

On a tout vu dans cette Coupe d’Afrique des Nations : des buts, des surprises, des renversements de situation, du jeu, de l’ambition, des émotions… on ne s’est jamais ennuyé devant cette CAN. Au contraire, on s’est régalé du début à la fin. Avec 118 buts en 52 matchs, la CAN 2024 est la plus prolifique de l’histoire. Le précédent record (108 buts), enregistré en Egypte en 2019, a largement explosé.

L’État ivoirien avait fait le pari de montrer qu’il était capable d’organiser de grands événements, en respectant les meilleurs standards internationaux.

Ce beau spectacle a été rendu possible par la qualité des pelouses, la qualité de l’arbitrage, le niveau des joueurs, l’évolution des «petites nations»… tous les clichés sur le football africain ont été terrassés en l’espace d’une compétition.

Oui, le football africain évolue dans le bon sens et on l’a vu sur cette CAN. Ce qui a poussé Sébastien Desabre à déclarer : «ce n’est pas la CAN des surprises, mais celle du travail».

Difficile de lui donner tort, car les belles surprises de cette compétition, la Guinée-Equatoriale, le Cap-Vert, la Mauritanie, l’Angola, la Guinée… et même dans une moindre mesure la République Démocratique du Congo et l’Afrique du Sud, sont surtout la résultante des efforts de ces dernières années.

La réussite de l’Afrique du Sud, par exemple, dont les exploits de son gardien, Ronwen Williams ont explosé à la face du monde, est le fruit de l’évolution du football des clubs, actuellement sur le continent.

Pour son retour dans le dernier carré (24 ans après) et pour accrocher cette belle troisième place, l’équipe des Bafana Bafana a la particularité d’être composée à près de 90% de joueurs évoluant dans le championnat national, et même pour la majorité dans le même club, les Mamelodi Sundowns.

Enfin, le parcours du champion…

Donnés parmi les favoris de la compétition avant le coup de sifflet inaugural, les Éléphants allaient très vite perdre ce statut.

D’abord avec une première défaite contre le Nigéria (0-1), puis avec cette claque reçue de la Guinée-Equatoriale (0-4). L’image de Jean Louis Gasset qui se prenait la tête à deux mains devant cette déconvenue était devenue le symbole de l’impuissance ivoirienne. Troisième de son groupe avec trois petits points et un différentiel de buts largement défavorable, le pays organisateur était au bord de l’élimination dès les phases de poules. Une peur bleue s’installa, alors, sur la CAN, car si la catastrophe devait se confirmer, elle aurait inévitablement de lourdes conséquences sur la suite de la compétition, notamment sur l’affluence dans les stades. C’est finalement, la victoire du Maroc sur la Zambie qui va permettre aux coéquipiers de Seko Fofana de se qualifier pour les huitièmes de finale – comme étant, il faut le dire, les pires des meilleurs troisièmes.

Mais, ce qu’on ne souligne pas trop, c’est l’apport du Mozambique à ce miracle. Menés (0-2) face au Ghana, les Mambas «serpent le plus dangereux d’Afrique» ont piqué les Blacks Stars pour arracher l’égalisation dans le temps additionnel.

L’image de Jean Louis Gasset qui se prenait la tête à deux mains devant cette déconvenue était devenue le symbole de l’impuissance ivoirienne.

Bien aidés, il faut le dire par la faute de main du gardien et capitaine ghanéen, Richard Ofori, provoquant le corner qui va amener le but égalisateur. Avec ce nul concédé, les coéquipiers de Kudus, excellent dans ce tournoi, terminent 3e avec seulement deux points et facilitent la qualification ivoirienne, derrière.

Entretemps, Jean Louis Gasset démissionne.

La Fédération Ivoirienne de Football cherche désespérément à enrôler Hervé Renard, Sélectionneur de l’équipe de France Féminine, spécialiste du football africain, vainqueur de cette Coupe d’Afrique avec la cote d’Ivoire, en 2015. Mais, l’opération est compliquée. Aucune n’est trouvée avec la Fédération Française de Football. Après cet échec, les rênes de l’équipe sont confiées à Ermese Faé (40 ans) et à Guy Demel (42 ans), deux anciens internationaux ivoiriens.

Le premier était l’un des adjoints de Gasset, le second était chargé des espoirs. Celui-ci commencera la compétition en tant que Consultant à Canal + Africa et la terminera sur le banc des Eléphants.

L’équipe est qualifiée, par le concours de circonstances favorables, mais, les inquiétudes ne faisaient que commencer, car, l’adversaire à venir n’est autre que le Sénégal, champion d’Afrique en titre, l’une des meilleures nations africaines du moment (si ce n’est la meilleure), auteur d’un parcours brillant au premier tour (3 victoires, 8 buts marqués, un seul but encaissé).

Troisième de son groupe avec trois petits points et un différentiel de buts largement défavorable, le pays organisateur était au bord de l’élimination dès les phases de poules.

Les Lions de la Teranga avançaient avec leurs certitudes alors que les Éléphants, eux, continuaient de nager en plein doutes. Des doutes confirmés dès l’entame de la rencontre, car, les Sénégalais ouvrent le score très tôt. Mais, les Ivoiriens arrivent à revenir grâce à un penalty tardif de F. Kessié avant de s’imposer aux tirs aux buts. Premier exploit!

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En quarts de finale, les Ivoiriens sont opposés au Mali pour une rencontre aux enjeux dépassant les frontières du sport. Car, deux conceptions de l’Afrique vont s’affronter.

D’une part, celle de la Côte d’Ivoire d’Alassane Ouattara, très proche de la France ; et d’autre part, celle du Mali du Colonel Assimi Goïta, admirateur de Thomas Sankara et allié de la Russie. Une belle opposition entre la « Franҫafrique » et le « Panafricanisme », diraient certains.

Les Aigles, au niveau de l’expression collective, sont l’une des toutes meilleures équipes de la compétition. Et là encore, le match démarre de la pire des manières pour les Éléphants. Très vite, ils concèdent un penalty, brillamment stoppé par Fofana, pourtant peu irréprochable au premier tour.

Ils sont vite réduits à 10 suite à l’expulsion logique d’Odilon Kossounou, le défenseur du Bayer Leverkusen. En deuxième période, en infériorité numérique, ils essaient de tenir face aux assauts maliens, mais finissent par encaisser un but splendide d’un fils du pays Nene Dorgelès (né en Côte d’Ivoire d’une mère ivoirienne), peu avant le dernier quart d’heure.

Là, on se dit que c’est fini, que la messe est dite, car, personne ne voyait ces ivoiriens revenir. Et pourtant, ils vont revenir. L’excellent Simon Adingra va égaliser dans les toutes dernières minutes avant que Oumar Diakité n’offre la qualification aux siens dans les derniers instants de la prolongation. Deuxième exploit !

Les Aigles, au niveau de l’expression collective, sont l’une des toutes meilleures équipes de la compétition.

À ce moment, on se dit que plus rien ne semble pouvoir leur arriver. Et c’est que la suite allait confirmer. Puisque cette équipe ivoirienne ne fait rien comme tout le monde, elle réalise ses deux meilleurs matchs du tournoi en demi-finale et en finale. C’est vrai qu’il y a eu quelques frissons en finale, avec l’ouverture nigériane contre le cours du jeu, mais, cette rencontre était globalement maîtrisée par les Ivoiriens. Et parce qu’il faut que cette CAN joue avec nos émotions jusqu’au bout, il a fallu que les deux buts décisifs – en demi-finale et en finale, soient inscrits par Sébastien Haller, qui, il y a peu, se battait contre un cancer des testicules.

Comme son pays, il était aux portes de l’enfer, et les voilà tous les deux, au septième ciel, au paradis. Il a des couilles, ce garçon. Troisième exploit !

Un parcours hallucinant, au terme d’un scénario exaltant digne d’un film hollywoodien ou nollywoodien. Difficile de faire mieux en termes de rebondissements, de retournements, d’émotions…

Certains essaient de faire des comparaisons avec la Grèce de 2004 ou le Portugal de 2016 à l’Euro, mais, honnêtement on est sur des registres bien différents, ne serait-ce qu’en termes d’émotions. Car, il faut rappeler que la Côte d’Ivoire était à domicile, c’est donc, devant leur public que les Eléphants ont vécu ces scènes surréalistes.

D’autant que depuis 2006 et la victoire égyptienne, aucun pays hôte n’était parvenu à garder la Coupe d’Afrique à la maison. La logique voudrait que pour la CAN de l’hospitalité, l’histoire puisse se répéter. Logique déjouée par les Ivoiriens qui ont absolument tout donné sauf la Coupe. Quatrième exploit !

Alors, est-ce vraiment la meilleure CAN de l’histoire ?

Tout en n’étant pas prisonnier du temps présent et tout en respectant les champions d’hier, il faut reconnaître que la Côte d’Ivoire a mis la barre très haut, trop haut.

Elle met ainsi une pression terrible sur les prochains organisateurs, à commencer par le Maroc (2025). Le Maroc est largement applaudi quand son drapeau est apparu sur les écrans géants du stade Alassane Ouattara. Un drapeau porté en triomphe par certains Éléphants dont le capitaine, Max-Alain Gradel… nous savons tous pourquoi.

Pour revenir à l’organisation ivoirienne, on est clairement devant un tableau quasi parfait.

Ce beau spectacle a été rendu possible par la qualité des pelouses, la qualité de l’arbitrage, le niveau des joueurs, l’évolution des «petites nations»… tous les clichés sur le football africain ont été terrassés en l’espace d’une compétition.

Jamais, une compétition sportive réalisée sur le continent africain n’avait autant fait l’unanimité. Même pas, toute proportion gardée, la Coupe du Monde sud-africaine en 2010. C’est-à- dire, l’exploit majuscule réalisé par les Ivoiriens.

Alors, pour rester prudent et respectueux du passé, on va dire que c’est la CAN, la plus réussie de l’histoire récente de cette compétition.

Et pour rendre hommage à ce mois de football spectaculaire et riche en rebondissements que nous venons de vivre, on va dire que c’est l’une des Coupes d’Afrique les plus passionnantes jamais réalisées.

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Une CAN qui va rester dans les annales et qui marque déjà un tournant décisif dans l’histoire du football africain.

Par Nathan Laguerre

Image de couverture : La Côte d’Ivoire soulève le trophée de la Coupe d’Afrique des Nations 2024 après sa victoire face Nigeria (2-1) au stade Alassane Ouattara d’Abidjan, le 11 février 2024. | © ISSOUF SANOGO / AFP


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Spécialiste en droit du sport, Nathan Laguerre est avocat au Barreau de P-au-P. Il adore le football !

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