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Opinion | Le Mexique offre des pistes pour comprendre l’insécurité en Haïti

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L’impunité a le même visage au Mexique qu’en Haïti, analyse Claudia Alavez

Établir des comparaisons entre différents espaces aux histoires distinctes s’esquisse toujours comme un projet compliqué. Comparer des réalités serait une sorte d’exploit aux chances de réussite moindres. Chaque contexte répond à ses conditions de temps et d’espace, mais également à ses régimes d’historicité propres. C’est ainsi qu’il produit et reproduit ses propres particularités.

Or, au sein des caractéristiques et différences, des similitudes existent et permettent d’identifier de nouveaux aspects d’un problème et de se questionner sur leurs origines, mais aussi sur leur devenir : quelles sont les possibles conséquences des vols à main armée ? Quel message y a-t-il derrière chaque enlèvement ? Quel impact aura d’ici cinq ou dix ans l’assassinat d’étudiants ? Que signifie le féminicide d’une jeune étudiante ? Qui exerce l’acte violent ? Qui le reçoit ? Qui le justifie ? Qui le punit ? Le contexte actuel de Port-au-Prince exige de penser la violence sous différents angles, « prendre de la distance » pour se projeter au-delà de la réalité insulaire comme un exercice de réflexion et d’introspection.

Culte du gangster

Avec 130 millions d’habitants, le Mexique est le troisième pays le plus grand d’Amérique latine. Il jouit d’une diversité culturelle impressionnante tout en affichant un des plus importants taux au monde d’assassinats à l’année. Dans la société mexicaine, la violence implique des enlèvements, des assassinats, tous types de vols, des spoliations de terrains, etc.

Ces faits ont un impact quotidien dans la vie des personnes jusqu’à ce qu’on atteigne, sans même y penser, des sociétés dystopiques, « malades de solitude et de peur ». La violence au Mexique se produit comme une modalité culturelle, créée par des conduites visant à contrôler et dominer. Elle produit des crimes, mais aussi de la musique, des films, de l’art en général.

L’industrie qui se développe autour de la figure du narcotrafiquant illustre bien ce fait social. Ce phénomène criminel parvient à faire placer les « narcorridos », chansons narrant la vie des narcotrafiquants, en tête des plus écoutées du pays. Ce qui auparavant suscitait peur et rejet est aujourd’hui symbole d’admiration. Ainsi, le crime organisé est parvenu à s’installer dans des villes entières et dispute aujourd’hui le pouvoir à l’État. Le climat de peur, de méfiance et de suspicion fleurit, en face des perceptives d’action limitées de l’Etat.

Pouvoir de la violence

Dans ce panorama, le Pouvoir est central pour comprendre « le phénomène violent ». Le pouvoir est une relation sociale. Il suppose une situation de contrôle absolu sur les autres s’exerçant par le biais d’ordres, de mandats, de lois, etc. Le pouvoir qui opère dans la violence se déplace dans toutes les sphères du social, mais ne doit pas être confondu avec l’État, le Gouvernement ou le Président ; le pouvoir a une portée plus générale et peut se superposer à ces instances.

À partir de cette analyse, on identifie plusieurs acteurs au sein de la société qui témoignent tous d’un acte violent bien que le message et les conséquences se posent de manière distincte. Le nier peut mener à des conséquences dévastatrices, telles que le féminicide.

Le mois de janvier 1993 est habituellement considéré comme une date marquant le début des féminicides à Ciudad Juárez (ville frontalière avec les États-Unis). Depuis lors, les assassinats se sont propagés dans tout le pays. Parler de féminicide, ne revient pas simplement à parler de morts de femmes, mais bien d’assassinats systémiques de femmes où le viol et l’exposition publique y sont centraux. On cherche à ce que les corps soient trouvés et avec cela, un message de peur se diffuse. Au Mexique neuf féminicides sont commis chaque jour et 3 285 femmes sont assassinées en toute impunité chaque année.

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La violence, à la différence du pouvoir ou de la force, a toujours besoin d’outils. Ces outils vont d’un cadre légal à l’usage de la répression policière. Elle cherche à infiltrer et à contrôler tous les espaces ; en cas de « perte de contrôle », tuer est une option.

Au Mexique, parmi les différentes mesures visant à garantir une éducation laïque et gratuite, on crée le système d’école normale qui forme les futurs professionnels de l’éducation. Le 26 septembre 2014, 43 élèves de l’école Normale d’Ayotzinapa ont disparu. Ces étudiants allaient manifester pour commémorer le massacre de Tlatelolco, survenu le 2 octobre 1968 contre d’autres étudiants. Jusqu’à maintenant aucune explication officielle n’a été fournie sur ce qui est arrivé à ses 43 étudiants.

Culpabilisation des victimes

Ce niveau de violence dépasse nos capacités d’entendement et c’est ainsi que l’on observe le rôle du silence se présentant de manière graduelle, telle une spirale. Si quelqu’un raconte : « on m’a braqué », nous répondons : « c’est ta faute, tu n’aurais pas dû marcher dans cette rue ».

Quand on lit qu’une femme a été assassinée, on se dit : « une de plus ». Il s’agit d’une banalisation de la violence dans la normalité du quotidien. La violence devient donc constituante de nos sociétés et s’avère d’autant plus préoccupante qu’elle se transmet de génération en génération et en vient à constituer une nouvelle norme à partir de laquelle se construisent les codes sociaux du monde dans lequel nous évoluons.

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Un contexte de criminalité permet que les émotions qui nous dominent soient la peur ou la méfiance envers notre environnement. Le fait que ces émotions conditionnent notre quotidien est la preuve d’une rupture de la solidarité communautaire.

Nous devons créer des alternatives qui contrecarrent les actes violents. Approfondir et réfléchir sur la signification de la violence en relation avec le pouvoir, l’idéologie et l’économie pourrait être un premier pas. Cette réflexion oblige à questionner les rues de Port-au-Prince : la répression, les assassinats, le crime, mais également « notre place » au sein de ce panorama.

Il est effectivement urgent et nécessaire de repenser l’action collective autour du contexte violent à la fois pour ne pas le reproduire, mais également pour chercher des manières de la contrer. Il apparait donc nécessaire de se demander : justifions-nous la violence de temps à autre ? Pensons-nous que certains enlèvements sont justifiés et d’autres non ? Croyons-nous que seul l’État a le Pouvoir de perpétuer la criminalité ?

Claudia Alavez, sociologue mexicaine

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