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Opinion | La fête des Mères peut être une entrave à la santé mentale

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Pour célébrer la fête des Mères, les initiatives de type honneur et mérite ne manquent pas. Si de telles pratiques sont justifiables, force est de constater qu’elles constituent souvent une entrave à la santé mentale de plus d’un, écrit le Docteur en psychologie clinique Jeff Matherson Cadichon

En Haïti, la fête des Mères est célébrée chaque année le dernier dimanche du mois de mai. C’est souvent l’occasion de trouver le fameux cadeau de la fête des Mères pour montrer à sa maman qu’on l’aime énormément. Si le caractère commercial de cette fête n’est plus à démontrer, il convient d’admettre que c’est aussi la période où de belles histoires sont mises en exergue. Les initiatives de type honneur et mérite ne manquent pas. Si de telles pratiques sont justifiables, force est de constater qu’elles constituent souvent une entrave à la santé mentale au regard de leur caractère non soutenant et exclusif.

Dès mon plus jeune âge, la célébration de la fête des Mères m’a toujours laissé perplexe. Je dois d’abord préciser que je ne m’insurge pas contre cette fête à proprement parler. J’essaie toujours d’exprimer ma gratitude envers ma maman pour ce qu’elle représente dans ma vie. Le dernier dimanche du mois de mai est l’une des nombreuses occasions où je lui exprime mon amour et ma reconnaissance.

Cependant, de nombreuses pratiques commémoratives de cette fête me font toujours tiquer. Alors qu’on est en train de célébrer le plus grand nombre, tant sur le plan commercial que par pure expression de gratitude, on oublie trop souvent la réactivation traumatique provoquée par ce jour dit spécial qui est censé porteur de joie et de bonheur.

Le jour de la fête des Mères, il est impératif de prêter attention à cette jeune maman dont l’enfant résulte d’un viol, qui peine à se reconstruire et qui éprouve des sentiments contradictoires à l’égard de sa progéniture.

Nos meilleures pensées doivent aussi s’adresser à ces enfants qui n’ont pas vécu la relation mère-enfant, qui s’engouffrent dans un processus de deuil complexe sans pouvoir imaginer le bout du tunnel. Ces mêmes enfants qui, parfois, devenant mères, ont du mal à offrir un amour maternel qu’elles n’ont jamais reçu et qui sont doublement victimes, car elles sont taxées de mauvaises mères.

Il en est de même pour ces femmes qui souhaitent être mères — biologiques —, mais qui ne le sont pas, qui ne pourraient jamais l’être, et qui se font traiter de mulet parce que yon fanm ki pa ka fè piti se milèt est une perception socialement élaborée et partagée par beaucoup de citoyens.

Que dire alors de cette jeune femme kidnappée depuis plusieurs jours qui, après avoir été relâchée, doit non seulement faire face aux conséquences psychologiques de la séquestration, mais aussi affronter la mort de sa maman décédée après avoir appris la nouvelle de son enlèvement ?

Saviez-vous que pour célébrer la fête des Mères dans certains lieux de culte, la coutume veut que les mamans se mettent debout en plein service et tous les autres fidèles défilent pour aller les saluer. Ne vous êtes-vous jamais demandé à quel point cela peut remuer davantage le couteau dans la plaie des personnes qui souffrent de toutes sortes de traumatismes en pleine résurgence à cette époque ?

Les représentations, initiatives et pratiques associées à la fête des Mères doivent être soutenantes et inclusives. Cette fête doit être aussi l’occasion d’honorer toutes ces mamans de substitution, dont les mères adoptives, qui constituent des figures identificatoires contribuant au développement de nombreux enfants.

Il s’agit pour ainsi dire d’une tante, une cousine, une amie proche de la famille, ou une étrangère qui incarne cette figure parentale prévenant ainsi des expériences défavorables (abus, négligence, dysfonctionnement familial) de l’enfance qui auraient un impact considérable sur la santé et le bien-être tout au long de la vie. Toutes ces femmes qui rêvent de vivre la maternité et de gouter au bonheur d’avoir quelqu’un qui compte sur elles et qui les appelle maman, méritent aussi une attention particulière le jour de la fête des Mères.

La mise en sens et le soutien social constituent des piliers de la reconstruction psychique après un traumatisme. Les formes de connaissance, socialement élaborées et partagées autour de cette fête doivent constituer des pôles d’étayage permettant aux personnes en souffrance psychique de rebondir face à l’adversité. Une telle démarche se situera en droite ligne de la création, aux États-Unis en 1949, du mouvement consacrant le mois de mai comme le Mois de la sensibilisation à la santé mentale. La santé mentale compte

Jeff Matherson Cadichon est docteur en psychologie clinique et psychopathologie. Il est double lauréat du prix hautement compétitif Civil Society Scholar Awards (CSSA) d’Open Society Foundations pour sa thèse doctorale. Docteur Cadichon enseigne actuellement à l’Université d’État d’Haïti et l’Université Notre-Dame d’Haïti. Il est le directeur clinique de Nadege Inc., une organisation à but non lucratif qui met en place un programme de santé mentale au profit des femmes victimes de violences sexuelles en Haïti.

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