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Opinion | Cuba et la Chine au chevet du monde malade: le début d’une nouvelle ère?

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En devançant largement l’ensemble des pays occidentaux sur la maîtrise du Covid-19, les Chinois et les Cubains entendent proposer une autre image et lecture des grands enjeux internationaux

Le président français Emmanuel Macron a déclaré la guerre contre le COVID-19 (Coronavirus). Si certains pays contournent le mot « guerre » pour parler de ce dangereux virus, force est de constater que l’ensemble des mesures décrétées, octroyant pratiquement le plein pouvoir aux autorités étatiques, s’apparentent aux dispositions prises lors de contextes de guerre. Mais, l’ennemi du moment est beaucoup plus virtuel que physique, et donc difficilement saisissable et maîtrisable.

Pour preuve, la Chine – déjà très avant-gardiste dans la collection de données personnelles de ses citoyens parfois à leur insu – a endurci ses règles en prenant des mesures de confinement d’une bonne partie de ses citoyens et le contrôle de ceux-ci à travers des applications créées à cet effet pour mieux faire face au virus. Ces pratiques ont longtemps été l’objet de débats et soumis les Chinois aux critiques des Occidentaux.

Aujourd’hui, la Chine s’en sort plutôt bien. Elle voit déjà le bout du tunnel. Dans la ville de Wuhan, ancien épicentre de la pandémie, les informations laissent remarquer un certain retour à la normale au moment où plusieurs États européens, dépassés par l’ampleur de la crise qu’a provoquée ce dangereux virus, commencent à effectuer un tri parmi leurs citoyens infectés pour fournir les soins adéquats.

Privilégier un citoyen par rapport à un autre, c’est non seulement décider, en gros, qui doit mourir et qui ne doit pas l’être, c’est également s’empêtrer dans de houleux débats d’ordre éthique et déontologique. La situation est particulièrement grave dans un pays comme l’Italie au point où 800 morts ont été signalés en une journée.

L’assistance chinoise

Face à cette situation, la Chine et le Cuba s’engagent à combattre le COVID-19 sur tous les fronts. Si la Chine a déjà proposé son aide à plusieurs pays européens à travers l’envoi de médecins, matériels et équipements, le pays de Fidel Castro quant à lui met à contribution sa grande réputation dans le domaine médical en offrant son expertise aux Européens à travers la réception d’un navire de la Grande-Bretagne et l’envoi de médecins en Italie.

Le fameux navire en question est une croisière dont certains membres de l’équipage ont été testés positifs au COVID-19. Coincé au beau milieu de nulle part en mer, le navire qui a tenté de s’accoster dans plusieurs pays n’a essuyé que des refus avant que le Cuba ait accepté de le recevoir sur son sol et de soigner l’ensemble des croisiéristes. Un geste que le Premier ministre anglais n’a pas manqué de saluer.

En devançant largement l’ensemble des pays occidentaux sur la maîtrise du Covid-19, les Chinois et les Cubains entendent proposer une autre image et lecture des grands enjeux internationaux. Ils se positionnent par-là même pour incarner à la fois le rôle de héros et leaders non seulement face au Coronavirus, mais aussi dans le domaine de la santé au moment où les Américains déclarent la guerre, cette fois-ci sur leur territoire, contre cette pandémie qui frappe de plein fouet et avec des coups mortels leurs citoyens.

Nous assistons à un cas de figure où les États-Unis d’Amérique, presque pour la première fois depuis des décennies, regardent avec impuissance, l’acquisition par la Chine d’un statut de plus en plus similaire au leur sur la scène internationale dans un domaine autre que l’économie. Ce qui est encore plus significatif quand on connait l’ambition des Chinois de se montrer capables de venir en aide à des pays se trouvant dans le giron des Américains dans des contextes difficiles et décisifs. Dès lors, peut-on appréhender cette réalité comme étant une volonté de conquête et de recherche de reconnaissance d’un nouveau statut sur l’échiquier international ?

Cette interrogation est aussi de mise pour Cuba quand on sait qu’en plus de la grande reconnaissance dont il jouit dans le domaine médical mondial, Cuba a aussi été très décisif dans sa contribution à l’éradication de l’épidémie Ebola, notamment en Afrique de l’Ouest. Aussi, en proposant de recevoir et de soigner les croisiéristes du navire britannique faisant peur à tout le monde, les Cubains ne sont-ils pas en train d’affirmer leur rôle de leader et une certaine suprématie dans la maîtrise des grandes épidémies qui secouent notre monde et qui ne sont pas prêtes, me semble-t-il, de s’arrêter ?

Deux systèmes politiques

À noter que la Chine et le Cuba sont deux pays ayant des systèmes politiques et économiques (très) différents de ceux en cours dans les sociétés occidentales. En effet, l’idéologie socialiste, voire même communiste, qu’ils pratiquent a toujours fait d’eux, au cours des 50 dernières années, des ennemis farouches des Occidentaux en général et des Américains en particulier.

Malgré les efforts constatés sur le plan économique à travers l’ouverture tour à tour de leurs marchés aux investisseurs privés, ces pays restent encore aux yeux de bon nombre d’acteurs politiques de l’Occident des cibles à abattre. Cela se manifeste dans les hostilités économiques existant entre Washington et Pékin. La compagnie chinoise de technologie Huawei en a d’ailleurs fait les frais.

En vrai, Huawei paie le prix de son avant-gardisme technologique qui donne à la Chine une bonne longueur d’avance sur ses principaux concurrents notamment dans le domaine de la technologie 5G. Et l’on sait que dans l’environnement actuel, celui qui tient les nouvelles technologies contrôle le destin du monde. C’est dans un tel contexte qu’on a assisté aux décisions drastiques prises par le président américain, Donald Trump, pour bannir l’utilisation de la technologie Huawei dans l’administration fédérale et limiter son adoption au sein du grand public.

Cette hostilité se manifeste aussi dans la position de Donald Trump sur les relations entre les États-Unis et Cuba. Depuis son investiture, Trump a sapé les efforts de l’administration de Barack Obama pour se rapprocher de Cuba. Un accord a été trouvé par son prédécesseur afin de lever progressivement l’embargo dévastateur américain, voire occidental, qui a duré un peu plus de la moitié d’un siècle. Dès son accession au pouvoir, Donald Trump a, sans détour, manifesté la volonté de revoir l’accord en question.

De grandes mutations 

Il va de soi qu’à la fin de la pandémie du COVID-19, le monde connaîtra de grandes mutations. Nous assisterons très probablement à un certain repli sur soi, certains rôles seront inversés, les modèles en cours dans nos sociétés, déjà questionnables et questionnés se retrouveront certainement au cœur de nos débats de société. L’État sera amené à revisiter ses rapports non seulement aux autres acteurs, mais aussi avec lui-même (possible retour sur le contrôle du territoire, possible révision du modèle de coopération et de solidarité internationales).

L’on assistera éventuellement à une remise en cause des modalités de production et d’échange dans le commerce international (probable remise en cause du grand statut d’« usine du monde » de la Chine), à une prise de conscience et un élan patriotique de certains pays sous-développés, entre autres.

La bataille contre le COVID-19 sera rude et longue. Certains États le comprennent et l’avouent à leurs citoyens. Mais à la fin de cette lutte, la Chine et le Cuba sauront-ils garder, chacun à sa manière, ce nouveau statut sans contestation sur le plan mondial ?

Cenes FLEURANT
Master 2 en Science politique, spécialité métiers du politique et de l’administration
Chargé de cours géopolitique à l’université Quisqueya
Consultant politique

Photo couverture: Des membres d’équipage du navire de croisière Braemar brandissent une pancarte avec un message qui se lit en espagnol: « Je t’aime Cuba », alors qu’il était amarré au port de Mariel, Cuba, mercredi dernier.

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