L’insécurité couplée à l’impunité oblige les journalistes à cacher les informations sensibles, pour se protéger
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Marc-Henry travaille à la Radio Télévisons Caraïbes. « À plusieurs reprises, j’ai dû m’abstenir de communiquer certaines informations, car une information peut coûter excessivement cher », dit le journaliste.
Jerry collabore avec la Radio Sans Fin. Sa stratégie reste l’évitement des sujets qui fâchent. « Il faut veiller aux quartiers où il faut se rendre, aux personnes que cela concerne et surtout aux risques d’indexer certains individus non seulement haut placés, mais aussi bien placés », précise-t-il.
Kidnapping, viols, attaques armées, meurtres ou encore massacres… l’actualité est dominée par l’insécurité généralisée sous toutes les formes depuis maintenant plusieurs mois en Haïti. Dans un rapport sorti en décembre dernier, le Réseau national de défense des droits humains relève qu’au moins 525 personnes ont perdu la vie à cause de l’insécurité qui sévit à Port-au-Prince.
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Les travailleurs de la presse se trouvent aux prises aussi avec ce climat de terreur. L’accès à l’information, qui était déjà difficile, devient presque impossible sur certains sujets sensibles. Pour survivre, la plupart des journalistes rapportent avoir mis en place des stratégies qui, in fine, aboutissent à la communication d’évènements sans gros enjeu, en lieu et place des informations délicates, susceptibles de déranger bandits et personnages puissants.
L’accès à l’information, qui était déjà difficile, devient presque impossible sur certains sujets sensibles.
Cet état de fait, « une part de la population en est consciente », analyse l’avocat Samuel Madistin. Il évoque le cas du photojournaliste Vladimir Legagneur porté disparu à Grand-Ravine depuis maintenant près de trois ans. « La tâche n’est pas aisée non plus pour les organisations des droits humains », souligne le militant qui de la Fondasyon Je Klere.
Défi permanent
Marc-Henry habite « entre Fontamara et Martissant ». Avec la montée de l’insécurité dans les rues, se rendre au local de la RTVC constitue un défi permanent pour le professionnel. Il rapporte que « depuis trois à quatre ans, il n’existe aucune présence policière » dans la zone dite de non-droit où il habite.
Certains médias prennent des mesures de sûreté et installent parfois des caméras dans leurs locaux. Des institutions étrangères offrent à leurs journalistes certains équipements de protection. Pour la grande majorité des locaux, le « sauve-qui-peut » reste de mise. Sur tous les réseaux sociaux, allant même jusqu’à son profil WhatsApp, Marc-Henry s’expose le moins que possible.
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Le jeune journaliste ne veut surtout pas que les habitants de sa zone, encore moins les bandits, sachent quelle est sa profession. Pour cela, il ne porte jamais le maillot du média dans son quartier ni n’exhibe sa carte de presse à tout bout de champ, parce que son souci premier reste et demeure sa sûreté. « Je ne dis pas que [les bandits] ne sont pas au courant de mon travail, ils ont des hommes de main pour les tenir informés de tout. Mais je veux m’exposer le moins que possible. »
Marc Henry prend soin de ne jamais traiter les sujets liés d’une quelconque manière à Fontamara ou à Martissant. De toute façon, « il est extrêmement difficile, voire impossible pour une personne de débarquer sans prévenir et vouloir effectuer quoique ce soit comme travail » informe Marc-Henry. Pour un quelconque reportage, il faut avoir préalablement négocié avec le chef de gang qui dirige le bloc en question et avoir reçu son feu vert.
Le journaliste de la rue Chavannes reconnait qu’un travail sur la dégradation de la place de Fontamara serait des plus intéressants, et il aurait voulu s’en occuper. Mais, le risque de se faire démasquer est bien trop important pour qu’il accepte de s’y mettre.
Victimes à répétition
Les tentacules de l’insécurité atteignent aussi les journalistes qui ne travaillent pas sur les dossiers liés à l’insécurité ou l’actualité politique. Pierre dit évoluer dans le culturel depuis 2018. Le rédacteur de Symbiose, une plateforme en ligne, ne couvre aucune activité nocturne depuis la montée de l’insécurité. La décision a été prise « en commun accord avec la direction de la structure ».
Plusieurs travailleurs de la presse rapportent avoir été victimes de l’insécurité généralisée. Michel Joseph est responsable de l’information à la RTVC. Il certifie avoir déjà été braqué par des malfrats.
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De plus en plus, les brimades viennent des autorités en place. « Le journaliste est aussi en danger quand il y a un policier dans les parages », raconte Jerry de la RSF. Le reporter confie se sentir menacé quand il doit mener son travail et que pas très loin, se trouve un policier. Ce sentiment perdure depuis qu’il a été ouvertement agressé par un agent de l’Unité de sécurité générale du palais national.
« Je filmais des agents de l’USGPN qui pointaient leurs armes sur des étudiants de l’École normale supérieure (ENS) qui menaient des mouvements de protestation », raconte Jerry. « C’est alors que l’un des agents s’est approché de moi pour me demander de lui donner le téléphone avec lequel je filmais. J’ai présenté mon badge de journaliste et j’ai refusé de céder mon portable. Mais celui-ci a tout simplement ignoré mon badge et moi pour s’en prendre à mon téléphone qu’il brisa complètement ».
Justice médiatique
Malgré tout, les journalistes sont de plus en plus sollicités. Presque chaque jour ouvrable, parfois des dizaines de citoyens s’amassent devant les locaux de la RTVC pour dénoncer les actes de violence perpétrés sur leurs proches. Les « justiciables pensent pouvoir trouver de l’aide du côté de la presse au lieu de la police », souligne Marie Rosie Auguste, du RNDDH.
Avec les grèves à répétition dont elle fait les frais, « la justice ne fonctionne presque plus depuis 3 ans », précise Me Samuel Madistin. De plus, l’institution souffre d’une perte de confiance aggravée. Les « scandales de corruption, de trafics d’influence et de nominations illégales sont malheureusement le propre du système judiciaire haïtien ».
Aussi, le peuple fuit une justice dont « l’accès lui coûte trop cher », pour trouver refuge dans les bras d’une presse qui ne lui apporte aucune véritable réponse. Il finit par préférer prendre l’opinion publique comme témoin au lieu de rester à broyer du noir. Pour Marie Rosy Auguste, ceci constitue quand même « une sanction sociale infligée à défaut d’une sanction judiciaire ».
Insécurité ou pas, les radios continuent de parler, la télé fonctionne et les médias en ligne opèrent. Quelle information rapportent-ils précisément ?
Rebecca Bruny
À part Michel Joseph, les autres journalistes cités ont demandé l’anonymat pour des raisons de sécurité. Les photos ont été prises par Valérie Baeriswyl le 28 janvier dernier, lors d’une marche des journalistes à Port-au-Prince.
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