SOCIÉTÉ

« Marly m’a confié qu’elle était en couple avec une personne qui la violentait »

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Marly Édouard est morte d’une balle à la tête. Les autorités canadiennes mènent leur enquête

Ce lundi 22 février, tôt le matin, des photos de Marly Édouard ont sillonné la toile. Si l’on se fie uniquement au sourire de la dame dans les prises partagées, l’on pourrait penser à un nouveau challenge pour célébrer la vie. Mais les légendes sur les photos disent « Rest in peace », « Nous ne t’oublierons jamais », « Tu ne seras plus des nôtres ». Le genre de message auquel personne ne peut s’habituer.

Marly Édouard, ex-manager des rappeurs Baky et Wendy, ancienne animatrice de radio, n’avait que 32 ans. C’est le choc pour les élèves de philo du Collège Cœur Immaculée de Marie (CIM), son ancienne école. Cette année, les filles en terminale du CIM l’avaient choisi comme marraine de leur promotion.

Selon Sonia Dida Joseph, membre du comité culturel de la promotion « Al N’aïr » du CIM, la nouvelle du décès de Marly Édouard a été bouleversante. « On ne s’y attendait pas. Malheureusement, nous ne pourrons plus passer les moments que nous avions prévus de passer ensemble », déplore-t-elle.

La jeune fille de 19 ans justifie le choix d’Édouard du fait qu’elle était non seulement une ancienne de l’école, mais aussi parce qu’elle était une personne sympathique. Grâce à son expérience, elle pouvait prodiguer des conseils à la promotion. La trentenaire devait accompagner les élèves durant toute l’année scolaire jusqu’à la cérémonie de graduation.

Pour commencer, le 19 janvier dernier, Marly Édouard devait célébrer la fête des philosophes avec la promotion « Al N’aïr ». Toutefois, c’est l’animateur Djimy Ducasse, son collègue avec qui elle a créé l’entreprise Symbiose 509, qui l’avait remplacée. « Marly était hospitalisée pour une infection au cerveau », explique Ducasse.

Marly Édouard ne sera pas non plus à la cérémonie de graduation et Sonia Dida Joseph le regrette infiniment. « Les filles et moi étions excitées à l’idée de la rencontrer. C’est malheureux », se plaint l’élève en terminale.

Le secteur culturel en deuil

Ce ne sont pas seulement les élèves de la philo du CIM qui sont affectées par le décès d’Édouard. Plusieurs personnalités du milieu culturel haïtien pleurent le départ de l’ex-animatrice de radio. Stéphanie Douyon par exemple, qui a collaboré avec Marly Édouard à la radio RFM, refuse de croire que son ancienne collègue soit partie aussi jeune.

Ce n’est ni le Covid-19, ou quelque autre maladie, ni un accident de la route qui a mis fin aux jours de Marly Édouard. C’est une balle qu’elle a reçue à la tête. « J’étais très surprise d’apprendre la nouvelle, dit Douyon. J’ai pleuré. Elle est partie trop tôt et la manière dont elle est morte m’intrigue davantage », ajoute-t-elle.

Après le tremblement de terre du 12 janvier 2010, Marly Édouard travaillait avec Baky et Wendy alors que Stéphanie Douyon était manager de P-Jay. Vu que ces trois artistes s’opposaient, il y avait quelques fois une certaine mésentente entre les deux femmes. Après décès d’Édouard, Stéphanie Douyon pense que cette rivalité était inutile. « Je me suis rendu compte que la vie est courte et qu’il ne fallait pas perdre son temps avec des histoires anodines », confesse-t-elle.

Douyon loue le courage d’Édouard qui, comme elle, a pu accompagner des artistes du rap à l’époque où la société n’accordait pas la même estime aux rappeurs qu’aux chanteurs de Compas. Selon elle, c’est au prix de beaucoup de risques que Marly Édouard avait accepté de mener cette carrière. « Il y avait très peu de femmes dans le milieu du rap à cette époque et en plus, Marly était jeune. Ses parents n’approuvaient pas son choix. Mais elle a persévéré. Aujourd’hui, beaucoup d’artistes dans le rap portent l’empreinte de Marly. »

Beaucoup d’expériences

« Quand j’ai rencontré Marly, elle était jeune et fougueuse. Elle nourrissait beaucoup de rêves » témoigne Carl-Henry Desmornes, le directeur de la radio Planèt Kreyòl. Marly Édouard a travaillé dans le conseil d’administration de cette station de radio alors qu’elle étudiait le Droit. « Je ne me rappelle pas si c’était avant ou après le tremblement de terre, mais je sais que Marly devait gérer la programmation des différentes activités de la radio. En même temps, elle s’intéressait au milieu culturel. Je me rappelle qu’elle voulait mes conseils pour coacher Baky qui venait tout juste d’entamer sa carrière », continue-t-il.

Entre les années 2013 et 2014, Édouard avait laissé Planet Kreyòl. En 2014, elle a travaillé en tant que secrétaire au bureau de Patrick Sully Joseph qui était alors ministre délégué auprès du Premier ministre et du renforcement des partis politiques. Roobens Thélémaque, un ancien collègue d’Édouard, vante ses qualités. « Marly était d’une intelligence rare. Tout juste après ses études secondaires au CIM, elle s’est impliquée dans le domaine de la promotion culturelle. »

En 2016, Marly Édouard a quitté le pays pour se rendre au Canada. Elle avait des difficultés pour continuer à travailler avec les artistes à distance. C’est ainsi qu’en 2018, elle a cofondé avec l’animateur Djimy Ducasse, Symbiose 509, une institution qui devait accompagner des artistes dans leur carrière. Cependant suite à une mauvaise expérience avec un rappeur, le projet a été reconverti en une firme de réalisation d’évènements culturels. « Marly avait organisé Symbiose musicale au Canada. Et moi de mon côté j’organisais des évènements à Port-au-Prince et à Hinche, ma ville natale. Nous avions même mis en ligne un magazine qui avait deux rédacteurs, un journaliste et moi. »

Des menaces

Djimy Ducasse affirme qu’il entretenait de bons rapports avec Marly Édouard, mais celle-ci ne lui avait jamais parlé des menaces qu’elle recevait dans sa relation amoureuse. Cependant, Roobens Thélémaque, rapporte que la dame lui en avait parlé. « Marly m’a confié qu’elle était en couple depuis 2019 avec une personne qui la violentait. L’an dernier, elle s’était rendue en vacances au Brésil avec cette personne, qui n’arrêtait pas de la frapper. Marly craignait pour sa vie. Elle a déposé des plaintes à la justice et m’a dit de ne pas laisser sa mort passer inaperçue. »

Quand les médias canadiens ont relayé l’histoire de Marly Édouard qui serait dans un triangle amoureux avec une femme et l’ex-copain de celle-ci, plusieurs internautes haïtiens se sont pris à la défunte pour son orientation sexuelle. Stéphanie Douyon estime que c’est très méchant de la part de ces gens qui pensent que la dame a mérité cette mort tragique. « J’ai toujours su que Marly était lesbienne. Mais l’important est qu’elle était avant tout un humain et quelqu’un de bien », souligne-t-elle.

Marly Édouard est partie sans avoir réalisé tous ses rêves. Djimy Ducasse promet de continuer le projet Symbiose 509 qu’Édouard et lui avaient commencé.

Laura Louis

Laura Louis est journaliste à Ayibopost depuis 2018. Elle a été lauréate du Prix Jeune Journaliste en Haïti en 2019. Elle a remporté l'édition 2021 du Prix Philippe Chaffanjon. Actuellement, Laura Louis est étudiante finissante en Service social à La Faculté des Sciences Humaines de l'Université d'État d'Haïti.

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