Lyonel Trouillot | Que faire… Avec qui ?

Se peut-il que sur le plan de l’action collective à mener pour sortir Haïti de ce trop plein d’inégalités et du marasme politique, le choix à faire soit simple : réunir toutes les forces qui entendent participer à une construction nationale avec plus de justice sociale et d’éthique républicaine, dans une rupture radicale avec la dépendance politique vis-à-vis de l’international et la continuité dans la parodie de démocratie formelle qui ne donne lieu qu’à des élections contestées et d’interminables transitions ?

Les partisans de la continuité (politiciens, formations politiques profitant de la situation ou espérant en profiter, groupes d’hommes d’affaires impliqués dans une économie criminelle et partenaires privilégiés du pouvoir politique, rentiers de la haute fonction publique) ont pour argument que la politique c’est « les rapports de force ». Déjà que la politique, ce n’est pas que ça. Et encore faudrait-il définir ces forces ! La réalité est que la constitution d’une force haïtienne est bloquée par cette contre-force qui porte la continuité. La malhonnêteté ou la bêtise  est donc de déclarer une chose impossible en menant les actions mêmes qui la rendent impossible.

Pour ce qui est des rapports de force, quand un peuple – on a vu de tels cas dans l’histoire – dit non à une orientation qu’on a voulu lui imposer, cela force les anciens décideurs soit à reculer, soit à des choix extrêmes : recourir aux armes de la violence militaire ou à celles de l’étranglement économique.

Aujourd’hui quelles forces haïtiennes peuvent se constituer ou se réunir pour proposer une sortie et lutter pour l’obtenir ? Les forces du travail ? Une partie de la jeunesse urbaine ? Le peuple des villes qui avait tenté le pays lock ? Les progressistes qui ne se sont pas transformés en manœuvriers à l’affût de portions de pouvoir ? Les survivants d’un nationalisme traditionnel peu conscient des conflits sociaux internes mais soucieux de l’indépendance politique et animés par une mystique de la dignité ? Les travailleurs du monde rural ? Les jeunes cadres et universitaires résistant aux tentations de la corruption et de la prédation, se réunissant dans des pratiques associatives et s’impliquant dans la transformation de la vie de leurs communautés ? Les personnalités de la société civile jouissant d’un minimum de crédit à cause de leurs prises de position en faveur de la justice sociale et des intérêts populaires et nationaux ? 

Que l’on pense à partir des classes sociales, des catégories sociales, des ancrages régionaux et communautaires, même des individualités engagées ou susceptibles de s’engager, il y a un inventaire à dresser pour la mise en éveil d’un front du refus. 

Tout le reste, Ariel Henry, CPT, possiblement CPT prime, allongé, allégé… ne s’inscrira pas dans une logique de changement. Au mieux, un jour, petit président mal élu qui voudra jouer au dictateur ; parlementaires mal élus, corrompus sauf exception. Contestation. Fin malheureuse et départ pour une nouvelle transition. 

Penser une sortie haïtienne du marasme politique. Rassembler les forces pour la mettre en œuvre. Engager une vaste action politique qui ne réduise pas la politique à d’obscures manœuvres. Cela peut sembler fou, idéaliste, volontariste. Mais qui dit mieux ? Depuis le temps que nous laissons faire les mêmes choses… Avec les mêmes effets… C’est aussi fou, et sans doute plus bête.

Couverture: Manifestation à Port-au-Prince éxigeant le départ de Jovenel Moïse. 28 février 2021. AP – Dieu Nalio Chery

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