Ce pays, comme tout pays, produit hors de nos cercles familiers des gens de bonne volonté. Tel avocat est résolument de droite, combattons idéologiquement son point de vue sur la question sociale, si le nôtre est de gauche.
J’ai rencontré il y a quelques années une jeune femme dont j’ai appris à apprécier la vitalité d’esprit et la détermination autour d’une chose improbable… un roman. Pas si improbable que ça quand on y pense : nous sommes des êtres de langage. Et comme disait un grand poète de chez nous : « L’homme n’est jamais seul alors que je vous parle et que vous m’écoutez. » À condition bien sûr de réciprocité.
La réalité économique et politique de ces dernières années, dominée par la double peur (précarité d’un lendemain non assuré économiquement ; crainte pour sa survie, la mort guette à tous les coins de rue) ne pousse pas à la rencontre.
Il devient encore plus difficile qu’avant d’accorder à l’autre l’humanité qu’on se suppose ou pas à soi-même. Dans quel milieu est-il né ? Qui a-t-il fréquenté ? Celui ou celle qui n’est pas installée depuis longtemps dans le cercle de nos fréquentations, est un suspect qui n’inspire que méfiance. Surtout si, de près ou de loin, il est perçu comme influencé par son réseau de fréquentations supposé, son origine sociale et les opinions qu’on lui attribue en fonction de ces données.
Ayibopost, « média de droite », ce n’est pas mon réseau habituel : suspects ! Untel ou une telle, il ou elle est de telle famille elle-même alliée à telle famille elle-même liée à untel dont les actions sont peu recommandables, suspect(e) !
Autant il faut oser le courage de ses convictions, par exemple d’être à gauche ; autant il faut être radical dans ses positions idéologiques et sélectifs en fonction des pratiques avérées, autant il faut avoir l’intelligence et l’humilité de comprendre qu’on ne construit pas un pays avec un petit groupe qu’on a soi-même élu.
Ce pays, comme tout pays, produit hors de nos cercles familiers des gens de bonne volonté. Tel avocat est résolument de droite, combattons idéologiquement son point de vue sur la question sociale, si le nôtre est de gauche. Mais légaliste, il n’enfreindra pas la loi et ne tolérera pas la corruption. Travaillons avec lui dans son domaine d’excellence.
Ce pays n’a pas aujourd’hui le luxe de ne pas chercher à créer une ligue nationale de la bonne volonté. Et aucun groupuscule ne peut prétendre détenir le monopole de la bonne volonté. « Entèl se moun entèl ». Je veux bien quand on me montre comment les pratiques d’un tel sont objectivement au service des intérêts privés d’un tels contraires à ceux de la nation. Et je ne peux pas aborder chaque autre en le soupçonnant d’être animé de mauvaises volontés.
Ce pays n’a pas aujourd’hui le luxe de ne pas chercher à créer une ligue nationale de la bonne volonté. Et aucun groupuscule ne peut prétendre détenir le monopole de la bonne volonté.
Je suis aujourd’hui assez vieux pour savoir que tous les duvaliéristes n’étaient pas des salauds, que Lavalas premier moment avait attiré pléthore de gens de bonne volonté… Cela ne m’empêche pas, si le duvaliérisme et Lavalas me semblent des idéologies négatives, de les critiquer ouvertement et radicalement.
Mais n’excluons pas les gens pour délit d’origine. Jugeons tous, y compris nous-mêmes, à nos pratiques dans notre vie citoyenne, dans nos pratiques politiques et sociales. Ce pays compte déjà suffisamment de salauds, dans tous les camps et faux camps, pour ne pas se permettre de négliger la rencontre entre gens de bonne volonté.
Par Lyonel Trouillot
Couverture | La violence des gangs et l’instabilité politique en Haïti ont conduit récemment à des manifestations dans les rues de Port-au-Prince. Photo : Reuters / STRINGER – 2021
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